Quelle fête de Noël est de mise au Québec?

Noël et Jour de l'An - 2010- 2011


Dans la [Libre opinion du Devoir du 15 décembre dernier, Daniel Baril->3311], anthropologue, s'adonne à de savantes acrobaties d'érudition linguistique et étymologique pour soutenir que Le Larousse et Le Robert ont tort de rattacher l'origine du mot «Noël» au mot «naissance» ou «nativité». Le mot «Noël» proviendrait de deux mots de langues antérieures à l'ère chrétienne signifiant «nouveau soleil» ou «nouvelle clarté».
Et il conclut que, puisque ces mots servaient à désigner des fêtes profanes ou païennes célébrant la venue du solstice d'hiver, on ne devrait pas utiliser le mot «Noël» pour désigner la naissance de l'Enfant Jésus. De là, il pourrait apparaître que ce serait un juste retour aux origines que de retirer le caractère religieux du temps des Fêtes, comme on nous dit que le ministère du Patrimoine canadien l'a fait en changeant la fête de Noël pour la fête du Solstice.
C'est là vouloir qu'on ignore un riche univers redevable au génie humain et le profit que l'héritage chrétien a su en tirer: l'univers du symbolisme et ses multiples facettes. [...]
Inspiration
Les anthropologues ne peuvent ignorer qu'un grand nombre de fêtes religieuses s'inspirent de coutumes ou de fêtes fort anciennes. Et ces réalités profanes ou païennes ont été ennoblies par leur association à des manifestations religieuses de l'ère chrétienne. Ainsi, le Jésus de Pâques, réponse chrétienne au désir de nourritures spirituelles, n'est pas sans faire référence à l'agneau que les païens offraient en sacrifice aux dieux pour le bien-être des récoltes.
Pour leur part, les linguistes et logiciens n'ignorent pas toute la richesse du langage analogique et allégorique lié au symbolisme. Ainsi, le génie chrétien, pour souligner la bonté du Créateur de l'univers, l'a désigné par le mot «Père». Et le père humain de chair et d'os peut y puiser un modèle de paternité responsable, la mère ayant spontanément servi à désigner la sollicitude que ses fidèles attendent de leur mère l'Église. C'est le même symbolisme de l'analogie qui a fait dire que le prêtre montréalais Emmett Johns, dont Télé-Québec a célébré le dévouement le samedi soir 16 décembre, est le bon Dieu de la rue, un symbole sur terre du Père.
S'ajoute à cela tout le symbolisme des objets. [...] Le sapin de Noël, avec sa mosaïque de lumières et ses boules, rappelle le jardin d'Éden et le fruit symbolique de la légendaire pomme et fait référence au fait que le Christ est pour les chrétiens la «lumière du monde». Les cadeaux à ses pieds sont le symbole que Noël est un temps de partage conforme au message de Celui qui a dit «Ce que vous ferez au plus petit des miens [...]».
Un surplus de sens
Noël, en tant que fête célébrant la naissance de l'Enfant Jésus, s'inscrit dans le même symbolisme. Pour l'ensemble de la chrétienté, cette naissance signifie un «nouveau soleil», la «nouvelle clarté» par excellence dans l'histoire et pour le salut du monde.
En désignant la fête de cette naissance par le mot Noël, on donne à cette ancienne expression festive et profane d'autrefois un indéniable surplus de sens. C'est cette nouvelle fête de la lumière et de la clarté que le père Benoît Lacroix a à merveille célébrée poétiquement par le passé dans la page éditoriale du Devoir.
Daniel Baril soutient dans son article qu'ils ont tort ceux qui se plaignent que, dans la sphère publique, la fête de Noël soit de moins en moins religieuse et toujours plus commerciale. À ses yeux, l'origine du mot «Noël» prouve que Noël devrait être une fête profane «populaire» et même «carnavalesque». Cela aurait pour avantage que le temps des Fêtes serait tout aussi signifiant pour «les laïcs, libres penseurs et athées», lesquels seraient alors justifiés de se souhaiter joyeux Noël!
