Trois conditions sont nécessaires pour finir par oublier la crise d’Octobre 70 :1. Payer des compensations aux victimes qui ont été arrêtées et emprisonnées pour rien. C’est la justice la plus élémentaire.
2. Reconnaître que la Loi des mesures de guerre était incompétente et inappropriée de la part du gouvernement fédéral, du gouvernement provincial et du gouvernement municipal.
3. Exiger impérieusement que les politiciens de tous les partis aient une connaissance approfondie de ce qu’est véritablement une insurrection, une rébellion, une révolution, un crime contre l’humanité et un coup d’État. Il faut également qu’ils aient la capacité de discerner entre la légitimité et la légalité d’un soulèvement contre le pouvoir ou l’ordre établi. Vaste programme!
Simple à dire et à exprimer par écrit, mais lorsque la politique n’est qu’affaire d’intérêts, de rapports de forces et d’effectivité, alors ces mesures peuvent être remises aux calendes grecques.
J’étais officier dans l’Armée canadienne et en service à la base de Saint-Jean-sur-Richelieu pendant la crise d’Octobre 70. Folles de peur, les autorités militaires avaient immédiatement décidé de fermer la base, de placer des sentinelles armées partout et de patrouiller la clôture du camp.
Le commandant de l’École de Langues de la base se fit entourer d’une garde personnelle. C’était un anglophone unilingue. Ses précautions ridicules provoquèrent l’hilarité générale. Nous savions que le FLQ ne se composait que d’une trentaine de jeunes gens sans moyens et que sa capacité d’agir avec envergure était quasiment nulle, sauf pour une chose :
Le Front de Libération du Québec avait été grossi dix mille fois par les médias, qui s’en servaient pour discréditer tous les mouvements politiques et syndicaux qui avaient pour but la libération du peuple du Québec. ET comme les médias ne sont pas forts en discernement, tout ce qui travaillait pour l’émancipation collective des Québécois était jeté dans le même panier et associé aux révolutions russe, chinoise et cubaine. IL n’y avait pas à en sortir. Comme aux États-Unis pendant le maccarthysme, la « droite » québécoise et canadian ne brillait ni par sa compétence, ni par son discernement.
Prolixes à souhait, comme le sont les demis instruits, les dirigeants de l’époque aux trois niveaux, fédéral, provincial et municipal, ne s’embarrassaient pas de nuances. D’un côté les « bons », eux bien entendu, et de l’autre les « méchants et mécréants », tous ceux et toutes celles qui ne pensaient pas comme eux, et exigeaient certaines nuances dans le langage lorsqu’il s’agissait d’apprécier les situations. J’étais dégoûté par tant d’ignorance crasse, de bassesse, de petitesse, de méchanceté, de malice et d’esprit chagrin.
Cinq officiers dont moi-même, un autre officier et trois médecins allions recevoir la visite de la police. En civil et sans armes, deux officiers seniors, un de la GRC et l’autre de la SQ, se présentèrent discrètement dans mon bureau. Il ne fallait surtout pas provoquer les soldats du Royal 22e Régiment, dont une proportion élevée était sympathique au FLQ.
L’officier senior de la GRC prit le premier la parole et me dit ceci : « Vous avez été vu il y a trois semaines dans une automobile de l’armée en face de la Régionale de Chambly et vous étiez accompagné de Paul Rose. »— « Moi, j’ai été vu il y a trois semaines dans une automobile de l’armée en face de la Régionale de Chambly accompagné de Paul Rose — une automobile d’État-major noire? », répondis-je.
— « Oui », me répondit le policier.
— « Où était le chauffeur? », demandai-je?
— « Le chauffeur? », dit le policier, « Quel chauffeur? »
— « Vous n’êtes pas sans savoir », répondis-je, « que, comme officier, je n’ai pas le droit de conduire une de ces autos. Je dois avoir un chauffeur qui a le droit d’exiger que j’aille m’asseoir sur le siège arrière de l’auto afin de ne pas le déranger », conclué-je. « Alors où était-ce chauffeur? »
— « Ah! », répondit le policier, « Je n’y avais pas pensé. »
Les deux hommes se levèrent et quittèrent mon bureau sans rajouter un mot.
Le manque de discernement de la police était évident dans cet incident qui n’a guère eu de conséquence, sauf que, peu de temps après, j’allais être muté au Grand Quartier Général de la Force Mobile à Saint-Hubert, sur ordre d’un général québécois dont je veux ici taire le nom.
