Quelle stratégie pour la paix au Pays basque ?

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PHILIPPE C. MARTINE

Candidat au doctorat en études internationales

Université Laval

philippe.cote-martine.1(at)ulaval.ca
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Dans un communiqué diffusé à la BBC le 5 septembre dernier, l’organisation indépendantiste basque ETA annonçait un cessez-le-feu, preuve selon certains des profonds changements qui semblent s’opérer au sein du mouvement abertzale (patriotique) basque. Cette annonce fait suite à la multiplication des rafles policières contre l’organisation qui a mené au mois de mai dernier à l’arrestation de Mikel Kabikoitz Karrera, alias «Ata», chef présumé de la branche militaire d’ETA, et de son lieutenant, Arkaitz Aguirregabiria del Barrio. Mais cette trêve est surtout le résultat des récentes dissensions au sein du mouvement, notamment entre les tenants de l’option militaire et les partisans de la voie politique, menés par Arnaldo Otegui, porte-parole du parti indépendantiste de gauche Batasuna, interdit depuis 2003.
Anatomie d’une trêve
Euskadi Ta Askatasuna (ETA), qui signifie Pays basque et liberté, montre des signes évidents d'essoufflement. En effet, le rythme des attentats commis par l'organisation ne cesse de diminuer, le dernier en date ayant eu lieu le 9 août 2009, soit près d'un an avant que ne soit annoncée la trêve actuellement en vigueur. En outre, 12 personnes ont été assassinées par ETA depuis 2006 alors que ce nombre s'élevait à plus d'une trentaine par années dans les années 1980.
La diminution substantielle des actes terroristes perpétrés par ETA est attribuable au renforcement de la coopération entre les polices antiterroristes françaises et espagnoles, ce qui a notamment permis de démanteler pas moins de onze directions militaires d'ETA en dix ans. Pour l'année 2010, la collaboration franco-espagnole aurait permis l'arrestation de 13 sympathisants d'ETA. Ils seraient ainsi plus de 800 militants à croupir dans les prisons françaises et espagnoles. Le criminologue Jean Chalvidant évalue que la traque des partisans d’ETA aurait réduit le nombre de ses membres actifs à moins de 150, contre près de 800 au début des années 2000. Cela fait dire à Florencio Dominguez, rédacteur en chef de l'agence Vasco Press, que « l'organisation n'est plus en mesure de mener une campagne d'attentats sur la durée, mais elle peut [encore] faire des coups spectaculaires ».
Cependant, les coups portés à ETA n’expliquent qu'en partie la remise en cause du terrorisme comme méthode privilégiée par le mouvement abertzale basque. Il s'agit plus fondamentalement du constat selon lequel les cinquante dernières années d'activisme armé n'ont pas donné les résultats escomptés, à savoir l'unification des sept provinces basques et l'indépendance du Pays basque.
Cette prise de conscience a mené l'influent eterras Josu Urrutikoetxea, dit Josu Ternera, meneur des branches militaires et politiques d'ETA à la fin des années 1980 et ancien député de Batasuna au Parlement régional basque, à se prononcer publiquement en faveur de l'option politique, seule alternative crédible au terrorisme. Arnaldo Otegui, partisan de l'option pacifique et démocratique, est allé plus loin dans une lettre adressée en janvier dernier à un prisonnier d'ETA en prétendant que « ceux qui refusent d'abandonner la violence ont perdu la tête ou travaillent pour l'ennemi ».
Entourés de conseillers nord-irlandais et sud-africains, les tenants de l'option politique ont fixé trois objectifs à court terme, le premier étant de présenter une liste abertzale aux élections municipales de 2011. Déjà écarté du Parlement espagnol, du Parlement régional basque, des conseils généraux et limité à une trentaine de communes, l'État-major politique de Batasuna veut à tout prix éviter l'extinction complète de sa députation afin préserver son influence sur le paysage politique local. Seulement, pour réaliser ce premier objectif, il faudrait renverser l'interdiction faite à Batasuna de se présenter aux élections que seule une renonciation permanente et vérifiable à la violence pourrait satisfaire.
