Les auteurs sont respectivement président et secrétaire du SPQ Libre
Avec les beaux jours sont revenus les demandeurs d’asile empruntant le chemin Roxham à Lacolle pour entrer de façon irrégulière au Québec. Au cours des prochains mois, il existe de fortes probabilités d’un accroissement considérable de leur nombre. Plus de 58 000 Haïtiens, qui ont bénéficié d’un statut de protection temporaire aux États-Unis, octroyé au lendemain du tremblement de terre qui a dévasté Haïti en 2010, perdront ce statut au mois de juillet 2019. Un programme similaire de protection temporaire, mis en place après une série de tremblements de terre au Salvador, et touchant 200 000 Salvadoriens, prendra fin le 9 septembre 2019. Ainsi en a décidé Donald Trump.
À ces deux groupes s’ajoutent des migrants venus de nombreux pays sous-développés. Autrefois, les peuples aspiraient à changer de gouvernement. Aujourd’hui, ils veulent changer de pays. Il y a un demi-siècle, les colonisés réclamaient le droit à s’autodéterminer. Aujourd’hui, devant la recolonisation de leur pays par les grandes puissances, ils invoquent le droit d’être accueillis dans les pays développés.
Trudeau invite
En 2017, le Québec s’est débrouillé pour accueillir le mieux possible sur son territoire 18 836 des 20 593 demandeurs d’asile au Canada, dont plusieurs répondaient à l’invitation lancée avec un tweet par le premier ministre Justin Trudeau, au lendemain de l’annonce des mesures discriminatoires du président Trump.
Cette invitation est cohérente avec le rapport intitulé Attirer les talents dont le Canada a besoin grâce à l’immigration, déposé le 20 octobre 2016 par le Comité consultatif en matière de croissance économique. Le Rapport recommande d’augmenter de 50 % le nombre d’immigrants au Canada, en faisant passer le seuil de 300 000 à 450 000 annuellement, soit de 50 000 à au moins 75 000 au Québec.
Le Comité est présidé par Dominic Barton, directeur général de la firme de consultation mondiale McKinsey & Company, qualifiée dans certains milieux d’« éminence grise du capitalisme ». Il a l’oreille du gouvernement Trudeau. C’est lui qui a recommandé la création d’une Banque des infrastructures.
Bien entendu, l’immigration privilégiée par le rapport Barton est celle de travailleurs qualifiés ou d’étudiants étrangers et non pas de réfugiés souvent sans la formation requise pour les besoins du marché du travail. Mais l’une n’empêche pas l’autre, d’autant plus qu’il est peu probable que l’opinion publique canadienne accepte une augmentation de 50 % du nombre d’immigrants admis de façon régulière. L’argument principal invoqué par le rapport Barton pour une augmentation de l’immigration est la croissance du PIB qui accompagne une augmentation de la population.
À la merci d’Ottawa
À ce chapitre, le Québec est à la merci des décisions d’Ottawa à plusieurs égards. En vertu d’accords avec le gouvernement fédéral, le Québec accueille une part proportionnelle à sa population d’immigrants en vue de conserver son poids relatif dans la fédération canadienne avec le nombre de sièges à la Chambre des communes et les montants de transferts de la péréquation correspondants.
Au point de vue constitutionnel, les pouvoirs du Québec sur l’immigration sont extrêmement limités. Il a eu son mot à dire sur la sélection, en tenant compte de critères linguistiques, des immigrants économiques qui représentaient 59,1 % de l’immigration permanente des 53 084 personnes accueillies en 2016. Mais il est sans voix sur le regroupement familial et les réfugiés. Il n’a rien à dire non plus sur quelque 100 000 travailleurs temporaires et étudiants étrangers, qui composent les effectifs actuels de l’immigration temporaire au Québec.
Les pouvoirs du Québec sont inexistants concernant les demandeurs d’asile. Il ne peut révoquer « l’entente sur les tiers pays sûrs » intervenue entre le Canada et les États-Unis, qui fait en sorte que les demandeurs d’asile sont automatiquement refoulés aux douanes canadiennes, s’ils font une demande en bonne et due forme en provenance des États-Unis. L’entente prévoit, en effet, que les demandeurs d’asile doivent présenter leur demande dans le premier pays où ils arrivent, dans ce cas-ci les États-Unis, considérés comme un pays sûr. L’entente ne s’applique cependant pas à ceux qui franchissent de façon irrégulière la frontière.
Le Québec ne contrôle pas ses frontières ni le nombre de personnes admises dans les catégories sous la responsabilité du fédéral. Si, pour maintenir un nombre d’admissions d’immigrants égal au volume des dernières années, le Québec voulait diminuer le nombre d’immigrants économiques pour compenser l’augmentation du nombre de demandeurs d’asile, il se pénaliserait en n’ayant plus la possibilité de sélectionner des immigrants ayant une connaissance du français et les compétences demandédes qui sont particulières au Québec.
Des pistes de solution
Un Québec indépendant ne serait plus à la merci d’Ottawa. Il négocierait ses propres ententes internationales, contrôlerait ses frontières et fixerait ses seuils d’immigration en fonction de ses besoins et de ses capacités d’intégration.
Mais, dans le contexte actuel, quelles devraient être les revendications du Québec?
Premièrement, le Québec doit exiger que le gouvernement fédéral défraie la facture pour TOUS les coûts reliés à l’accueil des demandeurs d’asile sur son territoire.
Deuxièmement, le Québec doit exiger d’Ottawa une répartition des demandeurs d’asile entre les provinces canadiennes au prorata de leur population. Au gouvernement Trudeau d’imposer une solidarité interprovinciale canadienne.
Troisièmement, pour les demandeurs d’asile qui demeureront sur son territoire, le Québec doit recevoir d’Ottawa une enveloppe budgétaire couvrant toutes les dépenses encourues pour l’enseignement du français afin de faciliter leur intégration à la communauté francophone. L’Accord actuel ne couvre que les coûts des services d’intégration et de francisation offerts aux résidents permanents.
Depuis le Rapport de Lord Durham, qui proposait la minorisation et l’assimilation des Canadiens français par une forte immigration anglophone, le Québec a toujours abordé la question de l’immigration avec une méfiance justifiée. La conscience du problème posé par l’immigration s’est accentuée au cours des années 1960 avec la chute du taux de natalité. La réaction a été de vouloir franciser les allophones avec l’adoption de la Loi 101 et de revendiquer un certain contrôle sur l’immigration. Ces deux positions sont toujours de mise et de plus en plus d’actualité.