Quand l'écrivain Mordecai Richler est mort, en 2001, la presse anglophone a passé sous silence ses écrits dénigrant le Canada alors qu'il vivait à New York et à Londres. Il faut dire que depuis son retour au pays, M. Richler avait délaissé le nationalisme et la culture du Canada anglais pour tourner son attention - et sa plume vitriolique - vers les Québécois. D'autant que la communauté juive, qui a l'habitude d'élever des autels à la gloire de ceux qui ont eu du succès parmi ses rangs, peu importe la manière dont ils l'ont obtenu, lui avait depuis longtemps pardonné ses écrits de jeunesse acerbes à son endroit.
Pour ma part, j'ai toujours pensé que M. Richler aurait dû avoir honte de faire le sale boulot d'une majorité de Canadiens contre une des minorités du pays, étant lui-même issu de la communauté juive minoritaire. Mais il est manifestement plus rentable de tourner les Québécois en ridicule quand vous voulez vendre des livres en anglais. Et il est encore plus facile pour l'auteur d'une nécrologie de reproduire les écrits de M. Richler sur les Québécois que de confronter les lecteurs canadiens à ce qu'il avait écrit au sujet de la pauvreté de leur culture et de leur vie intellectuelle.
J'évoque cette histoire parce qu'un phénomène semblable se produit aujourd'hui à la faveur des discussions sur les accommodements raisonnables. À lire uniquement la presse de langue anglaise, on pourrait penser qu'il n'y a qu'au Québec que la tolérance d'une société est défiée par l'immigration des 30 dernières années.
Mon Oxford English Dictionary définit la tolérance comme «une disposition à la patience ou à l'indulgence envers les avis ou les pratiques des autres; une absence de bigoterie ou de sévérité anormale à l'encontre de la conduite des autres; patience; catholicité de l'esprit». Franchement, ce n'est pas un mot que j'utilise couramment, car il renferme l'idée qu'une minorité est moins digne que la majorité, ce que je récuse. Je préfère utiliser le mot «respect», qui porte une connotation d'égalité. Mais dans le contexte actuel au Canada, je peux très bien m'accommoder du mot «tolérance».
En Ontario, un gouvernement libéral a récemment été réélu après que le premier ministre Dalton McGuinty eut profité d'une bourde de son adversaire conservateur. M. McGuinty a réussi à convaincre les électeurs que même si les subventions publiques en faveur des écoles catholiques sont «casher», l'extension de ce principe aux écoles d'autres confessions ne pourrait mener qu'à de la «ségrégation». Et si quelqu'un doutait encore de la minorité que M. McGuinty avait à l'esprit, précisons qu'il a fait explicitement référence aux attaques terroristes à Londres et à Madrid. Depuis, personne ne semble avoir pu démontrer, du moins efficacement, que le Canada et les États-Unis - deux sociétés d'immigrés - ont justement échappé au terrorisme en raison de la tolérance et des accommodements mutuels qui sont au coeur de leurs moeurs.
Récemment, un vent d'intolérance similaire a soufflé sur les Rocheuses. «Si vous immigrez dans ce pays et n'en aimez pas les règles [...], nous n'avons pas besoin de vous ici. Vous avez un autre endroit où aller, et c'est chez vous!», a déclaré Bruce Allen dans un éditorial diffusé sur les ondes de la station de radio CKNW, à Vancouver.
M. Allen est un homme averti; c'est le gérant des chanteurs Bryan Adams et Michael Bublé. Il devrait donc être en mesure de doser ses propos. Toutefois, le plus dérangeant reste certainement le silence de nos représentants élus, à l'exception de ceux issus des communautés culturelles. Et le manque de leadership de la part des premiers ministres Gordon Campbell et Stephen Harper sur ce point est encore plus inquiétant.
Pourquoi insister sur ces deux politiciens? Parce que M. Allen, quelques jours avant son éditorial, avait été nommé membre d'une équipe de planification des cérémonies des Jeux olympiques de 2010. Par leur silence, les premiers ministres de la Colombie-Britannique et du Canada disent donc implicitement que M. Allen, malgré ses opinions tranchées, peut être partie prenante d'un projet financé par les deniers publics et conçu pour faire rayonner l'image de notre province et de notre pays à travers le monde.
Aujourd'hui, M. Campbell se fait certes le partisan d'un nouveau rapport avec les autochtones. Cependant, comme la chef Kim Baird de la nation tsawwassen nous l'a rappelé lors de son discours à la législature, ce nouveau rapport exigera un esprit d'accommodement. Par contre, M. Campbell est peu disposé à sanctionner les trois députés de son caucus qui s'opposent au traité avec les Tsawwassens, en dépit des engagements électoraux de son parti.
