« Les Anglos sont meilleurs » titrait le Journal de Montréal (JdeM), le 14 février, en publiant son premier classement des cégeps. Autant en sciences humaines qu’en sciences de la nature, les trois premières places en termes de taux de diplomation à la sortie et de moyennes générales à l’entrée sont détenues par des cégeps anglais. Ils sont aussi dans le « top trois » des programmes techniques.
Le lendemain, le JdeM faisait éclater une autre bombe. Dawson College, le cégep le mieux coté de ce palmarès, avouait ne répondre positivement qu’à seulement 30 % des demandes d’admission au premier tour. Cette donnée est le « smoking gun », la pièce à conviction manquante pour finaliser le portrait de la dynamique linguistique dans le réseau collégial. Cette dynamique est la suivante: il y a à Montréal (et à Québec) une ruée massive vers le collégial anglophone.
10 000 demandes d’admission à Dawson
Dawson College est, de loin, le plus gros cégep à Montréal. Cette année, il accueille 8 207 étudiants temps plein (11 000 en incluant la formation continue). Si Dawson arrive à combler 8 207 places en acceptant seulement 30 % des demandes d’admission, et qu’environ 40 % de l’effectif collégial est renouvelé chaque année (la moitié de l’effectif au préuniversitaire et le tiers dans les programmes techniques), cela signifie que Dawson reçoit près de 10 000 demandes d’admissions au premier tour chaque année ! Une proportion importante (20 %) des étudiants qui s’inscrivent au collégial à Montréal font une demande de premier tour à Dawson. Ces demandes reflétant les souhaits des étudiants, cela signifie que la demande pour l’anglais est absolument massive, renversante. Dawson refuse plus de 6 000 étudiants par année et plusieurs d’entre eux se retrouvent dans les cégeps français. Malgré eux !
Ce n’est pas tant « l’excellence » de Dawson qui attire (car il n’y a aucune surprise ici : recruter des étudiants avec des moyennes supérieures à l’entrée conduit à des taux de diplomation supérieurs à la sortie), mais sa langue d’enseignement : l’anglais.
La demande pour de la formation postsecondaire en anglais au Québec, et à Montréal en particulier, est en train d’exploser. Le Cégep de la Gaspésie et des Îles a choisi d’ouvrir un campus exclusivement anglophone à Montréal en 2017 et compte 2 500 étudiants après seulement trois ans. Ce n’est pas un hasard.
Il faut regarder les choses en face. Nous assistons actuellement à l’effondrement du prestige du français comme langue d’enseignement au postsecondaire à Montréal. Il y a un « sauve-qui-peut » vers l’anglais. Le seul facteur qui limite la croissance du secteur anglophone (et qui freine la chute du secteur francophone), c’est le béton ! Il est impossible de construire des pavillons assez rapidement pour répondre à la demande au collégial anglais. La vitalité du français à Montréal repose sur le béton ! Du moins, pour un temps encore.
Les vraies raisons
Selon l’expert consulté par le JdeM, « une communauté ‘‘tissée serrée’’ et l’importance accordée à l’école peuvent expliquer le succès des anglophones tant à l’école secondaire qu’au cégep ». Une explication qui élude soigneusement les « vraies affaires ». La véritable raison qui structure toute la patente, c’est le désir d’anglais.
Deux facteurs expliquent la surperformance des anglophones. Premièrement, c’est la perpétuation d’une domination historique. Au Québec, les anglophones ont toujours été beaucoup plus riches et plus éduqués que les francophones, souvent cantonnés au rang de « porteurs d’eau et de scieurs de bois ». Avec la Révolution tranquille, l’écart s’est rétréci, mais la domination n’a pas été renversée, car les anglophones ont haussé leur niveau d’éducation presque aussi rapidement que les francophones.
Deuxièmement, les écoles primaires et secondaires anglophones n’accueillent pas autant d’immigrants que les écoles francophones. Certains d’entre eux disposent d’un faible capital social – ce qui est parfaitement compréhensible – et le taux de diplomation des immigrants de première génération est inférieur à celui du reste de la population[1]. La loi 101 améliore donc le taux de diplomation des anglophones !
Au cégep, le raisonnement est complètement différent. D’ailleurs, comment l’argument de la « communauté tissée serrée » pourrait-il être un facteur explicatif des succès scolaires des cégeps anglophones, alors que les anglophones sont minoritaires dans leurs cégeps depuis 2001 ? Leur meilleure performance résulte de la ruée vers les cégeps anglais, qui leur permet de sélectionner seulement les meilleurs étudiants.
De sombres perspectives
Revenons au point de départ. Pourquoi ce désir immodéré de s’inscrire au cégep anglais ? Parce que les jeunes sentent et comprennent bien que le français est en perte accélérée de prestige et de statut à Montréal. Faire des études postsecondaires en français, c’est risquer de se retrouver avec un diplôme de faible valeur provenant d’institutions de second rang, de se fermer des portes, de rabougrir son avenir. Au moment de choisir leur cégep, les étudiants le savent et agissent conséquemment. C’est une sorte de prophétie autoréalisatrice. Plus les étudiants se ruent vers le réseau anglais, plus le diplôme anglais prend de la valeur et plus le diplôme français en perd.
Il est difficile d’exagérer les conséquences de cet état de fait sur la dynamique linguistique à Montréal. Il est prévisible que le recul du français à Montréal va s’accélérer dans les années à venir. Le français langue commune ? Non ! L’anglais, langue commune.
Étendre les dispositions scolaires de la loi 101 au moins au niveau collégial (il faut réaliser que la même dynamique est présente dans les universités) est d’une urgence absolue. Si cela n’est pas fait très bientôt, le réseau postsecondaire français à Montréal n’aura d’autre choix que de s’angliciser pour survivre. Si cela se produit, ce sera la fin du Québec français. Tout simplement.
[1] Voir tableau 5 http://www.education.gouv.qc.ca/fileadmin/site_web/documents/PSG/statistiques_info_decisionnelle/taux-diplomation-secondaire-CS-2019.pdf