Quand l'histoire se fait outil de propagande

Par Laurent Lamontagne et Alex Bouvier

Coalition pour l’histoire


Nous voulons ici dénoncer le parti pris nettement tendancieux et obscurcissant des contenus et des concepts disciplinaires qui sont sur le chemin de l'approbation au ministère de l'Éducation, du Loisir et du Sport pour le cours d'histoire et d'éducation à la citoyenneté (histoire du Québec-Canada) qui sera enseigné aux élèves québécois de secondaire III et de secondaire IV à partir de l'année 2007-08.
Au départ, soyons clairs : il ne s'agit pas ici de remettre en cause ni d'évaluer la démarche par compétence qui a été choisie sur le plan didactique pour ce programme, une suite logique à ce qui se fait déjà en histoire et en éducation à la citoyenneté à l'enseignement primaire et au premier cycle du secondaire. Non, c'est plutôt l'esprit résolument ultrafédéraliste et le choix fortement subjectif des thèmes disciplinaires traités qui suscitent notre indignation.
Comme on le sait, il y a depuis plus d'une génération deux points de vue qui s'opposent au Québec sur la question nationale, avec des franges radicales aux extrêmes de ces deux options, l'une indépendantiste, l'autre fédéraliste.
À notre avis, l'actuelle proposition de programme est conçue par des historiens fédéralistes et vise à former une jeunesse qui penserait comme eux. Comment y arriverait-on ? Entre autres en taisant des côtés historiques de notre histoire qui amènent logiquement un développement de l'identité québécoise sur le plan historique, puisque c'est de cela qu'il est question, sans même parler d'avenir.
Aux fins de ce texte, nous nous limitons au programme chronologique qui sera proposé aux élèves de secondaire III puisque c'est le seul qui devra être suivi par l'ensemble des adolescents, le cours secondaire proposé étant scindé après cette année-là. De toute façon, l'approche par thèmes de l'année scolaire suivante poursuit des choix idéologiques disciplinaires essentiellement biaisés.
D'ailleurs, comme un seul des deux grands courants historiographiques québécois est offert aux élèves sur la question nationale, comment peut-on justifier le fait que le développement de l'esprit critique est censé être un jalon important de la formation des élèves dans le cadre de la réforme de l'enseignement et des programmes en cours en général ainsi que de l'histoire et de l'éducation à la citoyenneté en particulier au chapitre disciplinaire ?
Taire la Conquête
Voyons ici quelques-uns des aspects outrageants. Après une réalité sociale appropriée sur les premiers occupants, les Amérindiens, le ton est donné dès la réalité sociale suivante, qui traite de la colonisation française dans la vallée du Saint-Laurent : l'émergence de la société canadienne. Il y est dit que «les descendants de Français deviennent, au fil du temps, des Canadiens». La confusion voulue, et que nous dénonçons, vient ici du fait que les descendants de Français en question deviennent plutôt, au fil des générations, la société québécoise actuelle, histoire et réalité que s'approprieront peu à peu les Britanniques et leurs descendants après la Conquête de 1760.
Cet événement fondamental -- la Conquête -- est à peine nommé dans le préambule de la réalité sociale suivante. Il est aussi complètement évacué de l'angle d'entrée de cette réalité sociale qu'on veut imposer aux élèves et aux enseignants québécois. Il s'agit pourtant de l'événement le plus important de notre histoire ! Il détermine toute la suite de l'histoire politique du Québec.
Les Canadiens (devenus, après 1840, des Canadiens français, puis des Québécois, puisque le conquérant en viendra à s'approprier jusqu'à leur nom) seront pour la suite des choses dominés politiquement, ce que confirme l'acte d'Union de 1840. Ce n'est évidemment dit nulle part dans le document de travail en voie de devenir le programme officiel de notre histoire nationale.
La Conquête est plutôt présentée comme l'étape charnière de «l'accession à la démocratie dans la colonie britannique». Pas un mot n'est évidemment dit sur la déportation des Acadiens en 1755 et le vol de leur terres par les Anglais. Les nombreuses tentatives d'assimilation de la majorité canadienne (les Québécois francophones d'aujourd'hui) par le conquérant britannique -- particulièrement caractérisées par la Proclamation royale et le serment du test de 1763 -- sont aussi rigoureusement tues.
