Droits de scolarité

Remettre les pendules à l’heure avec des faits

Conflit étudiant - grève illimitée - printemps 2012


Paul St-Pierre Plamondon - Président de Génération d’idées et Jean-François Gingras - Étudiant à la majeure en histoire et membre de Génération d’idées
Un blocage de longue durée s’annonce entre le gouvernement du Québec et les associations étudiantes au sujet de la hausse de 75 % des droits de scolarité entre 2012 et 2017. L’enjeu concerne certes les droits, mais également la remise en question d’un modèle québécois qui mise depuis plus de 40 ans sur une accessibilité de l’éducation financée à même les fonds publics. De manière concomitante, le ministre des Finances Raymond Bachand annonçait cette semaine que le nouveau budget allait permettre à terme aux Québécois de se payer un système de santé et une retraite à la hauteur de leurs attentes. Nous voyons de sérieux enjeux d’équité intergénérationnels dans la concomitance de ces mesures et aimerions mettre en lumière certaines données en ce sens.
Sur le rattrapage dû au gel perpétuel des droits
Le premier argument des tenants de l’augmentation des droits de scolarité consiste à rappeler l’importance d’un rattrapage pour contrer les effets du gel prolongé des droits de scolarité durant 33 des 43 dernières années. Nous avons compilé le coût moyen en dollars d’aujourd’hui d’une année d’étude, excluant les frais institutionnels obligatoires (ci-après FIO), pour chacune des quatre dernières décennies:
Décennie Coût moyen (dollars constants)
1970-1979 2509,45
_ 1980-1989 1131,77
_ 1990-1999 2063,24
_ 2000-2009 2007,15
Les universités ont déjà contourné ce gel en facturant des FIO, ou «frais afférents», lesquels sont en constante hausse depuis le milieu des années 1990. En 2010, ces frais s’élevaient à une moyenne de 633 $ par année, faisant augmenter le coût d’une année d’études pour 2010-2011 à 2700 $ et non à 2068 $. Ainsi, les données en dollars constants démontrent qu’il n’y a aucunement lieu de parler de rattrapage vis-à-vis ce que les générations précédentes ont payé pour leur scolarité. Une augmentation des droits de scolarité universitaires à 3793 $ par année est en fait près du double de ce que les générations précédentes ont déboursé en moyenne pour leur éducation. Inacceptable.
Sur la lutte contre le déficit budgétaire
Un deuxième argument avancé est celui du sous-financement de nos universités. Il s’inscrit dans le contexte d’une situation très urgente et sérieuse: celle de notre déficit budgétaire structurel de plus de 3 milliards par année et de notre dette brute colossale de plus de 173 milliards de dollars. Or, ce déficit structurel ne provient pas de l’augmentation des coûts en éducation. En effet, il appert qu’on élude deux données essentielles: la proportion du budget alloué à la santé et le montant des deniers publics perdus en raison de la collusion et de la corruption dans l’intervention de l’État.
Les dépenses en santé et services sociaux occupaient 36 % de nos dépenses au début des années 90, et constituent désormais 45 % de celles-ci. Comment alors passer sous silence l’explosion actuelle des coûts liés à la santé, laquelle se chiffre en plusieurs milliards de dollars (5 milliards de plus que dans les années 90 selon nos estimations). Quant à la corruption, le seul gonflement des coûts dans le domaine de la construction est estimé à 35 %. Notre budget annuel en construction et immobilisation étant estimé à 6 milliards pour ce secteur d’activité gouvernementale seulement, ces sommes se chiffrent également en milliards de dollars.
Ce sont là de vraies menaces à la bonne santé financière de l’État québécois. Le gouvernement arbore dans ce débat des œillères bien placées: on se drape de «courage» en voulant «faire payer la juste part» aux étudiants. Pendant ce temps, la proportion de notre budget consacré à l’éducation a diminué, passant de 28,6 % en 1992-1993 à 23 % dans le budget 2010-2011. Au terme de l’augmentation envisagée, les sommes additionnelles tirées des droits de scolarité atteindront environ 300 millions de dollars. Nous demeurons loin d’une solution à notre déficit structurel. Du «courage», vraiment?
Croissance annuelle moyenne réelle (%)
Santé et services Autres programmes sociaux Part des dépenses en SSS
1990-1995 1,1 0,4 36,4 %
_ 1995-2000 2,6 –0,6 40,1 %
_ 2000-2005 3,1 0,6 43,0 %
_ 2005-2010 3,9 2,3 44,9 %
Nos constats mettent en lumière le vrai message que nos gouvernants comme nos prédécesseurs envoient à la relève québécoise: en plus d’éviter les décisions difficiles en regard d’une saine gestion des finances de l’État et de nous léguer une dette publique colossale, ils mettront désormais les générations suivantes devant l’obligation de contracter une dette personnelle, tout aussi colossale, pour s’éduquer.
Est-ce que la hausse constitue un ajustement à plus de 30 ans de laxisme dans la gestion des droits de scolarité? Non, elle concrétise plutôt un discours inéquitable sur le plan intergénérationnel. Qui plus est, les sommes additionnelles que percevra l’État grâce à cette augmentation n’auront aucun impact sur les déficits de plusieurs milliards générés par l’explosion de nos coûts de santé et notre laxisme vis-à-vis de la corruption. Les étudiants d’aujourd’hui, travailleurs de demain (moins nombreux), paieront autant sinon plus de taxes et d’impôts afin de boucler le budget de l’État. Le modèle québécois n’ayant pas changé sur le plan fiscal, nous ne voyons pas en quoi la prestation de services en éducation devrait radicalement changer.
Bases d’une solution équitable
Avec nos propres observations, voici donc une proposition qui pourrait représenter un pas dans la bonne direction:
Nous proposons d’uniformiser les droits de scolarité et les FIO en un seul montant global des droits de scolarité applicables à toutes les universités québécoises.
Nous proposons une augmentation de 10 % dès l’an prochain sur le montant combiné des droits de scolarité et des FIO. Cette augmentation démontrera la bonne foi des étudiants dans l’impasse budgétaire, sans toutefois invalider le modèle québécois en éducation.
Nous proposons une révision automatique des droits perçus selon le taux d’inflation observé l’année précédente de façon à éviter qu’elle fasse l’objet de négociations issues de situations de crise et se soldant par des grèves étudiantes tous les cinq ans en moyenne. On peut d’ailleurs observer de telles révisions dans le calcul d’autres prestations de l’État comme les prestations de la Régie des rentes du Québec.
À notre avis, le modèle québécois en éducation est toujours valide. Si l’éducation était importante durant les années 60, elle l’est davantage aujourd’hui avec la disparition d’une bonne portion de l’industrie manufacturière. L’éducation constitue en fait la principale source d’avantages comparés du Québec dans le contexte d’une économie globale très compétitive.
Dans la mesure où l’augmentation proposée aura un impact majeur sur l’accessibilité des études supérieures comme sur l’endettement individuel des étudiants et qu’elle ne résoudra en rien nos problèmes de déficits structurels, mieux vaut se pencher sur les vraies menaces budgétaires: la santé et les travaux publics.
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Paul St-Pierre Plamondon - Président de Génération d’idées et Jean-François Gingras - Étudiant à la majeure en histoire et membre de Génération d’idées


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