Tenir sa langue

Le français à Montréal

Rien n'est jamais gagné en matière de protection du français. Les débats de la semaine confirment qu'entre l'indignation et l'indifférence, un état de veille fermement commandé par l'État et soigneusement observé par les citoyens demeure essentiel.
Que le Québec a l'épiderme sensible lorsqu'on s'aventure à chatouiller sa langue! L'émoi médiatique s'est gonflé cette semaine autour d'un reportage du Journal de Montréal qui dévoilait la relative facilité, pour une reporter s'affichant unilingue anglophone, de trouver du boulot dans plusieurs commerces montréalais.
Impuissants à recevoir cette enquête comme une traduction pratique de ce que la théorie a maintes fois avancé, plusieurs ont poussé les hauts cris, s'indignant qui de la méthode, qui de tout ce qui laisserait croire à un français en perdition en plein coeur du downtown Montreal. Il faut pourtant prendre cet effort journalistique pour ce qu'il est: une épreuve des faits qui confirme qu'en matière de défense du français au Québec, la partie n'est jamais gagnée.
Au centre de cette démonstration trône une réalité troublante qui n'avoisine pas le scandale mais n'invite pas non plus à l'insouciance: sur les 97 commerces sollicités par la journaliste, seulement huit ont repoussé sa candidature en rappelant à l'audacieuse une évidence: au Québec, la langue de travail demeure le français.
Navrant que ce coup de sonde du Journal de Montréal n'ait provoqué, dans le camp politique, que des réactions mollassonnes flirtant avec la banalisation. Haussant les épaules, le premier ministre Jean Charest a reconnu qu'il fallait «regarder cela» avec l'Office de la langue française. Rejetant tout durcissement de la loi 101, la ministre Christine St-Pierre a dit plutôt croire à la sensibilisation accrue des commerçants fautifs.
Seule la chef du Parti québécois, Pauline Marois, a proposé de resserrer la loi 101, ce que le camp libéral a aussitôt dénoncé, invitant les offensés à «respirer par le nez!», un conseil émanant du libéral Raymond Bachand. Déjà, en 2001, le rapport Larose sur la situation du français avait suggéré un durcissement de cette loi, particulièrement du côté des PME. Le gouvernement d'alors -- péquiste! -- avait refusé tout remue-ménage hardi.
Les derniers mois ont pourtant été riches en signaux d'alarme invitant à la vigilance. Le français perd du terrain au Québec et au Canada, comme l'a dévoilé le dernier recensement de Statistique Canada, qui démontrait une fragilité linguistique toute montréalaise. Tout au long des travaux de la commission Bouchard-Taylor, les immigrants ont martelé l'importance d'une meilleure intégration au monde du travail. Si l'immigration au Québec correspond désormais à un facteur clé de l'équilibre démographique, il ne faut plus hésiter à tout mettre en oeuvre pour solidifier les transferts linguistiques en faveur du français, notamment en soumettant les entreprises de moins de 50 employés aux programmes de francisation.
Pour le droit à un service en français, les batailles ici-bas sont innombrables: récemment, un francophone de la Nouvelle-Écosse s'est vu interdire de monter à bord d'un avion d'Air Canada car il exigeait qu'on lui parle en français. Cette semaine encore, un citoyen de Gatineau intercepté par un policier d'Ottawa a dénoncé le fait que l'agent ait refusé de lui administrer ses contraventions en français.
De l'anecdote, tout cela? Ou serait-ce plutôt la pointe de l'iceberg, une partie de la réalité étant étouffée par la tendance de certains francophones à s'indigner dans le silence et à se résigner? Si la tolérance est bien sûr une vertu, certains gagneraient à ne pas confondre cette qualité avec un détachement insidieux qui contribue à sa manière à fragiliser le français. La protection de notre langue impose encore, qu'on le veuille ou non, une veille de tous les instants.
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machouinard@ledevoir.com


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