Réserver son jugement pour l’Histoire

Tribune libre

Sous réserve, le jugement émis à l’encontre de Gabriel Nadeau-Dubois relève d’un état de société inachevé. Nous payons un lourd tribut résultant d’une situation politique qui nous confine aux marges. Au grand jamais, il nous aura été donné d’avoir vu un leader étudiant québécois condamné pour répliquer verbalement à une violence institutionnalisée et perçue par plusieurs comme inique et injuste. En soi, les conséquences de cette prise de position auront marqué de façon indélébile le cours d’une certaine histoire en marche.
Souventes fois, nous avons pu lire et essayer de tracer certains parallèles avec l’histoire. Dans le cas précis du Québec, la question de l’indépendance politique se pose toujours avec autant d’acuité. Comment dès lors ignorer Charles De Gaulle et René Lévesque du point de vue de leurs réalisations dans le Québec toujours à l’état inachevé. Il serait bien malséant de dresser un piédestal à Gabriel Nadeau-Dubois quand nous connaissons la forte polarisation des opinions à son endroit. Quoi qu’il en soit, je tenterai une étude comparative des personnalités en présence.
Aujourd’hui même, il est difficile de dissocier le prestige de deux leaders étudiants en concurrence que constituent Gabriel Nadeau-Dubois et Léo Bureau-Blouin. Je ne pourrais pas parler de concurrence en ce qui me concerne, puisque vous connaissez mon parti-pris en faveur de Gabriel Nadeau-Dubois et de la CLASSE. Je me concentrerai sur son dernier cas. D’ailleurs, je trouve tout à fait inusité qu’une personnalité de l’envergure de Nadeau-Dubois rechigne à s’engager dans l’arène des partis politiques. Nous saurons un jour ce à quoi Gabriel était prédestiné.
Sur l’autel de l’Histoire, le printemps érable a laissé ses marques. Difficilement, nous pourrons retrouver une conjoncture qui aura autant déchiré le destin du pays. Bien sûr, nous comptons notre lot d’épisodes politiques qui révèlent tout autant de fulgurances qu’ils sèment en notre conscience nationale une trajectoire à venir. Depuis le «Vive le Québec libre» inaugurateur, nous avançons d’épisode en épisode dans la conscience lentement acquise de notre unicité nationale. Tout autant notre appartenance et notre conception du Canada d’antan nous auront déchirés intérieurement, la mère patrie se fait toujours aussi présente telle une ombre qui se dédouble.
À la longue, le Québec a fini par s’imposer aux consciences. Nous avons traversé le processus tumultueux et pas aussi tranquille qu’on voudrait le croire de cette Révolution tranquille. De René Lévesque à Charles De Gaulle et en passant par les Pierre Bourgault, Paul Sauvé et Daniel Johnson Sr, nous tenons les fils relativement ténus de ce que nous avons assumé comme évolution historique en marche. Gabriel Nadeau-Dubois s’étant opposé à la bête libérale de Jean Charest, nous pouvons le percevoir comme une espèce de deus ex machina. Indissociablement, le printemps érable tient son ancrage dans la trame historique du fil des événements de la déclaration gaulliste aux événements de Mai 68 et de la rébellion des Indignés couplée au Printemps arabe.
Tout autant le printemps québécois aura ouvert une fenêtre, une perspective, nous nous devons d’en analyser implicitement les données en présence. Hubert Aquin paraphrasait et plagiait allègrement les œuvres d’autrui jusqu’au point de pratiquer «L’œuvre ouverte». Pour ma part, j’observerai une «option sourde». Ayant été témoin des événements tenus en marge des marches du 22, j’ai pu assister au défilement de cette procession historique. Nous projetons souvent Gabriel Nadeau-Dubois sur l’icône de Mai 68, Daniel Cohn-Bendit. En revanche, il est difficile de les rapprocher aujourd’hui quand nous connaissons le parcours subséquent de Cohn-Bendit.
Gabriel Nadeau-Dubois est apparu comme deus ex machina au moment où il s’est mis à contester la doxa des opinions généralement admises au sein de la société québécoise. Étant une personne sourde, j’ai eu le privilège d’étudier un pan quelque peu méconnu de notre histoire collective. Ainsi, j’ose rapprocher Gabriel Nadeau-Dubois à la figure de Raymond Dewar, un leader sourd québécois décédé tragiquement à l’âge de trente ans en 1983. S’étant illustré au tournant des années 1970 et 1980, ce dernier leader a transformé la marche de l’histoire de la communauté sourde québécoise. Raymond a dit ceci un jour :
«Désormais, nous avons cessé de nous laisser modeler. Nous sommes sourds et avons pris conscience de notre différence. Nous sommes nous-mêmes. Oui, nous avons cessé de faire semblant d’entendre. »
Gabriel Nadeau-Dubois est de la race de ceux qui ont compris. Quand, au moment de citer Pierre Bourgault, de pourfendre Léo Bureau-Blouin et le PQ, il s’est hissé à une liste assez sélecte. Comme le remarquait d’ailleurs assez judicieusement Pierre-Luc Brisson :
«Voyez-vous, et c'est ce qui me rassure dans tout ceci, GND semble être fait d'une pâte bien particulière. Vous ne risquez pas de le retrouver sur les rangs d'un grand parti politique, à jouer les hocheurs de tête tout en mettant de côté son sens critique, ligne de parti oblige!»
Il y a de ces personnes qui sont rompues à l’exercice du devoir public. Jean-Martin Aussant est une de ces personnes-là. Sa déclaration sur le réseau Facebook concernant le jugement de l’affaire Jean-François Morasse vs Gabriel Nadeau-Dubois relève d’un dosage de combativité pour relancer la polémique autour de la doxa des opinions politiques admises. Nous aurons beau le décrier de temps à autre, Jean-Martin Aussant sait déblayer l’état du terrain de l’opinion publique.


