Qui veut faire dérailler le procès de Nathalie Normandeau?

Au moins quatre journalistes ont reçu le même appel de «Pierre», leur offrant le dossier de preuves amassées par l’UPAC: «1 500 pages d’affidavit, d’écoute électronique et autres témoignages recueillis par les policiers».

Gros ! Très gros !

Le samedi 19 mars, deux jours après l’arrestation de Nathalie Normandeau par l’Unité permanente anticorruption (UPAC), mon téléphone se met à vibrer. L’écran tactile n’affiche aucun de mes contacts ni numéro de téléphone. Je réponds tout de même.
– M. Lacroix?
– Oui, qui est à l’appareil?
– Euh, aux fins de la discussion, disons que je m’appelle Pierre, me dit mon interlocuteur. Est-ce que je peux te parler de façon confidentielle?
L’homme au bout du fil veut discuter de l’arrestation de Nathalie Normandeau. Il soutient que la preuve amassée par l’UPAC ne tient que sur le témoignage de son ancien chef de cabinet, Bruno Lortie, également arrêté dans la rafle. Selon «Pierre», c’est Jean Charest lui-même qui avait imposé Lortie à Normandeau, sachant qu’il était un proche de Marc-Yvan Côté.
«Pierre» ajoute que Mme Normandeau a été abandonnée par l’entourage de Jean Charest.
«Pierre» me raconte également que le sort du patron de l’UPAC, Robert Lafrenière, est scellé. Le mandat de Lafrenière à la tête de l’UPAC est venu à échéance le 28 mars dernier, mais il demeure en poste jusqu’à ce que le gouvernement Couillard le nomme de nouveau ou le remplace. Lafrenière a déjà annoncé qu’il souhaitait un deuxième mandat de cinq ans. Cependant, selon «Pierre», Philippe Couillard n’en voudrait plus.
(Les libéraux insistent pour dire que la recommandation du comité de sélection, communément appelée la «short list», n’a été envoyée au bureau du premier ministre que vendredi. Il serait donc impossible que la décision ait filtré. À moins, bien sûr, qu’elle ait été prise bien avant la recommandation du comité.)
Le premier ministre aurait aussi passé la commande au Conseil du Trésor pour que cesse le «double dipping», une mesure susceptible d’irriter certains enquêteurs de l’UPAC, qui touchent leur salaire tout en conservant leur pension d’anciens policiers. Deux semaines après mon premier contact avec «Pierre», l’émission Enquête publiait des courriels révélateurs sur les liens étroits entre le président de ce même Conseil du Trésor, Sam Hamad, et Marc-Yvan Côté.
À lire aussi:
Sam Hamad en pleine crise de «libéralite»
«Pierre» et moi discutons ainsi pendant une bonne demi-heure.
Au fil de la conversation, je tente de vérifier sa crédibilité afin de m’assurer que je n’ai pas affaire à un illuminé en manque d’attention. Les réponses qu’il me donne m’indiquent qu’il connaît bien les rouages du gouvernement. De plus, il a obtenu mon numéro de téléphone cellulaire qui n’est fiché nulle part, sauf sur une liste de la Tribune de la presse. Étrange…
L’affaire m’intrigue. Il propose de me rencontrer le mardi ou mercredi d’après, puisqu’il sera à Québec. «On pourrait se rencontrer dans un petit restaurant du quartier Saint-Roch, loin des regards de la colline Parlementaire. Je vous rappellerai lundi», dit-il avant de raccrocher.
Je suis curieux de savoir qui est cet homme qui me semble crédible. Mais que veut-il bien me dire? Quels renseignements compte-t-il me donner? Et surtout, va-t-il me rappeler?
Lundi matin, un peu avant 9 h, mon téléphone sonne à nouveau.
– Salut, c’est Pierre. Je te rappelle comme convenu.
– Oui, salut, j’attendais ton appel. As-tu du nouveau?
«Pierre» me raconte qu’après notre conversation de samedi matin, il a commencé à consulter la preuve amassée par l’UPAC. «Il y a au moins 1 500 pages d’affidavit, d’écoute électronique et autres témoignages recueillis par les policiers», me dit-il. Il propose de me refiler l’ensemble des fichiers contenus sur un CD.
«Il faudra que tu les copies et que tu détruises le disque ensuite. Il est codé et on pourrait remonter jusqu’à moi si on le retrouve», prévient «Pierre», qui s’inquiète d’une éventuelle perquisition à mon bureau quand je sortirai l’histoire. Il ajoute qu’il me recontactera le lendemain pour fixer l’heure du rendez-vous. Il n’a jamais rappelé.
Entre-temps, j’ai tout de même fait quelques appels au Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) ainsi qu’à l’Unité permanente anticorruption pour vérifier quelques faits. L’UPAC utilise-t-elle des disques pour stocker sa preuve? Pas dans ce cas-ci, me dit-on. Un collègue avec qui «Pierre» a aussi communiqué m’informe par la suite que ce dernier est au courant que j’ai fait ces appels et que cela l’inquiète. Comment «Pierre» a-t-il su?
Au moins trois autres journalistes, dont Michel Hébert, du Journal de Montréal, ont reçu le même appel de «Pierre» sans plus de suite. Manifestement, «Pierre» n’est pas une source, mais quelqu’un qui veut se servir des journalistes pour faire avancer sa cause. Voilà pourquoi je me sens à l’aise de raconter cette histoire.
Mais qui est donc ce «Pierre» et quel intérêt avait-il à entreprendre toutes ces démarches? Après tout, si la preuve devait être divulguée dans les médias, le risque que cela entache le processus judiciaire serait bel et bien important.
«Soyez bien prudent avec les documents que vous recevrez», me dit le DPCP. La règle du sub judice s’applique aussi aux journalistes. Peut-être est-ce justement le but. Donner la preuve à différents médias dans l’espoir que l’un d’eux la déballera publiquement et fera dérailler un procès avant même qu’il ne commence.
Qui aurait intérêt à faire dérailler le procès? La première réponse qui vient à l’esprit est la principale intéressée elle-même, Nathalie Normandeau. Si la preuve devait filtrer dans les médias, les avocats de Mme Normandeau auraient tout le loisir de déposer une requête en arrêt des procédures. Comment pourrait-on constituer un jury impartial dans un contexte semblable?
> Lire la suite de l'article sur L'Actualité


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé