Pluie de bonnes nouvelles pour la Wallonie

Chronique de José Fontaine

Depuis que son PIB/ habitant est devenu inférieur au PIB/habitant de la Flandre la Wallonie a été bombardée de messages agressifs et qui portaient leur fruit. Le chiffre dont je parle a été connu dès le début des années 1970, mais c’est déjà en 1979 que paraissent les premières études en Flandre tendant à montrer que la Wallonie, désargentée, désindustrialisée, vit aux crochets de la Flandre. Si les Wallons ont gobé cette histoire, c’est parce qu’ils avaient vu, dans cette décennie où la crise se rua sur les vieilles régions industrielles d’Europe, se défaire après leurs charbonnages, pas mal d’industries métalliques puis la sidérurgie s’essouffler. Et que tout avis dépréciatif de ce qu’ils étaient pouvait passer pour vrai. Quand on est dans le pétrin…
Le point de vue imposé par la Flandre après 1950
Ces difficultés avaient été prévues. Tout un discours sur le déclin wallon était né. On voulait le contrer. Mais à la faveur de sa majorité politique dans l’Etat belge, à la faveur de l’investissement de l’ancienne classe dirigeante francophone dans la partie flamande de la Belgique qui borde la mer et à Anvers, la Flandre était mieux placée. Cette bourgeoisie francophone avait privilégié l’équipement logistique de la Flandre (notamment le grand port d’Anvers), veillé à installer à Bruxelles les commandes capitalistes du pays, mettant ainsi les banques dans la capitale et le commerce à Anvers pour mieux exploiter et exporter la grande richesse industrielle wallonne de 1850-1950. Quand, ensuite, celle-ci s’épuisa en partie, quand la vieille bourgeoisie francophone belge passa la main, la Flandre, préparée depuis longtemps à se saisir de toutes les opportunités pour se redresser, détourna quasiment toutes les politiques keynésiennes de l’Etat vers son territoire. Elle le pouvait à la faveur d’une majorité politique au Parlement qu’elle n’a jamais cessé de détenir (lui permettant entre autres l’accès aux ministères-clés). Elle le pouvait, efficacement, puisque la Belgique avait bien mieux équipé la Flandre que la Walonie, au moins sur le plan logistique. Il n’y avait plus qu’à prolonger cette politique menée avec des objectifs belges (autrefois), dans une optique cette fois flamande (au départ acceptée par les Wallons, croyant que la Belgique continuait). Il y avait un grand port en Flandre. On en fit un deuxième. Il y avait un suréquipement sidérurgique belge, mais on installa une industrie sidérurgique à Gand, directe rivale de la sidérurgie wallonne pourtant performante et par là menacée de mort. Les charbonnages wallons furent fermés car non rentables. Les charbonnages flamands guère plus ne le furent pas. On décréta qu’ils l’étaient et des sommes folles y furent englouties. Quand la crise s’aiguisa à la fin des années 70, la Flandre n’avaient guère d’industries en vraies difficultés. Mais on mit sur pied un programme d’aide aux entreprises en difficultés où la Wallonie, en pleine déliquescence, ne recevait pas 25% des aides, mais les recevaient pour des usines vraiment en difficultés (redevenues florissantes aujourd’hui). Tandis que les aides en Flandre soutenaient des secteurs sains. Pourtant la Flandre clama qu’elle ne payerait plus pour la Wallonie et sa sidérurgie. Elle insista sur le fait que la Wallonie lui coûtait trop cher. Que les transferts d’argent (via une Sécurité sociale nationale), la privaient de l’argent nécessaire à une plus grande ascension de sa puissance et de sa richesse. Tout cela a plombé le moral des Wallons.
Les bonnes nouvelles
Les investissements énormes consentis en Flandre enrichissaient cette région, mais la positionnait aussi en région transférant de l’argent vers la région pauvre (ou qu’elle avait appauvrie). Ce discours s’est installé peu à peu dans la tête de tous, Wallons comme Flamands, au moins de 1980 jusque dans la première décenie du XXIe siècle.
Déjà alors, on pouvait contester ces chiffres car si transferts il y a entre régions, ils sont les plus faibles d’Europe. Or, aujourd’hui, 1) le chômage diminue en Wallonie, malgré la crise (dont on serait donc en train de sortir). 2) Sans la Wallonie la balance commerciale de la Belgique serait déséquilibrée, c’est la Wallonie qui, par ses exportations, comble tout le déficit de la seule Flandre. La Wallonie dégage un surplus de 9,5 milliards d'€ tandis que la Flandre a un déficit commercial de 9,3 milliards. 3) Pour la première fois depuis longtemps, c’est la Wallonie qui accueille, en proportion, la plus grande part des investissements étrangers. (1) 4) Enfin la Flandre vieillit: elle va perdre 13% de sa population active dans les prochaines décennies (voyez l'intertitre Le fameux choc démographique?). Tandis que la Wallonie rajeunit (notamment à cause de l’immigration), la Flandre vieillit. Les pensions risquent donc de coûter si cher en Flandre que, comme me l’avaient dit il y a quelques années des étudiants flamands en journalisme à Gand, on est en train de se demander si ce n’est pas la Wallonie qui va maintenant « transférer » de l’argent en Flandre (dans la Sécurité sociale commune depuis trois-quarts de siècle, les pensions payées en Flandre vont constituer un poste de plus en plus lourd).
L’entente mais dans la liberté et l’indépendance
Ces bonnes nouvelles arrivent au moment où les respnsables wallons, longtemps réticents, acceptent la proposition flamande d’aller plus loin dans l’autonomie des Etats-Régions. Ce qui se produit, je pense, ce n’est pas à proprement parler une revanche de la Wallonie sur la Flandre, mais une transformation de la Belgique qui s’avère encore plus radicale que prévue. La Belgique unitaire - mais incohérente et non unie - a aggravé les rappprts moraux, politiques et économiques entre Wallons et Flamands (et Bruxellois). Elle se défait. Cela ne signifie pas que Flamands et Wallons rompent avec éclat. Cela signifie que, maîtres chez eux, ils vont sans doute pouvoir s’entendre mieux que jamais. Le maître-mot de tout cela n’est pas la séparation, mais l’autonomie, voire l’indépendance. Et jamais la liberté ne divise. La liberté implique les conflits, non les rapports de domination. La Belgique a perdu sa raison d’être. On ne l’avait jamais ressenti aussi radicalement qu’aujourd’hui, à une semaine des élections fédérales du 13 juin. Ceux qui prétendent que cette évolution signifie que l’entente entre peuples différents est impossible se trompent de tout au tout. Une union sans conflits est toujours suspecte et dissimule toujours un rapport de domination exécrable.
(1) Trends-Tendances, 3 juin 2010.

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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