Cher Victor-Lévy Beaulieu,
Est-ce cette campagne électorale où vous faites cavalier seul à titre de candidat indépendantiste indépendant dans la circonscription de Rivière-du-Loup et où votre simple présence littéraire réussit à relever la prose électorale aussi morne que novembre? Est-ce votre statut de célibataire en quête d'une Julie Couillard ou encore celui d'écrivain prolifique et de lecteur vorace? Ou peut-être même celui d'éditeur polémiste retiré en ses terres du Bas-du-Fleuve?
Chaque fois que je médite sur ma chère solitude, je pense à vous. Pire, je m'identifie à vous! Je partage avec vous l'amour des battures, du terroir, de notre langue, de nos origines, des chevaux, de la pipe et de la solitude, sans parler du silence qui l'accompagne souvent.
Si j'avais hérité de la moitié de votre système pileux et de votre sens du spectacle, je me coifferais d'un béret et je ferais de vous mon gourou. Je me contente de sourire en songeant à vous souvent, en vous imaginant à l'Assemblée nationale avec veaux, vaches, cochons, couvée, avec votre pipe bourrée et éteinte, contrairement à vous qui n'êtes plus bourré et constamment allumé.
Contrairement à d'autres, je ne vous prends pas pour le clown de service, loin de là. Vous seriez plutôt l'oracle du mythe. «Gonebitch» que ça nous ferait du bien une citation de Joyce ou de Ferron dans un clip aux nouvelles de 22h! Voilà qui signerait une véritable société distincte.
Incidemment, je me délecte depuis quelque temps à la lecture d'un essai où la mythologie tient une grande place et qui vous dépeint bien. Vous saviez sûrement que «muet», «mystère», «mystique » et «mythe» puisent aux mêmes origines. Je l'ai appris en lisant L'Esprit de solitude de Jacqueline Kelen (Albin Michel, 2005). Vous aimeriez, je crois; et je remercie ma mère de me l'avoir recommandé. La première phrase du livre résume l'esprit en question: «La solitude est un cadeau royal que nous repoussons parce qu'en cet état nous nous découvrons infiniment libres et que la liberté est ce à quoi nous sommes le moins prêts.»
Pour parvenir à l'indépendance à laquelle vous aspirez, cher VLB, il faudrait que chacun soit déjà souverain au fond de lui-même, ce qui n'est pas une mince tâche. Pas étonnant qu'autant d'artistes soient souverainistes, ils ont déjà parcouru la moitié du chemin car il n'y a pas de création possible sans intimité avec la solitude -- celle de l'être --, inhérente à la trajectoire humaine que vous savez si bien décrire par-devers, par monts et par vaux.
Isolement versus solitude
On confond aisément la tristesse et la souffrance associées à l'isolement avec la solitude qui, elle, est pleine de ressources cachées. «Mais notre époque, friande de grand public et de rassemblements, parle très peu de cette conduite de vie solitaire qui favorise la réflexion et affermit l'indépendance, de cette solitude belle et courageuse, riche et rayonnante, que pratiquèrent tant de sages, d'artistes, de saints et de philosophes. Comme si cette voie était réservée à quelques originaux ou tempéraments forts, comme si elle constituait l'ultime bastion de résistance face à la bêtise, au conformisme et à la vulgarité», écrit Mme Kelen, pour qui le célibat désigne un état civil, et la solitude, un état d'esprit.
Selon elle, supprimer l'état de solitude, c'est empêcher l'être humain de penser. «Vouloir étouffer ou soigner le sentiment de solitude, c'est empêcher un être humain de prendre conscience, de grandir, de faire quelque chose de sa vie. Ainsi je ne cesse de dénoncer l'obsession thérapeutique qui gouverne une société moderne sécuritaire, effrayée de vivre et hantée par la mort: il faut se protéger de tout, il faut se guérir de tout. [...] La culture en son entier ainsi que la politique deviennent, à l'égal de la médecine et de la psychologie, une seule et lancinante thérapie imposée à tous les citoyens, consentants ou non.» Ça m'a fait songer à Jean Charest, dont le slogan pourrait être: élisez-moi d'abord, je vous soignerai ensuite.