C’est dans ce quartier général que deux incidents importants sont survenus.
Le premier : le Quartier Général de Montréal, au 3530, rue Atwater, porta plainte contre moi pour avoir écrit une lettre en français, une seule, rien qu’une sur les milliers de lettres et de textes officiels que j’avais rédigées en Oxford English au cours des 25 ans de service qui avaient précédé.
J’avais même enseigné la composition officielle en anglais à des officiers anglophones. Mais ce n’était pas suffisant. Même la Loi sur les langues officielles ne me permettait pas alors d’écrire en français. En Europe, j’avais servi d’interprète anglais, français et allemand. Non, ce n’était pas assez. Même une syllabe en français ne pouvait être tolérée.
Sans dire un mot, j’ai récidivé, et toute la correspondance dirigée vers les Quartiers Généraux de Montréal, de Québec et du camp Valcartier, fut rédigée en français formel.
Le deuxième incident était plus grave : il y avait à l’intérieur des Canadian Armed Forces des préparatifs pour une nouvelle intervention militaire majeure contre le Québec, surtout ses nouvelles classes moyennes, dont les syndicats et les membres du Parti Québécois.
Cette fois, j’ai remis les documents secrets concernant ces préparatifs à Messieurs Lévesque et Parizeau. Je me savais protégé contre toute poursuite par les précédents causés par les procès de Nuremberg, et effectivement, je n’ai pas été poursuivi. Il me fallait mettre le frein à une tendance morbide à prendre les armes contre des groupements sans défense, et je l’ai fait.
Depuis ce temps, le Quartier général de la Force mobile a été déménagé à Kingston, et le Quartier Général de Montréal a été fermé. Les édifices du Quartier Général de la Force mobile abritent maintenant la mairie de Longueuil.
Telles sont quelques leçons à tirer de la Crise d’Octobre 70. Nous devons aller beaucoup plus loin maintenant, et commencer à préparer notre propre défense territoriale du Québec.
JRM Sauvé
Les leçons à tirer
Quand la crise d'octobre prendra-t-elle fin ?
Le Québec doit se préparer à défendre son territoire
Tribune libre
René Marcel Sauvé217 articles
J. René Marcel Sauvé, géographe spécialisé en géopolitique et en polémologie, a fait ses études de base à l’institut de géographie de l’Université de Montréal. En même temps, il entreprit dans l’armée canadienne une carrière de 28 ans qui le conduisit en E...
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J. René Marcel Sauvé, géographe spécialisé en géopolitique et en polémologie, a fait ses études de base à l’institut de géographie de l’Université de Montréal. En même temps, il entreprit dans l’armée canadienne une carrière de 28 ans qui le conduisit en Europe, en Afrique occidentale et au Moyen-Orient. Poursuivant études et carrière, il s’inscrivit au département d’histoire de l’Université de Londres et fit des études au Collège Métropolitain de Saint-Albans. Il fréquenta aussi l’Université de Vienne et le Geschwitzer Scholl Institut Für Politische Wissenschaft à Munich. Il est l'auteur de [{Géopolitique et avenir du Québec et Québec, carrefour des empires}->http://www.quebeclibre.net/spip.php?article248].
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7 commentaires
Jean-François-le-Québécois Répondre
10 octobre 2012@ Louis Méthé:
et @ R. M. Sauvé:
«Nous avons peur de provoquer notre adversaire et de nous attirer ses foudres comme au moment de la déclaration des mesures de guerre.»
Il faut voir jusqu'où ils seraient prêts à aller, nos amis du ROC, si nous avions un référendum gagnant, et que méprisant le droit international, il leur venait l'envie de poser un geste qui serait comme une invasion, alors.
Ils n'ont pas un armement comparable à celui des Américains, par exemple. Ils auraient à mettre les pieds ici, se battre au corps à corps.
Or, ils sont plutôt du genre à voler des référendums. Ou à provoquer des bagarres, à dix contre un ou deux, sur la Grande-Allée de Québec, comme nos amis les skieurs ontariens des années 1990... Nos amis du ROC auraient peut-être la surprise de voir des soldats québécois de l'Armée de Sa Majesté, pointer leurs armes sur eux...? Est-ce un risque qu'ils sont prêts à gérer?
Les Anglais ont justement un proverbe qui me semble ici pertinent: «blood is thicker than water».
Mais je vais laisser à monsieur Sauvé, l'évaluation de la probabilité de tout cela.
