En réponse à Robert Barberis-Gervais

Pour une charte cohérente

Tribune libre

Note au lecteur : Invité par Robert Barberis-Gervais à participer à ce débat (Manifeste pour une laïcité inclusive), j’avais écrit un commentaire trop long pour Vigile. Je le lui ai envoyé personnellement en lui disant que je ferais un court commentaire à partir d’une phrase de mon texte. Ce texte reprend la plupart des idées du commentaire que je ne pouvais pas publier en texte principal.
Mon cher Robert,
Je n’ai même pas lu le document auquel tu réfères, la version de la charte revue et corrigée par d’autres intellectuels indépendantistes. Si tu veux une explication de ce document, tu connais plusieurs de ses signataires, adresse-toi à eux. Le premier qui ait donné aux Québécois la Charte des droits et libertés s’appelait René Lévesque. C’est à cette Charte que je fais référence. Je n’ai pas à défendre, encore moins à expliquer une pétition que je n’ai pas signée, même pas lue, parce que ce n’est pas ce que Bernard Drainville a mis sur la table. J’en serais aussi critique si elle comportait les mêmes faiblesses que celle de Drainville. Mais conviens qu’elle n’a pas grand chance de devenir une Charte en bonne et due forme. Si Drainville renonçait à la sienne pour celle-là, je te promets de la lire et de la commenter ici. En attendant, je ne sais pas si c’est une bonne idée de continuer à souffler sur ce feu, mais allons-y.
Je suis très critique du document du Gouvernement parce que je n’y reconnais pas une Charte. Mon opinion pèse bien peu dans la balance, je me contente de commenter un projet qui est sur la table. Actuellement, l’allure prise par le débat dans notre société m’inquiète. Le premier sondage publié est désastreux. Tu sais la confiance que j’accorde aux sondages, aucune, sinon la veille des élections; mais il y a bien d’autres signes qui démontrent plus qu’un malaise avec le document pondu par le ministre. La pétition à laquelle tu fais référence est un des nombreux symptômes. Je ne tiens pas à me lancer dans un débat de portée de charte actuellement. Le document ministériel nous renseigne assez bien par lui-même sur ce qu’en pense le ministre.
Le document proclame la laïcité comme valeur de l’État québécois. Soit. Dans ce contexte, que vient faire le crucifix à l’Assemblée nationale ? L’explication alambiquée qu’on nous sert me ferait bien rire si ce débat n’était aussi sérieux. Et la longueur des symboles religieux tolérés par un état laïc, c’est quoi ça? Tu sais que j’ai toujours rêvé de terminer ma carrière comme Commissaire aux cimetières de guerre du Canada. Ça fait faire de beaux voyages, et les clients sont calmes. Mais au lieu de ça, j’accepterais un poste de Commissaire à la mesure de la longueur des croix, croissants et autres symboles religieux montés en bijoux, qui sont permis s’ils sont assez petits. Je voyagerais partout au Québec, et je ne verrais que des clientes coquettes. On n’est pas laïc jusqu’à un certain point au Québec, on l’est à partir d’une certaine longueur. Tu es d’accord avec ça ?
Mais il y a bien plus révélateur. Reconnaissant sans doute le bordel qu’il va créer, le projet autorise des établissements à ne pas appliquer certaines dispositions d’une charte pendant cinq ans, renouvelable. Drainville introduit une clause nonobstant dans sa charte, et donne la discrétion à des Conseils de toute nature de ne pas appliquer chez eux une charte. Une Charte des valeurs ! Une ville, un Cegep, une université peuvent se soustraire non seulement à une Loi, mais à une Charte. Plusieurs de ces Conseils ne peuvent changer une virgule aux conventions collectives négociées en table centrale, qui régissent tous leurs employés, et ils vont avoir l’autorité d’appliquer à leur discrétion les dispositions d’une Charte ??!! C’en dit long sur l’universalité de la Charte et des valeurs dont elle est supposée faire la promotion, et sur ce qu’en pense au fond le ministre responsable. Une charte pour Hérouxville, une autre pour Montréal.
Examinons quelques beaux cas d’application de la Charte, et de leurs justifications. Qu’on nous affirme que le port du voile pourrait inciter de jeunes enfants à devenir musulman parce que leur éducatrice est voilée reste à démontrer (les bonnes sœurs ont-elles eu tant de succès avec notre génération ?). Mais je suis prêt à l’accepter pour le primaire si on enlève les crucifix aussi, grands et petits (au moins tant que je ne serai pas Commissaire, ça m’enlèverait du travail). Par contre, à l’université ou au collège, croire que les exposer à une professeure voilée va inciter les étudiants à aller se faire circoncire, les filles à s’acheter des voiles assorties à leurs mini-jupes me semble pour le moins exagérée.

