L'opinion de Bernard Landry #75

Qui paye ses dettes...

On peut faire des déficits pour combattre les crises mais il faut rembourser ses dettes par beau temps.

Révolution tranquille - 50 ans!


Récemment, un des plus grands écrivains québécois contemporains a écrit que le déficit zéro était "une imbécilité". Il faut dire que Jean-Marie Le Clézio, prix nobel de littérature, a déjà dit, lui, que l'Hydro-Québec était "une multinationale capitaliste"! Il est clair que l'économie et les finances publiques appartiennent à un univers fort différent de celui de la littérature. Et heureusement pour tout le monde!
Si le gouvernement du Québec de Lucien Bouchard n'avait pas fait le déficit zéro, imité ensuite par ses successeurs jusqu'à la crise qui a justifié le retour au déséquilibre, la dette nationale aurait bondi de près de cinquante milliards! À quatre milliards de déficit annuel, comme ce fut le cas avant, sinon plus, elle serait d'environ 100% du PIB. Malgré cela, elle est déjà plus importante que presque partout au Canada et que bien d'autres endroits de la planète. Les quelques années qui viennent, c'est déjà écrit dans le budget, vont encore augmenter notre passif de manière substantielle.
Pendant près d'un demi-siècle, notre gouvernement national a dépensé plus qu'il ne collectait de revenus. Nous nous sommes endettés régulièrement depuis la révolution tranquille jusqu'au retour à l'équilibre budgétaire. Et cette longue période de dépenses ne saurait être considérée comme une erreur. Il s'est agi d'un investissement tout à fait justifiable. En effet, Maurice Duplessis, qu'une certaine école de pensée tend à démoniser, avait bien des défauts, mais pas celui de la prodigalité.
Il faut dire que l'église catholique et ses dévoués personnels religieux assumaient largement ce qui est devenu aujourd'hui l'essentiel de la dépense publique: la santé et l'éducation. Les soeurs de Sainte-Anne et les Clercs de Saint-Viateur n'avaient pas de conventions collectives! Le Québec de 1960 n'avait donc pratiquement pas de dettes. Cela nous a permis de mener la formidable offensive en éducation qui nous a littéralement sauvés. Nous sommes partis d'un des plus bas niveaux d'éducation du monde développé, vers l'un des plus élevés aujourd'hui. Et, en plus, nous nous sommes doté d'un système de santé, mis à mal par le vieillissement et la technologie, mais qui nous a rendu égaux devant la maladie. Avant le budget Bachand, en tous cas.
Les révolutionnaires tranquilles n'ont donc pas trahi les jeunes malgré l'endettement car, sans ce virage crucial, il aurait fallu renoncer à la haute technologie qui caractérise notre économie. Nous n'aurions pas nos éclatants succès dans le génie conseil, l'aérospatial, le matériel de transport, la pharmacie et la biotechnologie. Il y a six mille emplois dans le jeu vidéo seulement, rémunérés à soixante mille dollars en moyenne. On ne peut pas faire cela avec une troisième année primaire dont devaient se contenter souvent nos parents et grands-parents.
Mais l'heure des comptes est arrivée. Je n'ai jamais été alarmiste car je pense toujours aux cent cinquante milliards que vaut l'Hydro-Québec et qu'il faut bien sûr valoriser, et non privatiser. Mais prétendre que la rigueur budgétaire est caractéristique de la droite, est une grossière erreur. Si la Grèce avait été rigoureuse, est-ce qu'autant de ses travailleurs et personnes démunies souffriraient ce qu'elles endurent aujourd'hui.
Est-ce que la gauche, qui doit rechercher la justice et l'équité, peut faire croire qu'il est acceptable de nous décharger sur nos enfants et petits-enfants de nos excès de dépenses. C'est en pensant à eux que j'ai été fier de présenter le premier budget équilibré en cinquante ans à notre Assemblée nationale. Ce n'est pas une question d'idéologie, mais de bon sens élémentaire. La sagesse populaire n'avait pas tort en disant "Qui paye ses dettes s'enrichit" et qu'on ne peut vivre perpétuellement "au dessus de ses moyens". Le temps est venu pour le Québec de renouer avec ces maximes qui sont aussi celles du grand économiste John Maynard Keynes. On peut faire des déficits pour combattre les crises mais il faut rembourser ses dettes par beau temps.
Notre Québec est la nation la plus égalitaire d'Amérique. C'est aussi le "paradis des familles", suivant le titre d'un célèbre ouvrage. Allons-nous compromettre ce que nous avons fait de mieux au nom d'un faux progressisme et en niant le danger? Ne pas compter, par exemple, notre part de la dette canadienne dans notre dette nationale est une erreur évidente. Cette dette, nous l'avons déjà sur le dos et la payons avec nos impôts fédéraux. Après l'indépendance, nous devrons l'assumer aussi, et cela ne changera rien à moins de vouloir faire naître un pays voyou, ce qui est le contraire de notre idéal national de fierté et de justice et de solidarité.
Bernard Landry


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé