LE QUÉBEC DANS LE MONDE

Regard d’un correspondant à Paris

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Il faut garder confiance dans le génie français

Il m’a toujours semblé que le rôle d’un correspondant québécois à l’étranger, du moins d’un correspondant du Devoir, c’était bien sûr de couvrir l’actualité, mais plus fondamentalement de le faire en essayant le plus possible d’éclairer nos débats. Bref de trier dans la multitude et le fouillis du monde ce qui peut servir. Non pas ce qu’il faudrait copier servilement, mais ce qui peut éclairer, stimuler, motiver. Car, il y a une façon québécoise de voir le monde et de penser le monde. Habitués à lire le monde à travers le New York Times, le Globe Mail ou Le Nouvel Observateur, nous oublions trop souvent que chaque peuple a sa vision du monde et des intérêts qu’il y poursuit. En matière d’actualité internationale, nous, Québécois, avons trop souvent tendance à mettre de côté notre sensibilité propre, notre vision des choses, nos centres d’intérêt. […]

N’est-ce pas ce à quoi on a assisté dans le récent débat sur la laïcité où l’on a vu quelques-uns des principaux défenseurs des bienfaits de la mondialisation tenir un discours qui nous incitait subitement à oublier ce qui se passait [ailleurs] pour ne plus voir que le Canada et l’Amérique du Nord ? Pour beaucoup de partisans de la mondialisation, le monde semblerait donc se limiter à l’univers anglo-américain […]

J’ajouterais qu’en cette époque de mondialisation qui en est malheureusement souvent une d’homogénéisation de l’information et des opinions, les Québécois ont plus que jamais besoin de penser le monde, non pas en oubliant le Canada et l’Amérique […], mais sans les oeillères canadiennes et nord-américaines qu’on leur impose si souvent. Dans ce contexte, penser l’information internationale en fonction de nos intérêts, de nos sensibilités devient non seulement une exigence pour assurer la diversité de l’information, mais aussi une question de survie. Avec la mondialisation et la concentration des médias, le simple fait d’aller voir ailleurs, ailleurs que dans le monde anglo-américain, devient une arme contre la pensée unique et représente une bouffée d’air frais salutaire sans laquelle l’asphyxie menace nos débats. […]

Des intérêts, le Québec en a toujours dans le monde, exactement comme pouvaient en avoir les Canadiens français de l’époque d’Henri Bourassa, qui fut probablement le meilleur analyste des enjeux de la Première Guerre mondiale. Nous n’avons pas à puiser notre inspiration bien loin. Prenez l’action de la France au Mali et en Centrafrique. Comment expliquer l’attitude pingre et lâche du Canada qui n’a accepté de prêter qu’un seul avion à la France, et cela, après trois semaines de tergiversations ? Il vient pourtant d’en envoyer six en Ukraine, sans oublier les 500 observateurs pour l’élection présidentielle qui vont se piler sur les pieds. On s’explique encore moins le silence des représentants du Québec devant une telle attitude qui semble faire fi du fait que l’avenir de la Francophonie va pourtant se jouer en Afrique dans les 20 ou 30 prochaines années. Trop souvent, en politique étrangère, nous avons tendance à ne pas prendre en compte nos intérêts pour nous réfugier dans la seule action humanitaire, vieil héritage de notre passé missionnaire. […]

J’ai dit au début de cette présentation que le Québec existait dans le monde. En terminant, j’aimerais dire que rien ne garantit qu’il existera demain. Certains signes pourraient d’ailleurs nous inquiéter. À Paris, le mot « Canada » est de retour. On l’utilise de plus en plus pour désigner le Québec. Sur le plan politique, on les comprend, les Français ne savent plus trop où nous en sommes. Sur le plan de la coopération, les accords de reconnaissance mutuelle des diplômes et des compétences n’ont pas eu de successeurs depuis deux ans. Cela fait longtemps que notre présence en France n’a pas été aussi diffuse. Seuls francophones sur un continent de 350 millions d’anglophones, nous n’avons pas vraiment le loisir de laisser cet écart se creuser entre le Québec et la France.

En terminant, je voudrais vous citer un vieil ami du Québec, le sénateur socialiste Jean-Pierre Chevènement, à qui j’ai récemment demandé ce qu’il avait à dire aux Québécois qui désespéraient parfois de la France : « Nous avons en commun un combat pour maintenir le français non pas seulement comme langue, mais comme culture et comme civilisation. Chez nous comme chez vous, il y a des hauts et des bas. C’est embêtant quand les bas se conjuguent. Mais les bas ne durent pas toujours et il faut avoir confiance dans le génie français. Il ne se perdra pas. »


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