Pourquoi pas le modèle Sarkozy?

Le Québec a donc tous les outils qu’il lui faut pour élaborer une loi sur l’accueil et l’intégration des immigrants

Accommodements - Commission Bouchard-Taylor

"Que faut-il faire pour que les Québécois, qui se disent « maîtres chez eux » depuis 1962, ne se sentent plus menacés par quelques immigrants arrivés l’année dernière ?" - L’actualité, 1 octobre 2007
La fédération canadienne n’a cessé d’accorder de nouveaux pouvoirs à l’Assemblée nationale du Québec. Par exemple, le « Maîtres chez nous », slogan électoral qui permettait à Jean Lesage de reprendre le pouvoir, en novembre 1962, conduira à l’adoption d’un régime de retraite propre à la province et à la création de la Caisse de dépôt et placement. En juillet 1974, Robert Bourassa faisait adopter la loi 22, dont l’article 1 stipule que « le français est la langue officielle du Québec ». En février 1991, Ottawa reconnaissait au Québec le pouvoir de sélectionner ses immigrants et de veiller à leur intégration linguistique et culturelle d’une manière qui soit « respectueuse du caractère distinct de la société québécoise ». Et la Chambre des communes vient de proclamer que les Québécois forment une nation au sein d’un Canada uni.
Le Québec a donc tous les outils qu’il lui faut pour élaborer une loi sur l’accueil et l’intégration des immigrants. Pourquoi ne pas s’inspirer du « modèle Sarkozy » ? On le trouve dans la longue lettre de mission — six pages ! — envoyée par le président de la France à son ministre de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Codéveloppement, Brice Hortefeux. (Ce serait d’ailleurs une bonne pratique, ici, que les premiers ministres publient eux aussi les « lettres de mission » qu’ils envoient à leurs ministres.)
La France décide que l’immigrant « fera l’objet d’un test d’apprentissage de [la] langue et de [la] culture [françaises] avant [son] entrée en France ». Il devra aussi signer un « contrat d’accueil et d’intégration » énonçant, entre autres, que « toute personne souhaitant vivre [en France] devra s’engager à maîtriser le français et à respecter les principes fondamentaux de la République, en particulier l’égalité entre les hommes et les femmes […], l’obligation d’éducation et de scolarisation des enfants, la laïcité et la liberté de conscience ». Voilà qui me semble baliser ce qui est devenu, dans l’esprit de certains, un sacro-saint droit à l’accommodement !
En plus des chartes sur les droits de la personne, la Commission Bouchard-Taylor de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles va-t-elle prendre en considération la Charte de la langue française ? Les deux questions sont indissociables depuis que la Cour d’appel du Québec, la semaine même du lancement de la consultation, a ouvert une autre brèche dans la loi 101 en contestant le droit du Québec de réglementer l’accès à l’école anglaise.
Un long essai du linguiste Jean-Claude Corbeil, conseiller puis sous-ministre responsable de la politique linguistique, dresse le bilan de ce qu’il appelle « l’embarras des langues ». Lui aussi fait un lien entre politique linguistique et politique d’immigration. Il affirme que les Québécois attendent des immigrants « que, dans leur manière d’être […], ils respectent les lois et les valeurs de la société québécoise, notamment le principe de l’égalité des hommes et des femmes et le caractère laïque de la société, selon le principe que la pratique d’une religion est un geste privé qui s’exerce dans des lieux également privés ». Et Jean-Claude Corbeil de proposer que le Québec conclue avec les immigrants un « contrat moral » qui leur imposerait, en parallèle avec leur droit à l’accommodement, des devoirs de respect de la majorité.
Tout cela semble bien raisonnable, mais est bien difficile d’application depuis la nouvelle Constitution (1982), à laquelle le Québec n’a jamais adhéré. L’immigrant choisit de s’établir au Canada, pays officiellement bilingue. Comment lui imposer l’unilinguisme français ? Le Québec, à l’instar du reste du Canada, offre un bilinguisme institutionnel, mais le français y est la seule langue d’usage, tout comme ailleurs au Canada, c’est l’anglais.
Le projet du Québec se heurte aussi à la politique fédérale du multiculturalisme. L’accord Canada-Québec sur l’immigration, de 1991, dit « accord McDougall-Gagnon-Tremblay », précise d’ailleurs que l’entente en question « n’a pas pour effet de restreindre le droit du Canada d’offrir aux citoyens canadiens des services liés au multiculturalisme et de promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens ». C’est un concept que Corbeil trouve « mensonger et nocif ». Ce multiculturalisme, en effet, encourage le repli communautaire militant et nourrit l’illusion qu’en venant au Canada les immigrants ont le droit de continuer à vivre exactement comme s’ils n’avaient pas changé de pays.
C’est évidemment ce que refusent les Québécois de souche.
Il faut lire :
L’embarras des langues : Origine, conception et évolution de la politique linguistique québécoise, par Jean-Claude Corbeil, Québec Amérique, 2007.
La fin de la nation française d’Amérique, par Jacques Godbout (L’actualité, 1er sept. 2006), et les réactions au débat sur la possible « disparition » du Québec.
Le Québec en mutation, par Guy Rocher, Hurtubise HMH, 1973.
Mais comment se fait-il qu’aucun de ces trois intellectuels ne soit membre du comité-conseil de la commission Bouchard-Taylor ?


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