Fauché, le gouvernement du Québec a trouvé une alliée richissime pour financer de coûteux projets de transports collectifs dont a désespérément besoin Montréal. La Caisse de dépôt et placement (CDP) deviendra bientôt le bailleur de fonds et le gestionnaire de projets d’infrastructures au Québec, comme le SLR sur le futur pont Champlain et le train de banlieue pour desservir l’ouest de l’île de Montréal.
C’est ce qu’annonceront conjointement le premier ministre Philippe Couillard et le président de la CDP, Michael Sabia, ce matin dans l’atrium de la Caisse à Montréal. L’annonce de « l’entente commerciale », qu’on a voulu garder sous le boisseau le plus longtemps possible, réunira aussi le maire de Montréal Denis Coderre, le ministre des Finances Carlos Leitao et son collègue au Trésor, Martin Coiteux, a appris La Presse de plusieurs sources.
Les annonces communes de la Caisse et du gouvernement ne sont pas courantes – la CDP est jalouse de son autonomie vis-à-vis des décideurs politiques. Aussi MM. Couillard et Sabia marcheront sur des œufs quand ils définiront les rapports à venir entre Québec et le bas de laine des Québécois. Jamais dans le passé le gouvernement n’avait pu ordonner à la Caisse de procéder à un investissement particulier ; celle-ci était libre de toutes ses décisions sans considérations politiques.
L’entente suppose l’adoption d’un projet de loi à l’Assemblée nationale pour permettre à la CDP de faire au Québec ce qu’elle peut déjà faire à l’étranger – elle a déjà près de 10 milliards de dollars d’investissements en infrastructures en dehors du Québec.
Une fois la loi adoptée, le gouvernement pourra « confier des projets à la CDP, lui permettra d’en devenir le maître d’œuvre, l’opérateur ». Le gouvernement va continuer à choisir les projets, à décider de leurs orientations et de leurs échéanciers. La Caisse fera ses études et pourra les réaliser dans le même environnement réglementaire que les autres entrepreneurs au Québec.
On comprend que la Caisse ne s’engagera pas dans un financement précis et n’annoncera pas formellement des projets aujourd’hui. Les deux projets du SLR et du train de l’Ouest monopoliseront l’attention, mais d’autres pourraient être définis. Avec cette alliée richissime, Québec pourra toutefois faire transférer à la CDP une bonne partie du financement.
Une étude de la Banque Nationale, cet automne, évaluait que les bénéfices que pourrait tirer la Caisse comme investisseur foncier avec de tels projets permettraient à l’institution de financer jusqu’à 35 % de leur coût.
Les deux projets montréalais, le SLR (système léger sur rail) du pont Champlain et le train de l’Ouest, sont en panne faute de financement. Enferré dans des discussions avec Ottawa, Québec s’était résolu à se contenter d’une liaison par bus pour l’avenir prévisible sur le futur pont Champlain, compte tenu de la facture d’un SLR, qui atteindrait plus de 2 milliards.
Pour le train de l’Ouest, en campagne électorale, Philippe Couillard s’était engagé à terminer le projet pour relier le centre-ville et la municipalité de Vaudreuil-Dorion, traversant donc toute la partie ouest de l’île de Montréal. Encore là, le projet coûtait au bas mot 1 milliard, voire davantage, selon le parcours et le nombre de gares, une facture trop élevée pour un gouvernement qui paie déjà 11 milliards par année en service de la dette.
L'ATTRAIT DE LA VALEUR FONCIÈRE
L’investissement intéresse la CDP, qui pourra en tirer des revenus de deux sources : d’une part, elle pourrait obtenir une partie de la tarification, sa quote-part sur le prix des billets, un revenu lié à l’achalandage. D’autre part, elle bénéficiera de la plus-value foncière des investissements immobiliers semés sur le parcours des nouveaux circuits.
Cette filière de la valeur foncière était au centre d’une étude commanditée par la Banque Nationale, l’automne dernier. Le Dr George Hazel, expert international dans le domaine des transports collectifs, y propose que les investisseurs institutionnels, comme la Caisse de dépôt, puissent contribuer au financement de ces projets onéreux. La BN relevait d’ailleurs déjà que le SLR sur le pont Champlain et la desserte ferroviaire vers l’aéroport de Dorval et l’Ouest-de-l’île étaient constamment remis aux calendes grecques, le gouvernement ne voulant pas ajouter à la dette.
L’étude de la Banque Nationale tablait uniquement sur la plus-value foncière, et visait à « établir la hausse des profits estimée d’un investissement immobilier avec l’arrivée, par exemple, d’une nouvelle gare dans un quartier. Les promoteurs s’entendent ensuite avec les instances gouvernementales pour financier une partie des infrastructures publiques requises ». La Ville de Brossard, favorable à un lien rapide entre le DIX30 et le centre-ville, avait participé à l’étude. On estimait alors que la Caisse pourrait financer jusqu’à 35 % du projet.
À Londres, le projet Crossrail, un réseau ferroviaire pour désengorger la capitale britannique, est en construction au coût de 26 milliards de dollars. Les investisseurs institutionnels prendront 30 % de la facture, tirant profit de la construction de 10 nouvelles stations. À New York, pour le prolongement de la ligne 7 du métro, le secteur privé contribue aussi au financement du transport collectif, le Hudson Yards, actuellement le plus gros chantier immobilier en Amérique.
L’étude de la Banque Nationale tablait sur « un changement de culture » pour faire en sorte que les responsables de transports collectifs comme la STM ou l’AMT génèrent des revenus qui ne dépendraient pas des contribuables ou des automobilistes. Actuellement, seulement 1 % des revenus de l’AMT et 3 % des revenus de la STM proviennent du privé. En comparaison, la société de transport de la ville de Hong Kong touche 40 % de ses revenus grâce au privé qui, en retour, profite de « la captation de la plus-value foncière ».
Au Québec, une étude réalisée aux environs des gares de trains de la ligne vers Mont-Saint-Hilaire a démontré qu’en trois ans, les résidences situées à moins de 1500 mètres auraient vu leur valeur augmenter de 5 % à 13 %.
Avec la collaboration d’Hélène Baril et de François Cardinal
CDP : UN IMPORTANT PORTEFEUILLE D'INFRASTRUCTURES
Investir dans les infrastructures est devenu un réflexe naturel pour la Caisse et les grands fonds de retraite, parce que ces investissements assurent des rendements sûrs et constants à long terme, une aubaine pour un gestionnaire qui doit jouer à la fois sur la croissance et la stabilité.
Depuis 2010, la Caisse a un portefeuille d’infrastructures qui atteignait plus de 8 milliards au 31 décembre 2013, année où son rendement a été de 10,6 %. La Caisse a des intérêts dans Enbridge, l’aéroport d’Heatrow, à Londres, le port australien de Brisbane ainsi que dans des parcs éoliens aux États-Unis, au Canada et au Québec.
Répartition de ces investissements par secteur
Énergie : 44,8 %
Industrie : 45,8 %
Services aux collectivités : 5,7 %
Autres : 3,7 %
Répartition géographique
Québec : 8,9 %
États-Unis : 24,7 %
Europe : 46,1 %
Asie : 18,7 %
Source : Caisse de dépôt et placement du Québec (les derniers chiffres officiels sont ceux de 2013, les résultats de 2014 seront connus en février ou mars).
NOUVEAU PONT CHAMPLAIN
SLR : La caisse de dépôt à la rescousse
La CPD financera des projets d'infrastructures au Québec
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