L'acte du Québec de 1774 est lui aussi complètement occulté, lui qui explique pourtant pourquoi les Québécois sont, entre autres, juridiquement différents aujourd'hui des autres Canadiens avec un Code civil particulier. Non, la période 1760-1848 est présentée comme un beau périple vers l'accession à la démocratie dans la colonie britannique grâce aux idées libérales britanniques...
Tout au long de cette «chevauchée», on sent qu'une attention particulière est portée, par les choix historiques faits, à évacuer le plus systématiquement possible les différents phénomènes d'oppression nationale subis par les ancêtres des Québécois actuels. C'est particulièrement vrai pour l'acte d'Union de 1840, imposé de façon complètement antidémocratique, une autre tentative d'assimilation des Canadiens (devenus Canadiens français) et leur mise en minorité politique définitive, confirmation de la Défaite de 1760, encore une fois puisque c'est fondamental.
Ni Confédération, ni conscription, ni référendums !
Lorsqu'arrive la formation de la fédération canadienne (évidemment, le mot «confédération» n'est pas même mentionné), les détails politiques omettent de mentionner qu'elle fut une fois de plus imposée aux Québécois, sans les consulter. Au cours de cette période (1867-1930), où l'exercice de la citoyenneté de l'élève doit être développé par le seul relais économique, l'aspect politique est mis de côté. Cela commande bien sûr de ne pas même nommer la conscription de 1917, imposée par la force aux Québécois par le Canada anglais...
Entre 1930 et 1980, tenez-vous bien : le néo-nationalisme des années 50-60 et toute la question de l'affirmation nationale des Québécois au cours de cette période est complètement tue... Seules les questions de mentalité, de modernisation de l'État, de son interventionnisme accru et des rapports entre l'État et le citoyen (des questions importantes, bien sûr) ont droit de cité.
À partir de 1980, ce qui s'apparente à du «biaisage» fédéraliste et à de la désinformation historique sur la question nationale devient criant. Croiriez-vous que les événements incontestablement majeurs que sont les référendums de 1980, 1992 et 1995 ne sont pas même mentionnés ? Seul est mentionné «l'enchâssement de la Charte canadienne des droits et libertés dans la Loi constitutionnelle» de 1982, en taisant évidemment le fait que le Québec n'a jamais entériné cette Constitution et qu'il fut alors rejeté par le reste du Canada. Vous aurez deviné qu'il y a un silence complet sur l'épisode du Lac-Meech.
Après tout ça, on viendra nous redire (avec raison, par ailleurs) que sur le plan didactique, l'élève doit partir du monde actuel et qui l'entoure (la question nationale est, c'est le moins que l'on puisse dire, un sujet d'actualité) pour s'approprier l'histoire. Ce pourrait être drôle si ce n'était pas aussi profondément triste.
Bref, nous croyons que ce programme doit être très largement revu sur le plan disciplinaire, surtout quand on sait que l'évaluation des élèves se fera, par-delà les compétences, par le biais des concepts mis en avant par le programme. Dans son état actuel, il s'agit de rien de moins qu'un pur exercice de propagande fédéraliste qu'on veut imposer à l'enseignement secondaire québécois en histoire nationale. En soi, c'est un scandale d'interprétation en regard de notre présent et, surtout, de notre histoire.
Même la bibliographie du programme projeté est vague, imprécise et incomplète, ne mentionnant pas d'où viennent ses sources et ses références historiques. Il s'agit pourtant là d'un simple exercice de base lorsqu'on est un historien consciencieux. Pourquoi ne pas écrire ou indiquer quelque part en référence que les seuls historiens consultés sont d'obédience fédéraliste reconnue et que celui qui, semble-t-il, a fait la révision historique finale à ce jour sur la période contemporaine est un historien très connu pour ses positions antinationalistes québécoises ? C'est là un des conflits d'intérêts flagrants de l'idéologie prônée par ce programme.
N'a-t-on pas récemment entendu de hauts cris sur le devoir d'objectivité de l'école sur ce genre de terrain ? Ici, c'est bien plus grave : c'est du programme d'histoire nationale du Québec-Canada lui-même qu'il est question.
Félix Bouvier, Historien et didacticien
Laurent Lamontagne, Président de la Société des professeurs d'histoire du Québec


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