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3 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    3 novembre 2012

    "Nous connaissons les ravages exercés par l’idéologie néolibérale qui donne l’impression aux gens que l’on pige continuellement dans leurs poches. Dans les faits, actuellement nous le faisons et souvent au profit des plus riches."
    Exactement monsieur Presseault.
    Cependant, les Québécois mangent tellement dans la main du système qu'ils ont fini par développer le culte des riches et de la richesse, culte qui les rend complètement aveugles par rapport à la proportion de leurs impôts qui sert à enrichir davantage les riches.

  • Élie Presseault Répondre

    3 novembre 2012

    «Si beaucoup de Québécois sont fâchés après monsieur Nadeau-Dubois, c’est souvent parce qu’ils croient que les revendications de monsieur Nadeau-Dubois leur coûteraient quelque chose à eux personnellement. Certains commentateurs et analystes ont pourtant déclaré le printemps dernier que la gratuité scolaire ne nécessiterait pas un si gros pourcentage du budget du Québec.»
    Je ne savais pas que l’impôt payé collectivement pouvait améliorer de façon favorable les conditions de vie de notre peuple. Nous connaissons les ravages exercés par l’idéologie néolibérale qui donne l’impression aux gens que l’on pige continuellement dans leurs poches. Dans les faits, actuellement nous le faisons et souvent au profit des plus riches. Si rétroactivement j’avais à envisager une nouvelle position concernant la juste part, je me souviendrai des réactions des hyènes qui ont crié à l’outrage fait aux riches.
    «(L’influence des radios-système de la ville de Québec par exemple nous montre combien intégrés au système les Québécois peuvent être, et surtout de nos jours où les tenants du système semblent atteints d’une insécurité chronique qui les fait craindre un effondrement soudain du dit système, d’où le besoin des partisans du système de se serrer les coudes et de devenir de moins en moins tolérants à l’endroit de ceux qu’ils perçoivent, souvent à tort d’ailleurs, comme des menaces au système).»
    Si le système s’est effondré, c’est en raison d’une identité auto-détruite. Le capitalisme détruit tout sur son passage. Le modus operandi des régents du capitalisme mise sur le côté passionnel pour créer cette distorsion de la raison. Si tolérance nous devons avoir, c’est en faveur de la résistance qui s’organise pour renverser la tendance en cours.
    Pour revenir au maître mot du revenu minimum garanti et de tout ce qui entoure les enjeux de la gratuité scolaire, nous devons repenser notre rapport face au marché du travail et face à la société. La précarisation des revenus étant une réalité, nous nous devons de repenser les fondements qui régissent ce qu’une vie peut gagner de décence. La réforme des retraites, l’instauration d’un revenu minimum garanti et la consolidation des politiques publiques pourront constituer à terme l’apanage de ce qui constitue ladite richesse collective. Concernant la réalité étudiante, nous ne pourrons pas utiliser le système actuel comme de la chair à canon pour les banques et diverses institutions financières.

  • Archives de Vigile Répondre

    2 novembre 2012

    "Il serait bien malséant de dresser un piédestal à Gabriel Nadeau-Dubois quand nous connaissons la forte polarisation des opinions à son endroit."
    Effectivement, parce qu'il est considéré, et je dirais par une grande majorité de Québécois, comme un ennemi du peuple.
    Et la raison, c'est que monsieur Nadeau-Dubois s'est opposé au système. Il a été radical dans ses prises de position. Il a dit qu'il était pour la gratuité scolaire, ce qui n'est surtout pas dans l'intérêt du système. (Et pourtant, un homme qui a travaillé à l'intérieur du système comme ministre, monsieur Jean Cournoyer, a exprimé lui aussi cette opinion hors-système qu'il était en faveur de la gratuité scolaire tout comme monsieur Nadeau-Dubois, ce qui démontre qu'il y a des citoyens ordinaires encore plus intégrés au système que d'anciens ministres libéraux).
    Si beaucoup de Québécois sont fâchés après monsieur Nadeau-Dubois, c'est souvent parce qu'ils croient que les revendications de monsieur Nadeau-Dubois leur coûteraient quelque chose à eux personnellement. Certains commentateurs et analystes ont pourtant déclaré le printemps dernier que la gratuité scolaire ne nécessiterait pas un si gros pourcentage du budget du Québec.
    Mais le chacun pour soi et le "au plus fort la poche" constituent la religion même du système. Le citoyen québécois voit sa vie comme une compétition avec ses propres concitoyens, compétition dans laquelle les plus "méritants" s'assurent de vivre à l'aise et les autres (les perdants ou "loosers") s'assurent d'une vie de misère.
    Je suis d'avis que les Québécois sont l'un des peuples de la planète les plus intégrés au système, ce qui explique leur comportement et le sentiment de revanche qu'ils entretiennent pour bon nombre d'entre eux à l'endroit de monsieur Nadeau-Dubois. (L'influence des radios-système de la ville de Québec par exemple nous montre combien intégrés au système les Québécois peuvent être, et surtout de nos jours où les tenants du système semblent atteints d'une insécurité chronique qui les fait craindre un effondrement soudain du dit système, d'où le besoin des partisans du système de se serrer les coudes et de devenir de moins en moins tolérants à l'endroit de ceux qu'ils perçoivent, souvent à tort d'ailleurs, comme des menaces au système).
    Et c'est aussi la raison pourquoi le Québec ne s'est jamais doté du revenu de citoyenneté universel dont le regretté Michel Chartrand faisait la promotion il y a déjà une quinzaine d'années. Pourtant, un tel revenu permettrait à tous les citoyens québécois sans exception d'accéder à une vie décente et heureuse.