Robert Lemieux (1941-2008) - L'avocat du FLQ s'éteint

Robert Lemieux (1941-2008)

L’avocat et militant indépendantiste Robert Lemieux, un ardent défenseur des membres du Front de libération du Québec (FLQ), s’est éteint durant son sommeil à son domicile de Sept-Îles, dans la nuit de dimanche à hier.
M. Lemieux, 66 ans, a été retrouvé hier matin par sa conjointe, Johanne, inerte sur un sofa. Il s’était rendu récemment à l’hôpital en se plaignant de maux de tête et de problèmes de vision. Selon les premières constations des policiers de la Sûreté du Québec (SQ), appelés sur les lieux en matinée, il s’agit d’une mort naturelle. Un décès qui prive le Québec d’un deuxième pilier des droits civiques, deux mois après le décès de l’ex-juge en chef de la Cour suprême, Antonio Lamer.

«C’est une curieuse coïncidence qu’il soit décédé le jour de l’anniversaire de naissance de Martin Luther King. C’était lui aussi un défenseur des libertés publiques au premier degré», fait remarquer l’ex-felquiste Paul Rose. Toute sa vie, Me Lemieux a gardé des contacts avec ses anciens clients du FLQ qu’il a entraînés dans de véritables procès politiques dans les années 70. «Il a fait ces procès en respectant les convictions des gens, et non pas en leur faisant nier leurs gestes, explique Paul Rose. Il avait beaucoup de respect pour l’engagement politique, social et culturel des accusés qu’il défendait.»
Dans la tourmente d’octobre 70
Reçu au Barreau en 1966, Robert Félix Lemieux était promu à une brillante et lucrative carrière d’avocat au terme de ses études parmi les «Anglais» à l’université McGill. Parfaitement bilingue, il décroche un poste au sein du cabinet O’Brien, Home, Hall, Nolan, Saunders, O’Brien et Smythe. En 1966, les Vallières et Gagnon d’un certain Québec en ébullition sociale et politique le détournent irrémédiablement de la pratique conventionnelle du droit. Le Comité d’aide au groupe Vallières-Gagnon, fondé par Jacques Larue-Langlois, cherche de l’aide. Pierre Vallières et Charles Gagnon, les deux principaux idéologues du FLQ, ont été arrêtés à New York lors d’une manifestation devant le siège social de l’ONU. Rapatriés au Canada, ils sont accusés de meurtre en raison de leurs écrits révolutionnaires (c’était avant l’adoption des chartes des droits).
Âgé de 25 ans, Robert Lemieux est «déprimé» chez O’Brien, Haume, Hall, Nolan, Saunders et Smythe. D’autant plus qu’il est un indépendantiste de la première heure qui milite au sein du Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN) de Pierre Bourgault. Il se tourne donc vers l’assistance judiciaire (l’ancêtre de l’aide juridique) pour obtenir des mandats au criminel. Il tombe par hasard sur le dossier de Vallières et Gagnon qu’il accepte de représenter. Le livre de Vallières, Nègres blancs d’Amérique, constitue à ses yeux «un chef-d’œuvre de littérature révolutionnaire». Le jeune avocat mène avec succès son tout premier procès politique et il obtient l’acquittement des deux têtes pensantes du FLQ, ce qui lui vaudra d’être congédié du cabinet O’Brien, Haume, Hall, Nolan, Saunders et Smythe en 1968.
Me Lemieux gagne en notoriété lors de la crise d’octobre 1970, à la suite de l’enlèvement du ministre Pierre Laporte, en agissant à titre de négociateur du FLQ auprès du gouvernement. Il était hors de question qu’il se fasse conduire aux séances de négociation par des policiers de la Sûreté du Québec (SQ). Un jeune reporter judiciaire prometteur, Claude Poirier, devient donc son chauffeur attitré pendant la durée de la crise. La Loi des mesures de guerre, et l’emprisonnement de centaines de militants indépendantistes sans histoire de violence, constitue l’épreuve la plus pénible de sa carrière.
Robert Lemieux a payé un prix pour sa solidarité avec les felquistes. Avec Pierre Vallières, Charles Gagnon, Michel Chartrand et Jacques Larue-Langlois, il est accusé d’appartenance au FLQ et de conspiration séditieuse pour renverser le gouvernement du Canada. À la suite de l’acquittement de Gagnon et de Larue-Langlois lors d’un premier procès, les accusations contre les trois autres seront retirées au fil du deuxième procès. Me Lemieux défendra par la suite de nombreux membres du FLQ impliqués dans les événements d’octobre 70. «Les juges le haïssaient à mort. Il les avait tous contre lui, à part peut-être un ou deux. C’était un plaideur très humain, très authentique. C’était sa force. Un gars ne pouvait pas lui conter n’importe quoi», se souvient Paul Rose.
La célébrité pesait lourd sur ses épaules. Tombé sous le charme de Sept-Îles, ce Montréalais d’origine y déménage en 1974... pour ne jamais en revenir. Lemieux appréciait la mer, les kilomètres de plage sans fin et les grands espaces de la Côte-Nord. Il a vécu pauvrement de son propre aveu, en travaillant momentanément dans une station service, à une époque où il avait des ennuis avec le Barreau du Québec. Robert Lemieux a cependant pratiqué le métier d’avocat toute sa vie, notamment dans le droit du travail et le droit de la famille. Grâce à ses talents de négociateur, il a parfois ramené l’harmonie au sein de couples brisés en apparence, relate Paul Rose. «Ça ne lui donnait pas d’argent, parce que, là, il perdait sa cause. Mais c’était un homme de principe, un des rares avocats qui ne pensaient pas seulement à l’argent», affirme Paul Rose.
Robert Lemieux a continué de défendre certains clients à Montréal, dont Hans Marotte. En 1988, le jeune étudiant devait répondre de 86 accusations pour avoir déroulé une banderole sur la croix du mont Royal et vandalisé des commerces qui ne respectaient pas la loi 101. Me Lemieux avait très bien su demeurer dans le cadre légal, tout en faisant un autre procès politique, cette fois sur la survie du français, se rappelle Hans Marotte. Celui-ci a été condamné à des travaux communautaires pour 33 accusations de méfaits. Par un merveilleux tour de passe-passe, l’accusation la plus importante, concernant la bannière apposée sur la croix du mont Royal, a été retirée. Robert Lemieux avait réussi à semer la pagaille. «Plus personne ne savait à qui appartenait la croix. Plus personne ne pouvait dire si elle avait été donnée ou prêtée à la Ville par la Société Saint-Jean-Baptiste. Donc, il n’y avait plus de victime!», raconte Hans Marotte en en riant encore.
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