Pour répondre à la démocrature canadienne

Chronique d'André Savard

S’il y a des Etats généraux sur l’indépendance, des choses devront être dites. Ce sera impossible d’en rester à ce mythe d’un ajournement indéfini provoqué par des objecteurs carriéristes qui mineraient de l’intérieur les efforts des preux indépendantistes. Ça, c’est le mythe de certains milieux indépendantistes. Et il faudra dire que l’autre mythe selon lequel la cause est usée et que les Québécois n’en veulent pas véhiculé par les milieux unitaristes canadiens fait autant entorse à la vérité.
Au cours des dernières semaines, on a vu qu’il est assez facile de rallier certains indépendantistes derrière une voie royale en une seule étape facile : convoquer le peuple. Quelqu’un qui vise la chefferie n’a qu’à dire cela. Aussitôt, des groupes indépendantistes se mettent à cracher pour que le vaisseau (le PQ) coule plus vite. Ce qui, au demeurant, ne change rien à leur train-train.
Pour faire l’indépendance, il ne suffit pas de s’imprégner d’un vocabulaire dans des cercles choisis. Non seulement le gouvernement national des Québécois devra se doter d’une armature qui renferme un volet officiel de citoyenneté et l’affirmation d’une légitimité constitutionnelle propre, il serait préférable de le voir rapatrier le secteur des télécommunications. Il est tout à fait anormal que la nation québécoise ne soit pas dotée d’une information indépendante. Demander aux gens de se prononcer quand le mandat de Radio-Canada implique une vocation unitariste et un accord de collaboration avec des organes d’informations qui font de la nation canadienne, leur référence systématique, c’est d’emblée cheminer sur la route de l’autre.
Lors des campagnes référendaires, des études sont publiées sur la faisabilité de l’indépendance entraînant une riposte cinglante. Les études ont oublié de démontrer l’exclusion du Québec des traités d’échanges économiques et il y a non seulement des experts pour corroborer, la complicité de plusieurs figures de la politique américaine est assurée lors de briefing. Au cours du dernier référendum, les interventions de Clinton étaient même prévues. L’amplificateur du théâtre intimidant est tout prêt.
La population en retire un sentiment d’impondérables. En même temps que les deux camps politiques, unitaristes versus souverainistes, clament la nécessité d’un libre choix, un non-dit plane sur la possibilité même de mener légitimement le projet à bonne fin.
Le Canada, ceci incluant le régime et la population canadienne en général, se persuade que la démocratie canadienne a préséance sur la démocratie québécoise. Le projet souverainiste est pour la population canadienne un substitut à la civilisation à laquelle des factions localisées dans une province veulent tourner le dos. Cette perspective en soi interdit le respect de la règle de succession des Etats.
Bref, la démocratie québécoise ne représente qu’une autorité informelle et désinvolte. Non seulement, l’Etat canadien se réserve le droit d’y substituer les verdicts appuyés par sa propre légitimité démocratique, tout individu canadien a le droit de se prévaloir de la souveraineté primitive contre une souveraineté québécoise qui voudrait usurper son rôle. Si un Etat avait pu concevoir un idéal de défense, il n’aurait pu faire mieux que l’Etat canadien. Sans s’y plier, il est vain pour le milieu indépendantiste de nier l’incidence du dispositif de défense canadien et d’aller chercher des satisfactions imaginaires dans des voies d’accès fantaisistes.
La cause indépendantiste québécoise n’est pas usée, elle est bloquée et même interdite. Il est tout à fait normal que le projet indépendantiste dans les conditions imposées par le Canada ne suscite qu’un accueil mitigé. Faisons le bilan : un premier référendum au cours duquel la population se fait dire que l’indépendance n’est pas négociable et pas faisable unilatéralement, plus un résultat-choc qui pousse le Canada a annexer le Québec en vertu de sa qualité d’ultime représentant de la démocratie canadienne. Un deuxième référendum sur l’indépendance du Québec pour apprendre, par la suite, que le Fédéral avait documenté toutes les ripostes post-référendaires pour qu’un but de cette espèce ne soit jamais atteint.
Le Fédéral n’est pas pénalisé par sa manière de faire. Au contraire, la responsabilité pèse (injustement) sur les épaules du mouvement indépendantiste québécois. Chacun de ses progrès procure au régime un choc qui lui permet de soumettre le Québec encore plus selon ses lois. La population du Québec, même dans la tranche des souverainistes, exprime sa crainte que trop bouger ne finisse par mettre le Québec sur la table d'un poker contrôlé de bout en bout par le gouvernement "royal" du Canada.
Alors imaginez quand on demande dans des sondages aux gens s’ils sont prêts à oublier les dossiers politiques généraux pour celui de l’indépendance. Produire un choc qui va donner plus de puissances à des classes politiques dangereuses, fortes de la légitimité démocratique d’une population canadienne tellement cimentée que des sondages ont déjà révélé dans le passé qu’elle était prête à appuyer des interventions armées au Québec… C’est le message qui résonne en sourdine derrière la question : Voulez-vous de l’indépendance? La question devrait plutôt être : qu’est-ce qui vous fait croire que vous avez la liberté de vouloir.
Les milieux indépendantistes ne parlent pas de la démocrature canadienne, pas plus que l’avant-poste de l’unitarisme canadien au Québec d’ailleurs, Bien des indépendantistes vont vous tancer si vous parlez de ça. Parlez-leur de changement de chef, de démissions des élites qui produisent l’ajournement de la cause, ils seront contents et ils vous diront qu’enfin vous ne faites pas dans l’anecdote mais dans le combat réel. On ne parle pas de la démocrature canadienne, ni de son dispositif de défense chez les indépendantistes. C’est comme si on croyait que le pouvoir d’évocation disparaît d’un arsenal parce qu’on n’en tient pas compte.
La nation canadienne comme je l’ai écrit dans différentes autres chroniques est une nation angélisée. Elle est convaincue qu’elle représente un raffinement de civilisation post-national et que l’évolution d’un pays uni lui donne le droit de mâter une bête identitaire. C’est une grille d’interprétation transposée des luttes contre le nazisme et la grande Serbie notamment. En vadrouille dans leur supériorité humanitaire, il y a longtemps que les Canadiens sont induits à voir le Québec avec les yeux de l’imagination malgré les efforts méritoires du Bloc Québécois.
Dans les circonstances, il faudra se demander si un plan qui se déroule selon les délais prévus ne doit pas justement passer par une citoyenneté, une Constitution. L’idée de mettre l’Etat québécois du bon côté du bâton en tenant un référendum sur la Constitution imposée unilatéralement et affirmer la légitimité constitutionnelle propre du Québec me paraît un préalable sage. Sinon, le Fédéral a déjà annoncé par ses stratèges qu’il allait répliquer que le Canada est le seul qui a l’écorce et la légitimité d’un Etat de droit.
André Savard