Je comprends que beaucoup de Canadiens puissent préférer se concentrer sur ce qui est dit et écrit au Québec plutôt que d'avoir à affronter l'intolérance qui sévit chez eux. Et il est beaucoup plus facile de critiquer la loi proposée par un parti souverainiste que d'interroger l'intolérance autrement plus inquiétante au coeur des amendements proposés par le premier ministre Jean Charest. Mais nous sommes tous dans le même bateau. Il serait sage pour les nouveaux immigrants de se concentrer sur l'amélioration de leurs conditions de vie et d'éviter de faire des demandes excessives d'accommodements. Et pour ceux d'entre nous qui sont ici depuis plus longtemps, il serait préférable de ne plus être distraits par la façon dont nos voisins s'habillent ou par ce qu'ils mangent. L'important est de préserver l'égalité des chances et de porter toute notre attention sur les autres valeurs qui nous lient tous ensemble, au premier chef cet endroit béni sur Terre qu'est le Canada.
Norman Spector est chroniqueur politique au Globe and Mail.
----
(Version anglaise parue dans The Gazette)
Reasonable-accommodation debate not limited to Quebec
Ontario and B.C. also have problems dealing with minorities
NORMAN SPECTOR, Freelance
vendredi 2 novembre 2007
When Mordecai Richler died in 2001, most English-language obituaries omitted the nasty things he had written about Canadians while living in London and New York. In part, that's because Richler had ceased denigrating Canadian nationalism and culture and had turned his attention to Quebec by the time he returned home. And the Jewish community, which sometimes displays a tendency to worship at the altar of success in its ranks no matter how that success is gained, had long ago forgiven his youthful writings about its various foibles.
For my part, I always thought that, as a Jew, Richler should have been ashamed of doing the dirty work of the majority against another minority. But how much easier it is to ridicule Quebecers when you must sell books in English to earn your living. And how much easier it was for obituary writers to reproduce Richler's writings on Quebecers, rather than to force readers to confront what he had written about the shortcomings of their culture and intellectual life.
I bring up this history because a similar phenomenon is evident today in the discussion of reasonable accommodation. With what's being written and said, you'd think it's only in Quebec that a society is being challenged by the heavy immigration we've experienced during the past 30 years. Yet many Canadians would clearly prefer not to confront the intolerance in their own midst. And how much easier it is to criticize the legislation proposed by the sovereignist Parti Québécois than to address the much greater intolerance at the heart of the amendments being proposed by Premier Jean Charest.
My Oxford English Dictionary defines tolerance as "the disposition to be patient with or indulgent to the opinions or practices of others; freedom from bigotry or undue severity in judging the conduct of others; forbearance; catholicity of spirit." And, to be frank, "tolerant" is not a word I normally favour, as it implies a minority group is less worthy than the majority. "Respect," on the other hand, carries a connotation of equality. But, in today's climate, I'd settle for tolerance.
In Ontario, a Liberal government under Premier Dalton McGuinty was recently re-elected after persuading voters that, while public funding of Catholic schools is kosher, extending the principle to schools run by other religious faiths - as his Conservative opponent proposed - would lead to "segregation." Lest anyone doubt which minority he had in mind, McGuinty alluded to terrorist attacks in London and Madrid. No one seems to have pointed out, at least not effectively, that Canada and the United States - both immigrant societies - have escaped home-grown terrorism precisely because of the tolerance and mutual accommodation that is at the heart of both societies.
Recently, the ill wind of intolerance crossed the Rocky Mountains into British Columbia, where I live. "If you're immigrating to this country and you don't like the rules ... hit it," Bruce Allen declared in an editorial on Vancouver radio station CKNW. "We don't need you here. You have another place to go - it's called home. See ya."
Allen is no rube: He's the manager of singers Bryan Adams and Michael Bublé, and should know better. However, more disturbing was the silence of our elected representatives, other than some politicians of a minority background. And particularly troubling was the lack of leadership shown by Premier Gordon Campbell and Prime Minister Stephen Harper.
Why single them out? Because days before his offensive editorial, Allen was appointed to be part of a team putting together the ceremonies for the 2010 Olympic Games. With their silence, the premier and the prime minister are saying that Allen is fit to be involved in a publicly financed project designed to show the face of the province and country to the world.
These days, after a 180-degree turn on the issue, Campbell is championing a new relationship with aboriginal peoples. However, as Chief Kim Baird of the Tsawwassen First Nation reminded British Columbians in a speech to the legislature, the new relationship will require a spirit of accommodation. Yet, the premier has been unwilling to challenge three backbenchers who've given notice they'll vote against the treaty negotiated by the province - notwithstanding the Liberals' commitments in the last election.
As Canadians go forward together, recent immigrants would be wise to get on with improving their lives and to avoid making unreasonable demands for accommodation of their practices.
And those of us who've been here longer would be wise not to be distracted by how our neighbours dress or what they eat, but, rather, to focus on ensuring equal opportunity and on the other values that bind us together in this, the most blessed place on Earth.
***
Norman Spector, former senior civil servant in the federal, Ontario and B.C. governments, former chief of staff to Prime Minister Brian Mulroney, former Canadian ambassador to Israel, former chairman of the Atlantic Canada Opportunities Agency, former publisher of the Jerusalem Post, lives in Victoria, His daily press review is on line at: members.shaw.ca/nspector4
- source
Respect, d'un océan à l'autre
Mais il est manifestement plus rentable de tourner les Québécois en ridicule quand vous voulez vendre des livres en anglais.
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé