Pour les Gabriel, Martine et Léo de ce monde

Désobéissance civile - Printemps québécois



« [Il] devient nécessaire de détourner l’attention du troupeau dérouté, car, s’il commence à remarquer tous [les] problèmes, il se pourrait bien qu’il n’apprécie guère, étant donné qu’il en souffre. […] Il est indispensable de lui faire peur en lui fabriquant des ennemis. […] Il s’agit [donc] d’effrayer la population, de la terroriser et de l’intimider de telle sorte qu’elle n’ose plus voyager et tremble de peur, enfermée chez elle. »
- Noam Chomsky, Propagande, médias et démocratie

L'état de la société, quand on le mesure à l’aune des notions d’égalité, de solidarité et de transparence, notions à la base de la Révolution tranquille, n’en finit plus de se dégrader. L’écart entre les riches et les pauvres se creuse, et cela, dans la quasi-indifférence. Quelques écervelés dénoncent, ces jours-ci et de temps à autre, les inégalités et les injustices, mais la rumeur s’apaise sitôt née. Et nous passons à autre chose. C’est à peine si nous nous souvenons du discours des indignés de Montréal et d’ailleurs, discours dénonçant le fait que 1 % des citoyens accapare la plus grande partie de la richesse du monde, laissant aux autres - 99 % de la population - l’immense chance de se partager ce qui reste. Et nous devrions remercier ces richissimes bourgeois de nous si bien traiter, de nous si bien gouverner, d’être si généreux. C’est ainsi que l’élite politique et économique mine la force du peuple en le déshéritant, en le spoliant et en lui faisant croire que tout cela est naturel ou normal. Ce discours dominant, le « troupeau dérouté » ne le critique pas, car le faire peut être un exercice périlleux - Gabriel Nadeau-Dubois l’apprend à ses dépens ces jours-ci.

Condamnation de l’ennemi
C’est à cette source que s’abreuvent les êtres crédules qui doutent de ceux s’employant à servir une cause plus grande que la leur. Ces êtres crédules ne voient pas les ficelles qui activent les marionnettes du pouvoir politique et ne voient pas clairement les mains qui les contrôlent. Bien sûr, il arrive que ces êtres crédules se doutent que tout ne va pas dans le sens du bien commun. Il arrive qu’ils ne puissent se cacher totalement le fait que les « décideurs », comme ceux qui s’étaient réunis au Palais des congrès le 20 avril pour applaudir au Plan Nord et se moquer des « chercheurs d’emploi » qui frappaient trop bruyamment aux portes du salon, travaillent dans leurs propres intérêts. Du coup, le risque qu’ils s’excitent pointe.
C’est alors que les décideurs, pour apaiser ces êtres, pour les éloigner lorsqu’ils s’approchent de si près qu’ils risquent de voir leurs manoeuvres de spoliation, condamnent tous les gestes posés sur la place publique par les écervelés, les rendent monstrueux grâce à la complicité des forces de l’ordre et brandissent un ennemi à abattre. Ils cernent celui qui dérange, celui qui bloque les ponts, celui qui ralentit ou empêche la circulation du métro, celui qui entrave celle des automobiles, celui qui colore les murs de rouge, celui qui perturbe le libre accès aux lieux de travail. Ils en font une cible unique. Ils martèlent leur discours accusateur, tout en sachant que leurs paroles sont mensongères. Peu importe la vérité, ce qui compte, c’est que le message se répande et se répète comme l’écho. Cette tactique apeure les crédules et leur impose le silence, tout en canalisant leur vindicte. Ce faisant, les décideurs contrôlent le « troupeau dérouté » et le poussent à se cadenasser chez lui en attendant que le ménage soit fait, que les arrestations et les coups de matraque calment le jeu des écervelés et rétablissent l’ordre.

Pain bénit
En ce sens, les étudiants, leurs leaders et leurs actions sont du pain bénit pour Charest. Ils sont l’Ennemi dont le premier ministre avait ardemment besoin pour espérer faire gober son Plan Nord au Sud et aux Autochtones entre autres, pour faire accepter son principe « utilisateur-payeur » en santé et en éducation, pour cacher son affairisme sous la chape d’une nouvelle virginité politique, voire pour gagner les prochaines élections. Et un homme, Gabriel Nadeau-Dubois, incarne plus particulièrement cet ennemi dont l’être crédule doit se méfier.
Chomsky a raison : le troupeau dérouté, enferré dans sa peur, choisira l’ordre pour éviter d’imaginer une société juste, solidaire et en quête de vérité, mais forcément chaotique en ses débuts. Le troupeau se taira. Reste à voir ce que feront les incrédules, jeunes et vieux.
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Sonya Morin - Professeure de littérature au Collège Bois-de-Boulogne


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