Ce réductionnisme ne manque pas de revêtir un caractère particulier dans le contexte québécois actuel. Les tenants de la laïcité à outrance militent en faveur de la disparition totale et absolue du phénomène religieux dans l'espace public. Ils présentent souvent leur combat contre le religieux sous le prétexte que la société québécoise doit éviter d'indisposer les membres de confessions religieuses autres que traditionnelles.
Ou encore, connaissant notre vulnérabilité au sujet de la nation, leur combat dit se faire au nom d'une image élogieuse de ce concept. On est amené à croire que, pour eux, «le nationalisme civique aurait comme principale vertu le déracinement d'avec le passé», selon l'expression lucide de [Denise Bombardier (Le Devoir, 18 novembre 2006)->2924]. Le rejet de Noël en tant que fête de la chrétienté relevant de notre héritage collectif n'est qu'un exemple parmi d'autres de l'activisme que mènent les tenants de cette idéologie.
Des valeurs d'intégration
Or bon nombre de nos nouveaux arrivants sont beaucoup plus ouverts que nous le donnent à entendre les tenants de la laïcité à tout crin, vidée de sens. [...] Il y a dans les valeurs d'amour, de justice, de paix, de partage de la joie et de l'espérance véhiculées par le christianisme et ses fêtes une perspective susceptible de contribuer à l'intégration d'un bon nombre de nouveaux Québécois de diverses confessions religieuses.
Il faut donc se réjouir que ces nombreux nouveaux Québécois acceptent, comme cela est normal, de devenir partie prenante des valeurs et des traditions de leur terre d'accueil. Et nous, membres de cette société d'accueil, devons également faire preuve d'ouverture à l'égard de leurs coutumes et croyances dans la mesure où elles sont compatibles avec le bien commun. On doit apprendre à mieux les connaître et à en faire état publiquement, par exemple cette fête juive, l'Hanoukka, aussi nommée «Fête des lumières», qui a lieu cette année du 15 au 23 décembre et dont le symbole est un chandelier à neuf branches appelé hanoukkiah.
L'organisation de la vie collective et de nos institutions publiques doivent tenir compte de cette diversité culturelle et religieuse et chercher à la concilier, avec des mesures aussi concrètes que l'établissement du calendrier public fixant les heures et les jours de travail, les congés fériés, etc. C'est là le sens d'accommodements raisonnables socialement et librement consentis.
Conciliation plutôt que laïcisation
Il est faux de soutenir qu'en matière de religion «il n'y a pas d'accommodement raisonnable», comme l'affirmait [Ghislain Devroede dans Le Devoir du 18 décembre->3399], en raison d'une fausse conception de «la séparation de l'État et des Églises». On comprend fort bien cependant que de telles réactions, de plus en plus nombreuses et que d'aucuns osent à tort qualifier de racisme et de xénophobie, proviennent d'accommodements déraisonnables qui ont pour effet que «la majorité se [sent] lésée dans son choix social par tous ces accommodements qui heurtent fondamentalement ses valeurs», comme l'écrivait le même jour Sylvie Bergeron.
Il faut donc éviter que la conciliation entre les diverses pratiques et confessions religieuses se fasse au prix d'un appauvrissement par le bas. [...] Un État démocratique moderne doit favoriser le sentiment religieux de ses concitoyens, et pas seulement par le biais de déductions fiscales. Il doit par-dessus tout éviter de discréditer le domaine du religieux même si, pour ce faire, il utilisait des procédés plus subtils que ceux des régimes athées et totalitaires.
L'harmonisation sociale des croyances et pratiques des diverses confessions religieuses du Québec d'aujourd'hui n'exige aucunement la laïcisation, synonyme d'abolition de la transcendance et de castration spirituelle. On harmonise ce qu'on valorise!
Que Noël demeure, au vu et au su de tous, la grande fête universelle de la naissance de l'Enfant Jésus. À tous, joyeux Noël!
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Gérard Lévesque
Lévis


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