J’écoutais hier en entrevue Louise Beaudoin nous réciter des passages du Coran ou de je ne sais quelle prose anti-féminine d’origine musulmane. Elle ne comprenait pas que les femmes musulmanes n’acceptent pas de se dévoiler devant de tels propos. Elles ont participé à la manifestation organisée par des islamistes à Montréal en grand nombre. Quand on dit à ces femmes qu’elles devront renoncer au voile pour pouvoir travailler, il est normal qu’elles se tournent vers ceux qui vont les défendre. Mme Beaudoin devrait trouver des façons de s’en prendre aux illuminés islamistes plutôt qu’aux femmes, leurs victimes. Car ce qu’a fait Bernard Drainville, c’est crédibiliser ces leaders tarés et solidariser leurs communautés autour d’eux, hommes et femmes confondus (il leur aura au moins appris une des vertus de l’égalité des hommes et des femmes.)
Enfin, n’oublions pas que nos amis d’Ottawa viennent de s’inviter dans ce débat. Thomas Mulcair a annoncé en grande pompe que le NDP paierait les frais des avocats que des gens lésés par cette Loi devraient engager. Personnellement, j’y vois une excellente façon de ruiner financièrement le parti néo-démocrate, mais plus sérieusement, même si je n’aime pas voir les néo-démocrates prendre de tels engagements et s’inviter ainsi dans le débat, je comprends les motifs politiques qui les incitent à agir ainsi. Ils vont se présenter dans le reste du Canada comme de grands défenseurs de la veuve et de l’orphelin, maltraités par ce gouvernement raciste et séparatiste du Québec. Et si ce n’est pas le NDP qui le fait, ce sera un sultan du Qatar ou d’Oman. Car nous n’y échapperons pas, nous devrons composer avec l’inestimable contribution des avocats à cette Charte si jamais elle devait être proclamée. Des années de plaisir assuré !
Je l’ai écrit, je le répète, il y a des éléments importants de cette charte qui méritent qu’on les adopte rapidement et qui font consensus. Il est encore temps de le faire. Faire durer le plaisir va aviver les tensions sociales, augmenter le scepticisme des citoyens sur leurs institutions et inciter à jeter le bébé avec l’eau du bain. Nous risquons de ne pouvoir adopter les parties qui font consensus et qui sont importantes. Une charte, pour être légitime, doit recueillir un appui autrement important de la population. Autrement, elle est vouée à l’échec tôt ou tard.
Et je ne vais pas me taire parce que des tenants de cette démarche y voient une merveille de la gouvernance souverainiste ou je ne sais quoi qu’il faudrait soutenir les yeux fermés. Le caporalisme, très peu pour moi. Je n’aime pas participer à ce débat parce qu’il nous divise tous, et que les esprits sont assez échauffés comme ça. Mais à ceux qui veulent une solidarité sans faille et un appui inconditionnel à ce projet de Charte, je vais rappeler que le gouvernement nous a invités, tous, à participer à ce débat. J’ignore si je vais participer davantage, mais certains vigiliens pourraient respecter ceux qui participent, c’est leur chef qui l’a demandé après tout.


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5 commentaires

  • Marcel Haché Répondre

    21 septembre 2013

    Un plaisir de vous lire Louis Champagne.
    Nous sommes sur la même barricade. Je reconnais volontiers votre science supérieure des cailloux qu’il faut lancer, ce que sont les lois. Mais la politique n’est pas la science des cailloux, c’est la science du lancer. Et la Proposition du gouvernement péquiste est une très-très habile manœuvre politique. Ceux de Gesca et de Radio Tralala l’ont tardivement compris, et qui poussent très fort depuis afin que le gouvernement péquisss « scinde » sa proposition.
    Peut-être le gouvernement devra-t-il y venir, « scinder » sa proposition, mais AVANT il peut ramasser tous les dividendes disponibles, et jusqu’à une majorité. Eh oui, jusqu’à une majorité. Ensuite, vous auriez tout le loisir d’observer que la clause de retrait de 5 ans ou 6 ou 10 ans, modifiée, transformée, amendée et quoi encore, elle n’aurait pas plus de valeur que la clause « nonobstant », un simple caillou dans notre soulier. Voyez vous : le Nous peut être placé définitivement au cœur d’une grande discussion nationale, ce que les indépendantistes n’ont jamais réussi à faire…pas plus que l’Indépendance… et ce dont Gilles s’était tant moqué par ailleurs, jusqu’à un certain 2 Mai. Car la fameuse « vague orange », c’était bien Nous, ce n’était pas le West Island, lui toujours resté fidèle aux rouges d’Ottawa et de Québec, les plus fervents admirateurs de la Chartre canadian !