Mais je m'égare. Vous le savez, les êtres qui apprécient la solitude sont souvent considérés comme des misanthropes. Pourtant, souligne avec justesse Jacqueline Kelen, le vrai solitaire a le sens de l'amitié et ne se replie pas dans l'égocentrisme. Il peut même «servir» les autres, comme vous vous proposez de le faire. La solitude choisie est une délivrance, pas un sacerdoce. «L'amour la solitude», titrait Éluard l'un de ses poèmes. La solitude assumée permet éventuellement d'être deux plutôt que dans une fuite de soi à travers l'Autre et au prix fort.
«Vivre ainsi, c'est choisir la voie buissonnière, c'est aussi bien prendre le maquis. Et à tout instant aimer l'imprévisible. Tant que l'on n'a pas compris que la solitude est une force et une alliée, on accepte l'assujettissement et le compromis. Il n'est pas de remède à la solitude, c'est elle qui nous sauve de la médiocrité et de l'abêtissement», écrit encore l'auteure de L'Esprit de solitude, qui se porte à la défense d'une philosophie de la liberté, surtout celle de penser.
La quête du Graal
«Plus un homme monte haut, plus nombreuses sont les privations qu'il doit s'imposer. Au sommet, il n'y a de place que pour l'homme seul. Plus il est parfait, plus il est entier; et plus il est entier, moins il est quelqu'un d'autre que lui-même.» C'est de Fernando Pessoa. Ça me fait beaucoup penser à la solitude du pouvoir, du chef, du meneur de troupes. «Toute solitude renvoie toujours aux ressources secrètes et imprévisibles de l'individu», poursuit Kelen, que je pourrais vous citer par paragraphes entiers et qui ne vous percevrait certainement pas comme un asocial mais plutôt comme un disciple de Sénèque: «Ne te juge heureux que le jour où toutes tes joies naîtront de toi.» Ce n'est pas de l'égoïsme, plutôt du réalisme.
J'aimerais vous parler encore de «morale courtoise» (fermeté d'âme et élégance du coeur) mais je terminerai sur cette citation de Kelen qui vous ressemble: «Le héros du mythe est seul à "se lever" au-dessus de sa condition périssable, seul à devenir levain dans la pâte humaine et à faire surgir le printemps au coeur de la forêt désolée.»
Je salue votre courage et votre superbe indépendance d'esprit en souhaitant qu'un jour elle soit l'apanage d'un peuple plutôt que de quelques individus. Ce jour-là, j'étendrai de la confiture de fraises sur mes retailles d'hostie et je les ferai toaster des deux bords. Je vous en garde un pot, promis. Et ce n'est pas une promesse électorale.
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Noté: que Victor-Lévy Beaulieu recevait les citoyens de sa circonscription tous les dimanches après-midi, jusqu'aux élections: «Mon quartier général sera dans la grande maison que j'habite au 31, Route nationale Est, paroisse Notre-Dame-des-Neiges, à Trois-Pistoles. Tous les citoyens pourront y venir, particulièrement le dimanche à compter de 13 h: ma maison sera la leur et l'on pourra y discuter de l'indépendance "maintenant" en toute liberté.» www.vlbcandidat.org. Si la solitude mène à tant d'ouverture, chapeau!
Appris: par VLB que les candidatures de citoyens indépendants ont plus que quadruplé depuis une décennie au Québec. Signe des temps ou ras-le-bol politique?
Lu: La Grâce de solitude, des entretiens sur le sujet avec Christian Bobin, Jean-Michel Besnier, Jean-Yves Leloup et Théodore Monod (Albin Michel). «Passage obligé vers la connaissance de soi ou rançon d'une technologie de la communication qui nous isole de plus en plus, la solitude fait partie de notre vie. Hier réservée à une minorité, elle touche aujourd'hui des millions de personnes», écrit Marie de Solemme, qui dirige les échanges. Lumineux et inspirant.
Reçu: Je vivais seul, dans les bois d'Henry David Thoreau (Folio). Grand classique paru en 1854, ce livre raconte les deux années que passa Thoreau, seul, dans une maison en bois qu'il avait bâtie lui-même, au bord de l'étang de Walden, au Massachusetts. L'auteur nous donne même une idée de son budget. Nourriture, huit mois: 8,74 $...
Trouvé: dans Garnotte 2008 (Les Intouchables), une caricature de VLB avec Michaëlle Jean, la GG. Un personnage de choix, Victor-Lévy n'est pas le seul à prêter flanc à la revue de l'année sous le crayon incisif du caricaturiste du Devoir. Pour les nostalgiques de cette année en dents de scie, un must!
