Projet de loi 141: cri d’alarme de deux ex-parlementaires

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Inquiétude autour du projet de loi sur les pourvoyeurs de services financier

Il est très rare, voire inédit, que deux anciens parlementaires, qui ont siégé face à face au Salon bleu, prennent conjointement la plume pour écrire à tous les membres de l’Assemblée nationale. La situation est critique : nous sommes extrêmement préoccupés par plusieurs orientations et dispositions du projet de loi 141 (PL 141) qui vont directement à l’encontre à la fois de la protection des consommateurs et de la mise en valeur du professionnalisme des personnes œuvrant dans l’industrie. Nos préoccupations sont également largement partagées par les regroupements de consommateurs. Nous décrivons maintenant quelques-uns des points majeurs soulevant des questionnements et des objections.


Alain Paquet, professeur titulaire, ESG-UQAM, ancien ministre délégué aux Finances (PLQ) et ancien président de la Commission des finances publiques

Rosaire Bertrand, ancien président, Commission des finances publiques (PQ)


Premièrement, le projet de loi propose de laisser n’importe qui pouvoir offrir des conseils financiers, sans être certifié auprès de l’Autorité des marchés financiers (AMF) et sans être imputable de ses gestes et sans avoir un code de déontologie. Sans l’exigence de conseils fournis par des professionnels certifiés de l’industrie, on favorise ainsi la réduction du nombre de professionnels et de leur place relative au sein de l’industrie, avec un impact particulièrement marqué en régions. De plus, un consommateur mal assuré ou mal desservi par son produit ne s’en rendra compte seulement lorsqu’il y aura une réclamation, souvent plusieurs années après l’achat du produit.


Deuxièmement, le PL 141 s’apprête aussi à ouvrir grand les portes à la distribution de produits financiers par Internet sans l’intervention d’un représentant certifié, et ce, sans mettre en place les garde-fous adéquats. D’ailleurs, la seule logique qu’on détecte à la lecture du PL141 est la place prépondérante qui sera accordée à l’écoute des grosses organisations financières. De fait, le PL 141 leur crée une voie réservée accélérée pour influencer la réglementation avec une voix dominante.


Troisièmement, en abolissant deux organismes d’autoréglementations, soit la Chambre de l’assurance de dommages (ChAD) et la Chambre de sécurité financière (CSF), le PL 141 mine le système professionnel des personnes œuvrant dans l’industrie qui assure présentement de hauts standards de professionnalisme pour que les Québécois soient pleinement protégés. En 1998, après une mûre réflexion, les parlementaires avaient conclu qu’un encadrement reposant sur un système d’autoréglementation qui connaît la réalité sur le terrain des relations entre les professionnels et les consommateurs était nettement préférable. Curieusement, alors que le ministre semble trouver des vertus non spécifiées et non avérées dans l’abolition de ces deux organismes d’autoréglementation, il conserve d’autres organismes d’autoréglementation, par exemple, en matière de valeurs mobilières et en matière de courtage immobilier. Les modifications proposées dans le PL141 semblent donc échapper à une certaine cohérence.


Quatrièmement, en cas d’une faute déontologique présumée, actuellement, un consommateur peut se tourner vers les Chambres, menant à une enquête de leur syndic. Le consommateur peut faire appel gratuitement d’une décision du syndic. Tout cela disparaît en vertu du PL141. Par ailleurs, si le consommateur a un litige avec l’assureur, actuellement l’AMF offre un service de médiation gratuit qui deviendra payant avec le PL-141. De plus suite à une médiation, le consommateur n’aura plus la possibilité d’interjeter appel, et il lui restera, s’il y a lieu, à saisir les tribunaux, incluant les petites créances, et ce à ses frais. Le mécanisme de médiation, tel qu’il aurait cours, occasionne aussi une perte de mémoire ou de traces pouvant servir : (1) à apporter des correctifs administratifs dans le cas de pratiques qui seraient sujettes à des améliorations dans l’industrie ou (2) à tirer des leçons via la documentation des manquements ou erreurs de certains professionnels, qui pourraient servir à bonifier en conséquence la réglementation.


Cinquièmement, le PL 141 fait aussi disparaître le Fonds pour l’éducation et la saine gouvernance à l’Autorité des marchés financiers dont le rôle était justement de soutenir des projets d’éducation financière, de recherche et de sensibilisation pour les consommateurs.


Rappelons que ce projet de loi a des ramifications profondes tant en ce qui a trait à l’assurance de dommages, à l’assurance de personnes et à l’épargne collective. Sans aucun motif partisan, cette lettre se veut une invitation aux parlementaires de toutes les formations politiques à remettre en question les dispositions du projet de loi qui posent problème et qui demandent davantage de travail en amont pour moderniser de manière optimale l’encadrement du secteur financier.


Les dispositions relatives aux enjeux fondamentaux que nous soulevons avec et pour la majorité des intervenants (parmi les quelque 50 000 professionnels et les millions de Québécois qui seront affectés par les modifications proposées) méritent un temps d’arrêt pour bien approfondir ces questions, pour trouver les bonnes solutions et réformer adéquatement l’encadrement.


Le réaménagement des structures sans réflexion rigoureusement explicite sur les finalités à poursuivre pour garantir une amélioration de l’encadrement, revient à mettre tous ses œufs dans le même panier, ce qui va à l’encontre du sain principe de diversification que la science économique et la finance recommandent judicieusement.


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