Le second objectif politique est la création d'un « pôle souverainiste » capable de tenir tête au Parti national basque (PNV), parti indépendantiste majoritaire au Pays basque et qui a conservé les rênes du pouvoir régional pendant près de 29 ans, mais dont les positions sont qualifiées d'autonomistes par les indépendantistes radicaux basques. Un accord a d'ailleurs été conclu le 20 juin dernier entre Batasuna et le parti indépendantiste légal Eusko Alkartasuna, dans lequel les partis coalisés s'engagent « à n'utiliser que les voies pacifiques et démocratiques ».
Le dernier objectif, et non le moindre, est de persuader la direction militaire d'ETA de renoncer définitivement à la voie armée et de céder à la branche politique la responsabilité de représenter le mouvement de libération nationale basque. Cet objectif est cependant soumis au succès de la transition politique.
La stratégie espagnole décodée
Pour sa part, le gouvernement de Jose Louis Zapatero, encore marqué par l’attentat de l’aéroport de Madrid de décembre 2006 qui avait mis un terme de façon dramatique à neuf mois de négociations de paix, n’a pas tardé à manifester son scepticisme quant aux intentions réelles d’ETA. En réponse à l’appel de l’organisation armée « à un compromis en vue d'une solution démocratique », le Ministre de l’Intérieur espagnol, Alfredo Perez, a exhorté ETA à renoncer définitivement à la lutte armée, préalable selon lui à l’ouverture de nouveaux pourparlers de paix. Le gouvernement socialiste espagnol annonce ainsi d’entrée de jeu qu’il entend maintenir sa stratégie de fermeté à l’endroit des indépendantistes radicaux basques, alors que certains des militants les plus influents du mouvement semblent plus que jamais disposés à privilégier la stratégie électorale plutôt que les armes pour faire avancer leur cause.
Depuis 2003, l’Espagne applique une stratégie de criminalisation systématique des organisations nationalistes basques, qu'elles soient civiles ou politiques, et de leurs militants. À l'interdiction de Batasuna, accusé d'être la façade politique d'ETA, s'ajoutent la fermeture par la Guardia civil du journal Egunkaria, seul quotidien publié en langue basque, et l'arrestation de son personnel. Le verdict prononcé par la justice madrilène le 12 avril dernier, et qui vient innocenter la direction du journal, est sans équivoque sur la corrélation faite par les autorités entre nationalisme basque et terrorisme : « La vision étroite et fausse selon laquelle tout ce qui a trait à la langue et culture basque doit être initié et/ou contrôlé par ETA conduit à une lecture erronée des faits et à des imputations inconsistantes. »
On peut juger que la fin de non-recevoir adressée au mouvement abertzale basque par le gouvernement Zapatero, qui se fonde sur un calcul politique cynique voulant qu’ETA soit au bout de ses ressources, s’avère préjudiciable à la conclusion d’une paix durable aux Pays basques puisqu’il exclut d’emblée le scénario d’une transition politique d’ETA. De plus, la stratégie de la surenchère sécuritaire va à l'encontre des leçons tirées du processus de paix nord-irlandais. Le gouvernement espagnol n'a donc aucun intérêt à refuser un compromis politique, au risque de voir les indépendantistes basques replonger dans la clandestinité et ainsi voir perdurer sine die le conflit.
L’éradication du mouvement abertzale et l’arrestation de ses têtes dirigeantes ne résoudront en rien la question basque, justement parce qu'ETA est la représentation « sensationnelle » de l’aspiration du peuple basque à l’autodétermination ainsi qu’à la sauvegarde de sa langue et de sa culture. L'intellectuel basque Javier Elzo s'exprime en ce sens en constatant que « la fin de l'ETA ne marquera pas la fin du contentieux basque ». Au contraire, le refus obstiné des institutions espagnoles de reconnaître les particularismes régionaux et les revendications politiques qui en découlent, et que vient illustrer le rejet par la Cour constitutionnelle du nouveau statut régional catalan, ne fera qu'accroître l'adhésion populaire aux thèses indépendantistes en Euskadi.


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