  • Archives de Vigile Répondre

    19 septembre 2013

    Lectures suggérées sur Vigile.
    Lettre à Maria Mourani, députée
    La laïcité inclusive ou l’aveuglement volontaire
    Michèle SIROIS   18 septembre 2013
    Le crucifix renvoit aussi au 26 juillet 1534 quand Jacques-Cartier, à Gaspé, prit possession des terres sur lesquelles il débarquait au nom du Roy de France en plantant une croix
    Pourquoi le crucifix à l’Assemblée nationale ?
    Lucia FERRETTI - Le Nouvelliste (Trois-Rivières)   17 septembre 2013 
    Foglia doit être sur le point de prendre sa retraite. Il ose parler vrai, juste, et dru (sa marque de commerce), sur un sujet qui l’oppose à ses patrons
    Arrête, madame Foulard...
    Pierre FOGLIA - La Presse   17 septembre 2013 
    Le moment d’une Constitution "Made in Québec" approche
    Charte des valeurs québécoises - Au sujet de la validité constitutionnelle
    Il m’apparaît difficile d’imaginer que la Cour suprême pourrait allégrement juger que cette mesure est déraisonnable
    Henri BRUN - Le Devoir (opinions)   16 septembre 2013 
     
    Voici le code de vie de Hérouxville à lire 3 ans plus tard - Vigile.net
    www.vigile.net/Voici-le-code-de-vie-de‎, 22 décembre 2010
    Bonnes lectures.
    Robert Barberis-Gervais, 19 septembre 2013

  • Archives de Vigile Répondre

    19 septembre 2013

    Louis Champagne,

    il semble donc que, pour toi, la Charte des droits et libertés qui a été incluse (quelle inclusion!) dans la constitution de 1982 par Trudeau, Constitution qui n'a pas été signée par Québec et qui nous a été imposée par le Canada anglais, cette Charte des droits de Trudeau dis-je et les décisions des tribunaux en faveur de la liberté religieuse tout azimuth, Cour suprême du Canada, Cour supérieure du Québec, Commission des droits de la personne, toutes ces décisions des tribunaux (comme tu dis) ont priorité sur une décision que pourrait prendre le Parlement de Québec avec un vote de la majorité des députés de l'Assemblée nationale, expression suprême de la démocratie québécoise.

    C'est ce que signifie ce que tu as écrit et que je cite: "Le gouvernement prétend que ses propositions respectent la Charte des droits et libertés. Il prétend avoir là-dessus des opinions juridiques solides. Soit. S’il est prêt à se conformer aux décisions des tribunaux sur sa Charte des valeurs sans avoir recours à la clause dérogatoire, je me la ferme. J’aimerais un engagement clair de sa part là-dessus. Mais à cette condition, je ne m’opposerai pas à la démarche de Drainville, même si je crois qu’il fait fausse route." C'est le gouvernement par les Juges de Trudeau.
    Etant donné que ta logique en faveur de la liberté religieuse illimitée te conduit à faire passer la Cour suprême du Canada et la Constitution du Canada par le moyen "des décisions des tribunaux" avant le Parlement de Québec, cela veut dire que ta superbe logique fait fausse route. La dernière fois que je t'ai parlé, il me semble que tu étais toujours indépendantiste. A moins que tu aies subi une évolution à la Mourani qui est prête à donner sa vie pour avoir le droit de porter un pendentif avec une croix, droit que personne ne lui conteste…sauf sur les heures de travail comme employée de l'Etat qui doit être neutre. Comme disait le Survenant: "Pauvre humanité!"
    Le Code de vie de Hérouxville est un texte remarquable. Il existe par lui-même et a une valeur par lui-même. Je me prononce ici en tant qu'analyste politique et en tant que critique littéraire. Quant à tout ce qui grouille et grenouille autour d'André Drouin, cela n'a guère d'importance. Qu'il soit ingénieur ou non, vertueux ou non, ça n'a pas rapport. Il faut vraiment être désespéré pour s'en remettre aux ragots rapportés par André Boisclair. Ils sont nombreux ceux qui jugent le Code de vie de haut sans l'avoir lu. Ce sont eux les "ploucs". Il faut toujours aller à la source avant de juger.
    Il me fait plaisir de continuer ce dialogue puisqu'il va rester quasi confidentiel. 


