Lettre ouverte au Devoir, suite au décès de Robert Lemieux

Est-il donc possible que ces gens du Devoir soient sérieux ?

Rapprocher un être de la trempe de Robert Lemieux à un juge en chef de la Cour suprême du Canada, fût-il habité du Saint-Esprit, voilà qui ne manque pas d’audace.

Robert Lemieux (1941-2008)

Lettre ouverte au Devoir, suite au décès de Robert Lemieux, avocat et camarade, concernant l’article afférent publié par le journal susmentionné.
À la sympathique équipe de gais lurons du Devoir en général, et à M. Bernard Descôteaux, éditeur, en particulier :
Messieurs dames,
Comment vous décrire l’émotion qui m’a étreint à la lecture de votre désopilant article sur la mort de Robert Lemieux, qui comme vous nous le rappeliez fut l’avocat du Front de Libération du Québec, en plus d’avoir été accusé de conspiration séditieuse lors du fameux procès des Cinq.
L’ensemble de ce papier, signé par M. Bryan Miles, est somme toute plutôt honnête. Je n’ai pourtant pas pu m’empêcher d’y relever cette perle : « Un décès qui prive le Québec d’un deuxième pilier des droits civiques, deux mois après le décès de l’ex-juge en chef de la cour suprême, Antonio Lamer. »
Rapprocher un être de la trempe de Robert Lemieux à un juge en chef de la Cour suprême du Canada, fût-il habité du Saint-Esprit, voilà qui ne manque pas d’audace. Vous auriez pu aussi substituer à l’Honorable trépassé cet autre grand homme, réputé par tout le Canada comme un chevalier des droits individuels, l’immortel Pierre Trudeau.
Rapprocher un homme que les révolutionnaires québécois n’avaient pas peur d’appeler camarade de celui qui l’a fait mettre en prison en compagnie de cinq cents personnes innocentes, ou de celui qui était chargé d’appliquer les lois du Régime qui ont rendu possible un tel crime d’État, après tout pourquoi pas ?
Moi qui croyais que La Presse était le seul journal satyrique à Montréal ! Les bouffonneries de cet organe, le ridicule consommé de sa ligne éditoriale qui éclabousse d’une crème rancie chacune de ses pages, sont depuis longtemps reconnus. Mais le Devoir ?
J’avoue que depuis un moment j’entretenais certains doutes à votre égard, comme d’autres peut-être parmi votre lectorat. Était-ce avant ou après que vous nous ayez demandé si le « pacifisme québécois » - c’est-à-dire ici le refus de participer au carnage pétro-politique au Proche Orient – constituait une « pathologie » ? Ou quand vous avez intimé que ceux qui s’opposaient aux changements climatiques étaient aussi atteints de maladie mentale ? À moins que ce ne soient vos délirantes charges contre « le démagogue Chavez », accusations qui seraient plus susceptibles de porter si elles ne s’accompagnaient pas d’une défense systématique de l’inattaquable bonne foi d’autres démagogues, pour peu qu’ils parlent la langue de Nixon ou de l’impératrice Victoria ?
Oui, depuis un bon moment je m’interroge : mais est-il donc possible que ces gens du Devoir soient sérieux ? Votre papier sur Lemieux apporte enfin une réponse, pour laquelle le Québec entier doit vous être reconnaissant : oui, décidément, le périodique d’Henri Bourassa n’est plus qu’une pantalonnade. Je me permettrais d’applaudir si mes mains n’étaient pas cramponnées à mon estomac. Ainsi me permettrai-je simplement de vous rappeler non pas votre devise mais celle d’une autre grande institution humoristique, disparue elle aussi, mais dont vous vous souvenez sans doute :
« C’est pas parce qu’on rit que c’est drôle. »
Votre dévoué,
Christian Maltais, être humain.


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2 commentaires

  • Jacques A. Nadeau Répondre

    25 janvier 2008

    Cette confusion à laquelle se réfère Me Ferretti porte un nom précis en psychologie. Il s'agit de dissonance cognitive .
    La particularité du Devoir est que cette dissonance n'est pas uniquement attribuable au "colonialisme". Elle est, de toute évidence, et particulièrement depuis le départ de Lise Bissonnette, alimentée (également?) par une frilosité à laquelle plusieurs lecteurs de longue date n'arrivent pas à s'habituer. Ils s'y résignent faute de mieux.
    La peur de perdre sa crédibilité auprès de ses pairs et des puissants. La crainte de froisser ceux que l'on courtise. La perception d'être très fragile en tant que dernier rempart de la presse indépendante commanderait l'extrême prudence. Avec comme conséquence de toujours tenter d'"équilibrer" et de "modérer", d'être "objectif". Sans le dire. La plupart du temps, en forçant la note.
    C'était écrit
    En effet, qui ne se souvient pas de la longue saga successorale à la tête de ce quotidien suite au départ de Mme Bissonnette, il y a bientôt 10 ans, et qui se termina par le choix du plus improbable candidat comme directeur. Le lendemain, La Presse titrait «Tout ça pour ça!». Aujourd'hui, plusieurs, gorges nouées, lisent Le Devoir en diagonale. Faute de mieux.
    Jacques A Nadeau

  • Archives de Vigile Répondre

    25 janvier 2008

    Je ne connais pas Brian Myles, mais je soupçonne qu'il s'agit, tout comme vous, d'un jeune homme.
    Qui, par conséquent, ne peut connaître tous les faits de notre histoire récente, puisqu'elle n'est pas encore l'objet des études des historiens sérieux (écrire l'histoire de manière scientifique demande du recul), d'une part, puisque vous ne l'avez évidemment pas vécue, d'autre part.
    Pourtant, cher Cristian Maltais, à l'inverse de Brian Myles, vous avez détecté l'aberration d'une comparaison entre l'avocat Robert Lemieux et le Juge Antonio Lamer.
    En 1970 et 1971, le premier défendait concrètement les droits humains des victimes québécoises du droit colonial canadien, le second défendait le visage faussement démocratique du droit canadien contre les indépendantistes.
    Ainsi, je fus une des prisonnières, pendant 51 jours, en vertu de la Loi sur les mesures de guerre, inhérente au Droit Canadien, qui fut libérée, le 10 décembre 1970, par le juge Antonio Lamer, qui, du haut de son pouvoir, prononça avec la condescendance de la bonne conscience du juste, un "Nolle proséqui", c'est-à-dire pas matière à procéder, sans me présenter la moindre excuse pour mon injustifié enfermement.
    C'est, à mon avis, cher Christian Maltais, ce qui était à dénoncer: la confusion. Cet effet funeste -et séculaire- du colonialisme, qui affecte Le Devoir, comme toutes nos autres institutions et organisations, à commencer par le Parti québécois.
    Cela dit, permettez-moi de vous féliciter pour savoir saisir l'essence de la situation.
    Andrée Ferretti.