Une responsabilité de l’État québécois

Pour une «Charte nationale de l’université québécoise»

Cette proposition fait son chemin, le ministre Pierre Duchesne s’y intéresse

«Faire l’histoire au lieu de la subir»

À la rencontre thématique tenue à Sherbrooke, les 17 et 18 janvier, en prévision du Sommet sur l’éducation supérieure qui aura lieu au mois de février, nous avons présenté un projet de « Charte nationale de l’université québécoise » qui servirait de pierre angulaire pour l’orientation future de nos universités. Le ministre Pierre Duchesne a souligné la pertinence de ce projet dans son allocution de clôture ; nous souhaitons donner ici plus de détails sur l’importance d’une telle Charte.
Les signes du printemps
L’université a beau être une institution séculaire, elle demeure vulnérable, soumise aux effets souvent délétères des pouvoirs religieux, politiques, économiques. Par ailleurs, les événements du printemps 2012 ont montré que l’université ne renvoie pas, pour tous, à une même conception. D’aucuns, à une extrémité, avaient cru qu’elle était une pourvoyeuse de services pour laquelle le client était appelé à payer ; d’autres ont affirmé avec vigueur qu’elle était au contraire un service public qui devait être accessible au plus grand nombre. Autrement dit, le printemps dernier a posé des questions de fond : qu’est-ce qui caractérise essentiellement l’université ? à qui appartient l’université ? quelle sorte d’université voulons-nous au Québec ?

Une responsabilité de l’État québécois
Les enjeux et les questions qui concernent les rapports entre l’État et l’université québécoise ne sont pas nouveaux, et ils ont été posés avec beaucoup pertinence en 1999, dans l’ouvrage L’État québécois et les universités (Paul Beaulieu et Denis Bertrand, dir.). Les auteurs estimaient qu’il fallait d’abord bien établir les pouvoirs et responsabilités de l’État et, ajouterons-nous, les pouvoirs et responsabilités de l’université. Et, pour cela, « chercher à établir par voie de consensus des principes clairs et précis » (18). « Il y a là un préalable logique incontournable » que nous avons pourtant, depuis ce temps, réussi à éviter. Le printemps dernier nous a indiqué que nous étions en déficit d’argent, certes, de bonne gestion, possible, mais assurément de sens.
Dans l’histoire de l’université québécoise, nous sommes à cette étape décisive qui consiste à établir ces « principes clairs et précis », c’est-à-dire enchâsser les valeurs sur lesquelles nous nous accordons collectivement pour le présent et l’avenir de nos universités.
Nous croyons que l’affirmation de ces valeurs passe, en son fondement, par une « Charte nationale de l’université québécoise ». Les grandes politiques, les plans stratégiques ou toute autre visée téléologique significative devront alors s’élaborer en compatibilité avec une telle charte, véritable « assurance-vie » pour nos institutions universitaires.
Naguère, cette idée eût paru saugrenue, voire impossible. Mais de nos jours, le rôle de l’État dans le devenir des universités est un fait. En outre, le rapatriement récent de la recherche, auparavant dans un ministère à vocation économique et maintenant dans le ministère de l’Enseignement supérieur, rend désormais possible une Charte globale, qui tienne compte et de l’enseignement et de la recherche.

Quelques précédents
Les quelques précédents en cette matière procèdent généralement de la même manière : affirmation des grands principes et établissement des moyens pour les atteindre.
À titre d’exemple, la Magna Charta Universitatum (Bologne, 1988) affirme l’indépendance morale et intellectuelle de l’enseignement et de la recherche, en regard des pouvoirs politiques et économiques ; cette Charte pose également l’indissociabilité de l’enseignement et de la recherche. Elle fait de l’université la gardienne de la tradition humaniste occidentale, qui vise le respect des personnes et le rejet de l’intolérance dans la quête de la vérité.
Citons un second exemple, celui de l’Université de Genève, qui a adopté une « Charte d’éthique et de déontologie » (appellation que nous ne souhaitons pas ici). Celle-ci se fonde sur quatre principes : la recherche de la vérité ; la liberté de l’enseignement et de la recherche ; la responsabilité envers la communauté universitaire, la société et l’environnement ; le respect de la personne.
Chacun de ces quatre points fait l’objet d’un développement précis. Prenons celui de « La recherche de la vérité », qui se décline en cinq axes, dont les deux suivants à titre d’exemple : 1) « La recherche de la vérité ne saurait se concevoir sans la mise en oeuvre d’un esprit critique. L’université favorise la mise en discussion des savoirs qu’elle génère et transmet » ; 2) « La recherche de la vérité requiert la compétence, l’observation critique des faits, l’expérimentation, la confrontation des points de vue, la pertinence des sources. Elle dépend étroitement de la rigueur des méthodes mises en oeuvre, comme conditions d’obtention de résultats répondant à des critères d’objectivité et d’impartialité. » On saisit aisément l’intérêt de tels propos en regard de la création de programmes d’enseignement ou, encore, des rapports entre l’université et les entreprises.

Faire l’histoire au lieu de la subir
Le moment est arrivé où nous devons nous assurer la propriété collective de nos universités et que, ce faisant, nous redevenions les sujets de notre propre histoire, au lieu de la subir. Ce virage appelle un accord collectif sur les valeurs constitutives de l’université, insérées dans une Charte claire, vigoureuse, qui protège nos institutions contre toute tendance qui les braderait en cédant aux attraits capiteux du moment. Le Gouvernement du Québec, ce faisant, poserait un geste décisif, historique pour la préservation de l’université québécoise, et nous le convions à s’engager dans cette voie, avec les professeurs, les dirigeants de l’université, les étudiants et les autres membres de son personnel et de la société civile, afin de donner au Québec un cadre de référence commun pour des décennies à venir. Autrement dit, les questions de financement, de gouvernance, etc., s’inscriront dans ce qui distingue le plus hautement l’agir humain, c’est-à-dire l’enracinement dans des valeurs qui auront fait l’objet d’une décision consensuelle. Une Charte nationale de l’université québécoise, c’est en fin de compte l’affirmation d’un sens que nous donnerons à nos universités, de même qu’aux décisions « structurantes » qui en découleront.
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L'auteur est professeur à l'Université de Sherbrooke et Max Roy - et Président de la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université (FQPPU)

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Pierre Hébert5 articles

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Pierre Hébert, Professeur au département des lettres et communications de l'Université de Sherbrooke et secrétaire de la Fédération québécoise des professeurs d'université, l'auteur signe ce texte au nom du comité exécutif de la FQPPU





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