Projets industriels - Québec refuse d’exiger des plans d’urgence

Une directive a été diffusée par le ministère de l’Environnement il y a plus de dix ans

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C'est pourtant la meilleure façon de s'assurer que les risques sont connus et que des mesures de sécurité adéquates sont en place

Le gouvernement du Québec a beau critiquer Ottawa pour son manque de rigueur dans la gestion des risques dans le transport ferroviaire à la suite de la tragédie de Lac-Mégantic, lui-même empêche ses fonctionnaires d’exiger des analyses de risques et des plans d’urgence industriels pour les projets qui ne sont pas assujettis aux évaluations environnementales, et ce, depuis plus de dix ans.

Dans une note d’instruction que le ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs a envoyée à ses directions régionales en 2001, il est clairement indiqué que « lorsqu’un promoteur demande un certificat d’autorisation en vertu de l’article 22 de la Loi sur l’Environnement relativement à une activité qui n’est pas balisée par un règlement spécifique, le Ministère ne doit pas exiger le dépôt d’un plan d’urgence ni d’une analyse de risque d’accidents technologiques comme condition d’obtention du certificat d’autorisation ».

Le minimum

Dans le cas où un projet est soumis à un règlement qui exige un plan d’urgence, le ministère impose à ses directions régionales d’exiger le « minimum » aux promoteurs, indique le document dont Le Devoir a obtenu copie.

La très grande majorité des projets qui voient le jour au Québec passent par le ministère de l’Environnement qui doit délivrer des certificats d’autorisation leur permettant de voir le jour. Les plus gros sont examinés par le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE), qui demande de façon systématique des analyses de risques et des plans d’urgence. Certains secteurs industriels, comme l’entreposage de pneus, les pâtes et papiers et la destruction de déchets biomédicaux, sont par ailleurs soumis à des règlements spécifiques. Mais pour la très grande majorité des secteurs, il n’y a aucune réglementation pour exiger de tels documents.

Conflit entre l’Environnement et la Sécurité publique

Jusqu’en 2001, les fonctionnaires du ministère de l’Environnement pouvaient exiger, en vertu de la Loi sur l’Environnement, des analyses de risques et des plans d’urgence pour juger de l’acceptabilité d’un projet. Selon nos sources, le ministère s’apprêtait à renforcer ces mesures et avait même fait rédiger des guides visant à encadrer les entreprises dans la rédaction de leurs analyses de risques et de plans d’urgence adéquats.

Or, « ça brassait pas mal » entre le ministère de l’Environnement et celui de la Sécurité publique, qui s’apprêtait à l’époque à adopter la Loi sur la sécurité civile, raconte une source proche du dossier. La Sécurité publique aurait « tassé tout le monde » et décidé de prendre le dossier en main. D’autres soutiennent que la Sécurité publique a refusé de financer l’Environnement pour faire appliquer ces mesures et que c’est par frustration que l’Environnement a décidé de se désengager complètement du processus. À l’interne, plusieurs se sont opposés, mais la décision était prise en haut lieu.

Quoi qu’il en soit, la loi sur la Sécurité civile a été adoptée, mais les articles 8 à 41, qui portent sur les risques industriels et qui obligent notamment les « générateurs de risques », dont les compagnies ferroviaires, à transmettre toutes les informations pertinentes aux municipalités concernées, n’ont jamais été mis en oeuvre, faute d’un premier règlement d’application, comme le rapportait Le Devoir plus tôt cet été. Ainsi, la directive du ministère de l’Environnement de ne pas exiger d’analyses de risques et de plans d’urgence, qui devait être une « position intérimaire » permettant d’arrimer les positions ministérielles sur les risques technologiques, a toujours cours, 12 ans plus tard.

Joint par Le Devoir à New York, le ministre de l’Environnement de l’époque, André Boisclair, affirme n’avoir aucun souvenir de cette directive. « Aucune idée, ça fait douze ans, je ne pourrais pas justifier le contexte », s’est contenté de répondre le délégué général du Québec à New York. Au ministère de l’Environnement, on a laissé le dossier traîner pendant plus de deux semaines sans répondre aux questions du Devoir.

Une situation « extrêmement préoccupante »

En novembre dernier, Jean-Paul Lacoursière, professeur associé au Département de génie chimique à l’Université de Sherbrooke et expert en gestion de risque, a envoyé une lettre à la première ministre, Pauline Marois, de même qu’à son ministre de l’Environnement du moment, Daniel Breton, pour les informer de cette situation qu’il jugeait critique. « J’ai été étonné et très déçu du gouvernement du Québec qui, volontairement, instruisait ses fonctionnaires de ne pas s’assurer que les mesures pour assurer la sécurité de ses citoyens soient prises. […] Cette situation est extrêmement préoccupante puisqu’elle ne permet pas au Ministère de prendre connaissance de l’ensemble des risques et de requérir les mesures de prévention et d’intervention nécessaires. »

Pour cet homme, qui a participé à la rédaction des principes directeurs de l’OCDE pour la prévention, la préparation et l’intervention en matière d’accidents chimiques, un tel désengagement de l’État n’est pas sans conséquence. « Par son cadre réglementaire moins exigeant, le Québec peut être plus vulnérable aux accidents technologiques », affirme-t-il. Car si une analyse de risques n’empêche pas nécessairement les accidents, elle permet de mieux les prévoir et donc, de mieux en gérer les risques.

Il donne deux exemples, datant de novembre dernier, soit l’explosion dans un réservoir d’acétone à l’usine de transformation d’huile de krill de Sherbrooke, Neptune Technologies, qui a fait trois morts, de même que celle du centre de recherche de Bombardier produits récréatifs à Valcourt, qui a fait un mort et blessé un autre employé. «L’instruction permanente 01-15 doit être annulée, écrit Jean-Paul Lacoursière. Neptune technologies et Bombardier Produits récréatifs ont payé très cher. Faudra-t-il attendre un troisième accident avant d’agir?»

Bien que la lettre de M. Lacoursière ait été envoyée à son bureau en novembre dernier, l’ancien ministre de l’Environnement, Daniel Breton, jure ne jamais avoir été mis au courant de cette situation. « Je n’étais pas au courant. L’avoir vu passer, j’aurais posé des questions, c’est certain, s’est exclamé sur un ton consterné Daniel Breton. Si c’est effectivement le cas, ça veut dire qu’il faut revoir sérieusement le processus, tant au gouvernement qu’auprès des compagnies. »


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