SELON LE COPRÉSIDENT DE LA COMMISSION SUR LES ACCOMMODEMENTS RAISONNABLES

Québec devra revoir son modèle d'intégration

Accommodements - Commission Bouchard-Taylor


par Tommy Chouinard - À la veille du début des travaux de la commission ad hoc d’étude sur les accommodements, son coprésident Gérard Bouchard fait un constat inquiétant sur toute cette controverse. L’équilibre dans les rapports entre les communautés ethniques, que l’on croyait solide au Québec depuis des années, est en train de se rompre.
Selon l’historien et sociologue, le Québec devra réévaluer son modèle d’intégration des immigrés, faire des « choix de société » afin de « redresser » cet équilibre. « Au Québec, on s’était habitué à l’idée que, depuis 20 ou 25 ans, on avait mis en œuvre une sorte d’équilibre dans les rapports interethniques à cause de l’interculturalisme, de la loi 101, de la Charte québécoise des droits de la personne.
Et maintenant, on s’aperçoit que cet équilibre-là, il était plus superficiel qu’on croit ou il est en train de se défaire. Il faut vraiment y regarder de plus près », explique M. Bouchard, professeur à l’Université du Québec à Chicoutimi.
Gérard Bouchard – le frère de l’ancien premier ministre Lucien Bouchard – croit qu’il était temps « que le gouvernement fasse quelque chose ». « Les matières interethniques, c’est très sensible. Quand des nœuds se mettent là-dedans, c’est dur à défaire. Dans les médias, on a vu des réactions posées et rationnelles, mais d’autres qui l’étaient moins… Et si ça doit continuer comme ça, ça peut devenir très inquiétant », affirme-t-il.
La création de la commission d’étude permettra d’assainir un débat « échevelé » jusqu’à maintenant. Mais pour être capable de « redresser l’équilibre » dans les rapports interethniques, chacun devra « faire quelques compromis », prévient le sociologue.
« J’ai un espèce d’optimisme. Les Québécois sont mûrs pour une bonne discussion, qu’on n’a pas eue depuis longtemps », ajoute-t-il.
Selon lui, le modèle d’intégration des immigrés doit être revu, voire corrigé. « Quelle sorte de modèle veut-on instituer pour les rapports interethniques? Un premier, c’est d’assimiler tout le monde, de rendre tout le monde pareil. Est-ce celui qu’on veut? Peut-être pas. Le modèle qu’on avait mis en place au Québec, c’est l’interculturalisme. Est-ce que nous le gardons? Faut-il le mettre de côté ou trouver autre chose? Faut-il redéfinir l’interculturalisme, le réadapter pour le relancer? Il faudra faire ce genre de choix de société. » Gérard Bouchard juge nécessaire la mise en œuvre de « directives » pour guider les administrateurs de toutes sortes dans leurs décisions face aux demandes des minorités culturelles.
« Dans la plupart des cas d’accommodements dont on a entendu parler, ce sont des décisions qui ont été prises en toute bonne foi par des gestionnaires dans le cadre de leurs fonctions, avec les moyens qu’ils avaient et sous la pression qui était exercée sur eux. Comme il n’y avait pas de directives ou de paramètres, ils se sont débrouillés comme ils ont pu. Le résultat, on le voit : c’est désordonné, ça manque d’uniformité. »
Gérard Bouchard observe que certains accommodements dépassent les bornes.
C’est le cas à ses yeux de la politique de la SAAQ selon laquelle les évaluatrices cèdent leur place à des collègues masculins pour faire passer des examens de conduite à des juifs hassidiques. « C’est facile de voir qu’on est allé trop loin. Ça va à l’encontre des dispositions de la charte. »
Ce n’est pas la première fois que Gérard Bouchard se prononce sur les accommodements consentis aux minorités culturelles. Dans un texte paru le 14 mai dernier dans La Presse, il affirmait même souscrire au principe de l’accommodement raisonnable, « mais avec une importante réserve ».
« À considérer chaque cas isolément, aucun ne semble justifier de pénibles affrontements. Comme bien d’autres observateurs, je constate que l’accommodement raisonnable tend à «pencher» : les décisions semblent toujours aller dans le même sens, celui de l’exception. Il n’y a pas à s’en surprendre puisque les juges opèrent nécessairement comme je viens de dire : au cas par cas. Je crois que, dans le long terme, le système judiciaire accuse ici une limite. »
Toujours dans ce texte, il affirme que, à la longue, le système judiciaire « risque d’encourager la formulation de griefs (en provenance d’irréductibles, principalement) et de diffuser un message contraire à l’esprit du pluralisme en incitant des citoyens à se comporter comme s’ils pouvaient faire abstraction de la société déjà en place et du principe qui rend possible toute vie démocratique ».
« En somme, l’accumulation des exemptions menace d’éroder les valeurs du pluralisme en minant la culture qui doit le soutenir. L’accommodement raisonnable, s’il est incontestablement louable dans son principe, peut en venir à être nuisible dans ses effets. En d’autres mots, autant les citoyens que les juges devraient en user... raisonnablement », concluait-il.
Même s’il a affronté plus d’un débat au cours de sa carrière, Gérard Bouchard se dit un peu intimidé par le mandat que lui a confié Québec. Comme le sujet est « plein de ramifications » et « délicat », « il va falloir marcher sur des œufs ». « On est conscients de la difficulté qui nous attend », lance-t-il.


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