Pourquoi il faut remettre en question le prix Sir-John-A.-Macdonald

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Hier Dollard des Ormeaux, aujourd'hui Macdonald, et demain ce sera le tour de Lévesque ou Parizeau...

Les membres de la Société historique du Canada – Canadian Historical Association (SHC-CHA) ont récemment décidé de changer le nom d’un des prix les plus prestigieux remis par des pairs dans leur discipline. Le prix Sir-John-A.-Macdonald est devenu le Prix du meilleur livre savant en histoire canadienne.


Ce choix, survenu alors que le Canada vient tout juste de célébrer les 150 ans de la Confédération, semble peut-être étrange. Certains historiens ont d’ailleurs réagi très négativement à cette annonce. Christopher Dummitt, professeur en études canadiennes à l’Université Trent, s’est prononcé ouvertement contre cette décision dans des propos rapportés par le National Post, la qualifiant de geste anhistorique empreint de puritanisme moral. D’autres affirment que l’association cède à la mode et à la rectitude politique. Selon un commentaire reçu par la présidente de la SHC-CHA, Adele Perry, cette décision représente le prélude à la construction d’un bûcher pour toutes les oeuvres traitant du grand homme. L’opposition à la mesure fut somme toute marginale : le vote appuyant le changement l’a emporté avec 121 voix contre 11. La virulence de certains arguments contre la modification appelle toutefois à quelques remarques.


D’abord, certains membres ont souligné que la motion constituait une réponse partielle et inadéquate aux conclusions du rapport final de la Commission de vérité et réconciliation du Canada. Il faudrait être naïf pour croire que le nouveau nom d’un prix de la SHC-CHA représente un grand pas pour amender les relations entre les historiens du milieu universitaire et les Premières Nations. Ce n’est qu’un symbole. J’ai voté pour le changement pour exprimer une conviction : je crois les gens qui parlent des effets pervers et destructeurs de la colonisation au Canada et qui disent que ce chapitre de notre histoire se poursuit. J’espère que les choses vont s’améliorer. Il me semble que le statu quo aurait lancé un message négatif bien difficile à défendre auprès de nos collègues Amérindiens, Métis et Inuits.


J’estime ensuite que les accusations voulant que la SHC-CHA cède à la mode et à la rectitude politique négligent de nombreux aspects du débat. Oui, le vote s’est tenu dans un contexte où beaucoup de gens souhaitent répondre à la Commission de vérité et réconciliation du Canada et veulent accomplir des gestes de décolonisation dans leur discipline universitaire. On peut crier à l’opportunisme ou à la rectitude, mais on peut aussi se demander ce qu’il y a de répréhensible dans le désir d’agir. D’autre part, les historiens et les historiennes sont loin d’avoir attendu le dépôt du rapport final pour poser un regard critique sur l’héritage de sir John A. Macdonald. Au cours des dernières décennies, un grand nombre d’ouvrages ont exploré différents aspects de ses politiques. […]


D’autres ont défendu le statu quo en affirmant que changer le nom du prix résultait d’une critique « anhistorique et présomptueuse » d’un homme qui n’était que le produit de son époque. Je trouve cette justification un peu facile : qui n’est pas le produit de son époque ? […] Les figures historiques sont complexes et souvent pétries de contradictions. Reste que la position qu’il a occupée et les décisions qu’il a prises pèsent particulièrement lourd dans la balance. Il a dirigé le Canada pendant 19 ans. Il disposait d’un très grand pouvoir politique et il l’a utilisé en sachant qu’il mettait en péril la survie de gens qu’il considérait comme inférieurs. Je vois mal quelles grandes réalisations peuvent compenser cela, et je conçois aisément que pour plusieurs, le nom sir John A. Macdonald rappelle les plus sombres aspects de l’histoire canadienne. […]


D’autres craignent pour la mémoire collective et pensent que ce changement efface l’histoire. Mais il n’est ni surprenant ni négatif de se demander de temps en temps pourquoi on célèbre certaines personnes ou certains événements. […] L’existence et le maintien des monuments et des plaques historiques dépendent de bien plus que du cumul des « bons » et « mauvais » coups des acteurs et actrices du passé. Il faut des gens pour qui ces héros et ces héroïnes comptent, pour qui ils symbolisent quelque chose d’important et de positif. Les monuments sont là parce que certains groupes sociaux sont assez puissants, influents, aisés et motivés pour les mettre en place. Je ne crois pas que sir John A. soit en train de disparaître de l’espace public canadien ; à tout le moins, il faudra bien plus que le changement de nom d’un prix pour effacer le passé.


Revisiter son panthéon


Si aucune collectivité ne revisitait son panthéon de temps à autre, le Québec célébrerait encore Dollard des Ormeaux parce que des historiens nationalistes canadiens-français en ont fait un héros. Depuis 2003, on honore plutôt les patriotes. Évidemment, ce symbole-là aussi sert des intérêts politiques, tout comme celui de la reine ailleurs au Canada. Mais ce changement n’a pas été uniquement motivé par des objectifs idéologiques : des Ormeaux est tombé en désuétude parce que les valeurs ont changé et parce que les connaissances à son sujet ont évolué. En même temps, de nombreux travaux ont montré de nouvelles facettes du mouvement des patriotes. Dollard des Ormeaux reste visible dans l’espace public : son nom est répertorié à divers endroits dans la toponymie, et la sculpture qui commémore toujours son « exploit » est demeurée bien en place au parc La Fontaine, à Montréal. Nul doute qu’une figure majeure comme Macdonald est à l’abri de l’oubli.


> La suite sur Le Devoir.



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