Aimé: Petits moments avec moi-même (Tornade). Un joli cadeau à offrir (s'offrir?) sous forme de journal intime mais avec des inscriptions tout à fait rigolotes et originales qui aident à mieux se découvrir. «Les dix métiers qui m'iraient comme un gant», «Les derniers mots que je pourrais prononcer au moment de mourir», «Les détails qui tuent l'amour», «Titre des poèmes que je peux déclamer dans leur intégralité», «Mes plans les plus foireux». Charmant.
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Voluptueusement solitaire!
par Victor-Lévy Beaulieu
Quand je suis venu au monde, la sage-femme n'a pas eu besoin de me couper le cordon ombilical: je l'avais fait avant elle. Quand j'ai appris à écrire, ça a été de la main gauche. Grâce à mon père qui vint avec moi un jour à l'école pour dire au frère directeur: «Mon fils est gaucher, je pense qu'il va l'être toute sa vie et, à compter d'aujourd'hui, je ne voudrais plus en entendre parler», j'eus seul dans toute l'école le droit de n'être pas maladroit. Mais on me mit au fond de la classe, près d'une fenêtre qui fermait mal, de sorte que j'y gelais comme un rat. J'ai alors compris ma différence par-devers les autres et je suis vite devenu autonome, rebelle et solitaire.
Je n'ai pas mis de temps à comprendre qu'être solitaire est l'acte ultime de la voluptueuse liberté. Lorsque mes parents étaient cultivateurs, je défrichais moi-même mon lopin de terre dans les écores de la Boisbouscache et je plantais partout plein d'arbres (que mes frères se plaisaient à arracher). J'apprivoisais aussi les animaux sauvages, ce qu'on ne peut faire que si on maîtrise la solitude, la sienne et celle des bêtes vivant en forêt.
Je suis le sixième d'une famille de treize enfants. Cela a été une chance. Je n'ai pas eu à subir l'inexpérience de mes parents, de sorte que j'ai pu me lâcher lousse dans la vie et agir selon mon corps et mon esprit. À dix-neuf ans, j'ai été atteint par la poliomyélite et j'ai passé près de trois mois couché sur un panneau de bois, des sacs de sable sur les genoux. Même mes camarades ne venaient pas me voir à l'hôpital. Les livres que je lisais et les bouts de romans que j'écrivais ont compensé: écrire est un acte voluptueusement sexuel.
Je me suis marié une fois, puis me suis accoté sans succès. Je crois maintenant savoir pourquoi. Enfant, j'ai été fasciné par cette vieille Chinoise dont les yeux exprimaient l'habitation d'une si profonde et tranquille solitude que c'en était de toute beauté. J'aurais voulu me marier avec une Chinoise, mais les Chinoises ne passent pas souvent par Trois-Pistoles. Récemment, en regardant les fabuleuses photos de Hans Silvester sur l'Éthiopie, j'ai reconnu chez certaines femmes de la vallée de l'Omo ce regard qui m'a tant impressionné dans mon enfance. Aujourd'hui, je me marierais volontiers avec l'une de ces Éthiopiennes, mais comme les Chinoises, elles ne passent pas souvent par Trois-Pistoles.
Aussi, je vis pleinement, et pour ainsi dire amoureusement, la solitude qui est la mienne. Quand elle ne m'embrasse pas, elle m'embrase!
Trois-Pistoles, le 25 novembre 20088
Souveraine solitude
Lettre à un candidat de Trois-Pistoles
Spécial Élection Québec 2008
Victor-Lévy Beaulieu84 articles
Victor-Lévy Beaulieu participe de la démesure des personnages qui habitent son œuvre. Autant de livres que d'années vécues, souligne-t-il à la blague, comme pour atténuer l'espèce de vertige que l'on peut éprouver devant une œuvre aussi imposante et singul...
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Victor-Lévy Beaulieu participe de la démesure des personnages qui habitent son œuvre. Autant de livres que d'années vécues, souligne-t-il à la blague, comme pour atténuer l'espèce de vertige que l'on peut éprouver devant une œuvre aussi imposante et singulière. Une bonne trentaine de romans, une douzaine d'essais et autant de pièces de théâtre ; des adaptations pour la télévision
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