    Robert Barberis-Gervais, 19 septembre 2013

  • Louis Champagne Répondre

    19 septembre 2013

    Je suis assez surpris de la conclusion de ton commentaire. Je n’ai jamais traité de plouc la population d’Hérouxville. J’ai effectivement traité de ploucs l’auteur du Code de vie et ceux qui l’ont appuyé à Hérouxville. Je réalise maintenant m’être trompé. J’ignorais qui était derrière l’écriture du Code, André Boisclair a depuis éclairé notre lanterne. De plus, grâce à l’Ordre des ingénieurs (il est utile parfois, pas aussi souvent qu’on l’espérerait, mais parfois), nous savons que l’auteur du Code est un imposteur. Je m’excuse auprès de ceux que j’ai traités de ploucs, je dirais ça autrement maintenant, je dirais que je suis contre ce qu’a écrit l’imposteur d’Hérouxville, et de l’usage qu’en font ceux qu’il a manipulés. Ça ne rapproche pas nos positions pour autant, mais ça me permet d’actualiser et de préciser ma pensée.
    Jésus dénonçait l’hypocrisie des pharisiens, par leur costume. Cette partie de ton commentaire nous permet de mieux comprendre ta pensée. Tu es favorable à la Charte des droits et libertés dans la mesure où les gens pratiquent chez eux, en privé. Tu as un autre texte là-dessus. C’est très chrétien occidental comme vision de la religion, et ça ne correspond pas à la Charte des droits et libertés. Au fond, cette position aurait fait de ceux qui la défendent des croisés au Moyen Âge.
    Comme le gouvernement tergiverse et laisse se détériorer le climat social, il faut trouver une sortie de crise. Le gouvernement prétend que ses propositions respectent la Charte des droits et libertés. Il prétend avoir là-dessus des opinions juridiques solides. Soit. S’il est prêt à se conformer aux décisions des tribunaux sur sa Charte des valeurs sans avoir recours à la clause dérogatoire, je me la ferme. J’aimerais un engagement clair de sa part là-dessus. Mais à cette condition, je ne m’opposerai pas à la démarche de Drainville, même si je crois qu’il fait fausse route.
    Louis Champagne

  • Archives de Vigile Répondre

    18 septembre 2013

    Louis,
    1- A propos des signes religieux ostensibles, il y a un passage de l'évangile selon saint Mathieu qu'il est bon de se rappeler. C'est dans le chapitre 23: Jésus fustige les scribes et les pharisiens. Malheur à vous scribes et pharisiens.
    Les scribes et les pharisiens "font toutes leurs œuvres pour être vus des hommes ; car ils élargissent leurs phylactères* et donnent plus de largeur aux franges** [de leurs vêtements] (Mathieu, 23, 5).
    *phylactères: bandes de parchemin où étaient inscrits des passages de la loi, et que les pharisiens portaient sur le front et le poignet pour observer Deutéronome 6:8. —
    **franges ou houppes avec un cordon bleu prescrites par Nombres 15:38.
    Les signes religieux ostensibles ne sont pas indispensables et nécessaires à la vraie religion. Voilà ce que pense Jésus de Nazareth des signes religieux ostensibles.
    2- Michel C. Auger sur son blogue du 16 septembre 2013: Charte:assurer ses arrières.
    "Comme le disait la Commission québécoise des droits de la personne en 2010 : « Le seul fait qu’une employée porte le hidjab ne peut permettre de conclure que le service qu’elle doit rendre sera d’une quelconque façon affecté par ses croyances religieuses […] ou de conclure que la neutralité de l’institution publique est remise en cause puisque le service offert demeure neutre. »
    Le gouvernement affirme pourtant le contraire."
    Je suis du même avis que le gouvernement. Sur les heures de travail, la neutralité de l'Etat exige qu'un ou une employée ne porte aucun signe religieux visible ni aucune affirmation visible de ses opinions politiques ou écologistes ou féministes ou anti-capitalistes etc. J'ai bien dit: aucun signe visible. Il n'y a pas à mesurer la dimension de la croix par exemple. A mon avis, aucune croix ne doit être visible. Point à la ligne. Ce serait plus cohérent. Quant au crucifix au-dessus du président de l'Assemblée nationale, ça vient de Duplessis et c'était plus politique que religieux. Par conséquent, il serait plus cohérent de l'enlever de cette position très symbolique et de le placer ailleurs dans le Parlement. Et on ne touche pas à aucune croix ailleurs, sur le Mont-Royal, dans les cimetières, à la croisée des chemins etc. Mais si on laisse le crucifix au-dessus du Président de l'Assemblée nationale, il n'y a pas de quoi en faire un drame.
    3- Louis, je n'approuve pas le ton sarcastique et persifleur de maints passages qui visent à miner la démarche gouvernementale et à lui enlever toute pertinence. Est-ce parce que ça vient de Bernard Drainville dont tu avais peu apprécié le machiavélisme au moment où le leadership de Pauline Marois était menacé et parce que tu n'approuvais pas le fameux référendum d'initiative populaire? Alors que j'ai fait l'éloge du code de vie d'André Drouin adopté par le conseil municipal d'Hérouxville, je t'ai entendu parler "des ploucs d'Hérouxville". Comme quoi on n'est pas toujours du même avis.

    salutations,
    Robert Barberis-Gervais, 18 septembre 2013