Qui est la majorité silencieuse?

En référant à la majorité silencieuse, non seulement on tombe dans la démagogie, mais, surtout, on risque de décrédibiliser les idées que l'on tente de défendre.

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En démocratie, le Parlement devrait être le reflet de la société et représenter différents courants d'idées. C'est d'autant plus vrai que le sentiment d'exclusion ou de sous-représentation de certaines idées ébranle la confiance de plusieurs citoyens dans la démocratie, perçue comme distante et étrangère à leurs préoccupations.
En revanche, ce qui est inquiétant, c'est lorsque l'on souhaite défendre une prétendue « majorité silencieuse » plutôt que de défendre des idées que l'on juge juste pour l'intérêt général. Pourtant, à Québec, c'est la mission que semble s'être donnée le «Rassemblement des cols rouges ». Ce rassemblement prétend être la voix de la majorité silencieuse et veut même être représenté à l'Assemblée nationale.
Qui est la majorité silencieuse ? Et pourquoi elle ne parle pas ? Bien souvent, on a l'impression que la majorité silencieuse relève du fantasme du populiste. C'est en fait une image virtuelle de la volonté populaire créée par les populistes. Très souvent en fait, on dit que c'est l'opinion de la majorité silencieuse pour l'opposer à l'opinion des élites. Cela permet parfois, par phénomène d'identification, de rendre l'idée plus populaire.
En référant à la majorité silencieuse, on veut éliminer tous les interférents entre le peuple et les élites que ce soit les leaders d'opinions, les journaux, les associations et parfois même les partis politiques. On dit exprimer au nom du peuple, des petits et des sans voix contre les élites et les importants. La majorité silencieuse a toujours eu un grand succès en politique, notamment en politique américaine. Le vice-président américain Spiro Agnew parlait de la « Great Silent Majority ». Plus tard, le président américain Ronald Reagan aura un grand succès électoral en invoquant la majorité silencieuse.
La majorité silencieuse est devenue un populisme. La majorité silencieuse est un concept qui prétend réduire à un dénominateur commun toute pensée et tout sentiment. Elle serait homogène dans sa culture, son identité et ses valeurs. Quelle soit une intuition ou le résultat d'un sondage, elle est censée représenter, comme l'écrivait le philosophe anglais Thomas Hobbes, « une certaine personne, à laquelle on peut attribuer une seule volonté, et une action propre... ».
Comment fait-on pour connaître l'opinion de la majorité si elle est silencieuse ? En fait, la majorité silencieuse est un concept politique populiste. C'est une façon de s'adresser directement au peuple en évitant la société civile. Mais pourquoi tenter d'éviter la société civile ? Après tout, selon l'écrivain français Alexis de Tocqueville, la démocratie et la société civile forment un couple indissociable. De fait, la société civile a un rôle essentiel de veille et d'alerte auprès des institutions et de l'opinion. Cependant, selon les populistes, la société civile menacerait le peuple. Elle aurait un droit de parole trop important et, surtout, une opinion qui ne représenterait pas celle du peuple. Les populistes tentent par tous les moyens de l'éliminer pour interagir directement avec le peuple. Ce peuple qui ne prendrait pas la parole, ce peuple qu'ils appellent la majorité silencieuse.
Le concept de majorité silencieuse permet de s'adresser directement à la foule en la désignant comme la majorité silencieuse. En s'adressant à la foule comme majorité silencieuse, on lui dit qu'elle n'appartient pas à l'élite et que, pour cette raison, elle doit penser autrement que l'élite. On lui dit « Donc si l'élite pense ci, vous devez penser ça. ». Se référer à la majorité silencieuse est non seulement démagogique, mais c'est aussi une façon efficace de manipuler les foules.
Qui plus est, on est loin du débat politique ou du débat intellectuel courageux qui consisterait à convaincre, grâce à de la réflexion, grâce à des arguments, que les opinions que l'on défend vont dans le sens de la raison et de l'intérêt général. En référant à la majorité silencieuse, non seulement on tombe dans la démagogie, mais, surtout, on risque de décrédibiliser les idées que l'on tente de défendre.
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Philippe Bernier Arcand
L'auteur a écrit l'ouvrage «Je vote moi non plus» (Amérik Média, 2009).


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