Serge Jean Répondre
9 octobre 2012Bonsoir monsieur Sauvé.J'ai lu avec grand intérêt votre récit, et franchement votre grand sens de la << justice >> m'a ému.
Un individus qui fait passer la << justice >> avant tous ses maîtres, est certain de servir le bon maître; comme le marin qui navique avec l'étoile polaire sait qu'il ne se perdra pas.
Plus nous serons nombreux à enfoncer l'épée dans la bête, davantage notre vaisseau pourra nous mener vers notre libération glorieuse, que nous partagerons avec tous les peuples libres du monde à venir.
La justice et la dignité;la proue et la poupe du vaisseau d'or.
Jean
Archives de Vigile Répondre
9 octobre 2012«Le Québec doit se préparer à défendre son territoire.»
Vous aborder là un sujet tabou. Presque personne n'ose aborder cette question. Pourtant les Écossais l'ont fait de façon franche et ouverte. Ils ont déjà prévu quelles seraient les dispositions à prendre dès l'indépendance déclarée.
Nous avons peur de provoquer notre adversaire et de nous attirer ses foudres comme au moment de la déclaration des mesures de guerre.
Il faudra bien y venir. La défense du territoire est la première fonction de l'État. Sans elle il ne peut imposer son autorité sur son territoire. L'exemple de la Syrie en ce moment le montre bien.
Robert Bertrand Répondre
9 octobre 2012Trois positions sont mises de l'avant par M. René-Marcel Sauvé.
1. Payer des compensations aux victimes qui ont été arrêtées et emprisonnées pour rien. C’est la justice la plus élémentaire.
2. Reconnaître que la Loi des mesures de guerre était incompétente et inappropriée de la part du gouvernement fédéral, du gouvernement provincial et du gouvernement municipal.
3. Exiger impérieusement que les politiciens de tous les partis aient une connaissance approfondie de ce qu’est véritablement une insurrection, une rébellion, une révolution, un crime contre l’humanité et un coup d’État . Il faut également qu’ils aient la capacité de discerner entre la légitimité et la légalité d’un soulèvement contre le pouvoir ou l’ordre établi. Vaste programme !
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L'amateurisme démontré des élus qui voulaient que ne faire peur à la population pour dévaloriser l'option du Pays du Québec.
Ils ont été contrés par la publication officielle de documents et votre volonté de faire connaître à l'avance une nouvelle intervention militaire suite à l'élection du Parti Québécois.
Mission à hauts risques et réalisée avec aplomb.
Après coup, on réalise l'ampleur de la tâche et la responsabilité d'un individu face à «son devoir citoyen» quoi qu'il arrive.
Combien de personnes responsables vous auraient remercié après ces événements?
C'est beaucoup plus la satisfaction du devoir accompli qui doit vous réconforter.
Être là au bon moment. La situation vécue avec la connaissance et les bons documents marquent définitivement l'Histoire de notre Pays du Québec.
Comme il est dit dans «Le Québec, carrefour des empires» Les Éditions du Québécois, Québec 2007 J-René-Marcel Sauvé: «La nécessité n'a pas de loi» p 21
Être présent dans son monde, le vivre, l'assumer, le protéger, le marquer.
Respectueusement,
Robert Bertrand
Jean-François-le-Québécois Répondre
9 octobre 2012@ R. M. Sauvé:
« Il me fallait mettre le frein à une tendance morbide à prendre les armes contre des groupements sans défense, et je l’ai fait.»
Merci de l'avoir fait.
Archives de Vigile Répondre
9 octobre 2012Ceci pourrait inspirer les victimes du Fédéral :
http://www.slateafrique.com/95737/violences-coloniales-des-kenyans-autorises-poursuivre-la-grande-bretagne
Archives de Vigile Répondre
9 octobre 2012En tant qu'ancien prisonnier politique d'Octobre 70, de président fondateur de ce qui fut la Fondation Octobre 70, je vous redis mon admiration tant pour votre clairvoyance que votre détermination.
Comme vous je pense que cet attentat politique contre les indépendantistes québécois est l'une des plus odieuses manipulations du gouvernement du Canada. Mais je n'ai aucun espoir que quelques excuses que ce soient ne viennent de l'oligarchie antiquébécoise qui règne à Ottawa. Nous disparaissons petit à petit, de mes voisins immédiats de cellule, Gérald Godin, Gaston Miron, Pierre Vallières et Charles Gagnon, je suis le seul survivant.
Merci de ce rappel et puissent les jeunes continuer le combat!
Gaëtan Dostie