Tenir le français pour acquis

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Rien n'est jamais acquis, surtout pas la langue

La récente mobilisation des francophones de tout le pays pour protéger les droits des Franco-Ontariens, bafoués au nom des contraintes économiques, revêt pour plusieurs des allures de première : c’est la première fois que la jeunesse québécoise est directement confrontée à la fragilité de la langue française dans le Canada actuel.


Les jeunes québécois n’ont jamais connu les grandes batailles constitutionnelles, les déchirements de la loi 101 et les référendums successifs. Ils en ont seulement pris connaissance dans les livres d’histoire ou dans les souvenirs de leurs parents.


Ils n’ont jamais vécu le Québec méprisé, discrédité et rabroué, pour l’unique raison de parler en français. Jamais ils ne se sont fait dire de Speak White dans les allées de la Place Versailles ou des Galeries de la Capitale.


Jamais non plus, ils n’ont vu leurs amis ou parents être arrêtés ou emprisonnés parce qu’ils manifestaient pour assurer la survie de la langue française.


Quelques-uns se sont peut-être fait servir un disgracieux Bonjour-Hi sur la rue Sainte-Catherine, mais cela demeure anecdotique.


Bref, les jeunes de moins de 30 ans n’ont jamais vécu le racisme ordinaire que leurs parents et grands-parents ont pu subir parce qu’ils étaient des french pea soup.


Pour les jeunes, cela appartient uniquement à l’histoire. Aucunement à l’actualité.


Préoccupation parentale


Pour une grande partie de la jeunesse, la bataille pour la survie de notre langue est une lutte qui ne nous appartient pas. C’est celle de nos parents et de nos grands-parents. Ils ont réussi à se tenir debout et à se faire entendre. Cette lutte serait maintenant gagnée et chose du passé.


Pour la plupart, nous éprouvons un sentiment de sécurité linguistique. Nous ne sentons pas l’urgence de préserver notre langue. 


Dans la tête de plusieurs, sans le savoir, le Québec agirait déjà comme un pays. Étant majoritaires dans notre propre espace politique, nous serions capables d’assurer notre destin et notre développement en français, et cela, sans trop de difficulté.


« La langue française se parlerait tout seul », pour reprendre l’expression de René Lévesque.


Le rappel à l’ordre


Pour ma génération, le rôle de méchant n’a jamais été tenu par le Canada. Depuis 20 ans, ce pays a toujours été le voisin dont on ne se souciait pas trop et qui nous ne dérangeait pas trop.


Mais voilà que l’attaque frontale des droits francophones en Ontario doit agir comme un rappel à l’ordre : le français sera perpétuellement en danger au Canada. L’identité même du pays, ainsi que ses principaux mouvements politiques, rendent précaire la situation des francophones coast to coast.


À ce titre, si nous avons quelque chose à emprunter aux Franco-Ontariens, ce n’est pas seulement leur drapeau pour l’accrocher pendant quelques jours à l’Assemblée nationale, c’est leur résilience à parler français.


Les jeunes québécois doivent se rendre compte du sort possible des petites nations, qui comme disait Milan Kundera, « ne connaissent pas la sensation heureuse d’être là depuis toujours et à jamais ». Voilà ce que les décisions du gouvernement de Ford rappellent aux Franco-Ontariens et, indirectement, aux jeunes québécois.


À une époque où la mondialisation efface les cultures nationales, il ne faudrait jamais penser que nous sommes à l’abri d’une régression du français, même en 2018 et même au Québec.


Ce n’est pas ringard, ni rétrograde de le penser. Ce n’est pas de la vieille histoire : c’est un débat politique d’actualité.


Il faut parfois faire un exercice de lucidité, aussi fatiguant qu’il puisse l’être, si on souhaite conserver ce qui nous différencie.