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4 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    5 septembre 2011


    @ Pierrette St-Onge,
    Vous avez un excellent sens politique, madame St-Onge, et vous ne prenez pas des vessies pour des lanternes. Moi aussi j'aime beaucoup le point de vue monsieur Savard ; en fait, de tous ceux qui interviennent sur ce site, j'aime les gens qui ne tentent pas hargneusement d'écraser les autres.
    Et je déteste profondément tous les gros bo-boum de la planète, les « ôte-toé que j'me mette » ainsi que les vendeurs de balayeuses électriques que l'on fout dehors par devant et qui reviennent par derrière.
    Moi, je crois que le mouvement indépendantiste va ressortir plus fort de tout ça, à la condition qu'on ne se «caribouse » pas toute la gang.
    Et qu'on ne se « cloutiérise » pas non plus.
    André Vincent

  • Pierrette St-Onge Répondre

    5 septembre 2011

    M. Savard,
    J’attends toujours avec impatience votre chronique hebdomadaire. Elle m’éclaire et me rassure sur mes capacités à juger des situations et des évènements que nous vivons dans ces temps de déprime collective. Celle-ci est particulièrement réaliste et concrète. Elle s’inscrit dans le réel, sans faux fuyant et dans une perspective clairvoyante de notre capacité à réussir notre indépendance.
    Pierrette St-Onge

  • Archives de Vigile Répondre

    4 septembre 2011

    M. Savard, votre plaidoyer en faveur de la "gouvernance souverainiste" visant un État de droit au Québec "égal" à celui du « Canada » est d'une lucidité déconcertante.
    Toutefois, peut-on avoir confiance en la direction et la députation actuelles du PQ dans l'atteinte de cet objectif ? Laissez-moi en douter.
    En raison de l'absence totale d'argumentaire promotionnel de la souveraineté depuis 1996 et du laxisme de ce parti dans la défense des intérêts nationaux québécois dans les affaires courantes face à Ottawa ( Ex: 1- L'aversion continuelle pour ne pas dire la haine des rocanadians envers le Québec, la langue française et son peuple. 2- Le projet fédéral de la création d'une Commission des valeurs mobilières pancanadienne. 3- L'aide d'Ottawa, à même nos taxes et impôts, promise à Terre-Neuve dans la construction d'un réseau de transmission d'énergie hydro-électrique par câble sous-marin la reliant aux États de la Nouvelle-Angleterre. 3- La nomination d'Angelo Persichilli comme attaché de presse unilingue anglophone de Stephan Harper. Et combien d'exemples encore depuis 1996 et ceux à venir. )
    De ce qui précède comment peut-on croire en la capacité du PQ actuel de créer pour le Québec un État de droit équivalant à un État souverain et réaliser le projet de pays ? N'est-il pas dit que le passé est garant de l'avenir ?

  • Archives de Vigile Répondre

    4 septembre 2011

    «La cause indépendantiste québécoise n’est pas usée, elle est bloquée et même interdite»
    Mais bloquée par qui? Par la chef du Parti indépendantiste elle-même!
    Citez-moi UN discours souverainiste de la madame? Un discours de fond, de 30 minutes, faisant le procès du fédéralisme? Un seul! Elle est là depuis 4 ans!
    L'univers de madame ce sont les garderies, les urgences et les viaducs. Son trio provincial. Elle pense qu'en faisant le procès du gouvernement Charest, elle va réussir à devenir la première femme PM du Québec
    A 16% dans les sondages, elle est en train de tuer son parti. Et la cause avec.