Ce qui étouffe la démocratie wallonne

Chronique de José Fontaine

Il y a 92 ans, un fonctionnaire du gouvernement belge envoyait, depuis la Belgique occupée par l’Allemagne (mai 1918), un long rapport où il concluait que la simple application de la démocratie faisait que la direction du pays était en permanence au main du parti catholique dominant en Flandre (démographiquement majoritaire), les régions industrielles wallonnes, prospères, mais démographiquement minoritaires, en étant exclues. Il proposait comme remède que la démocratie soit suspendue et que chaque parti soit associé au gouvernement national. Cela aurait enlevé tout sens aux élections. Ce système a cependant été appliqué vaille que vaille (1918-1940).
Après la Deuxième guerre mondiale on a retrouvé au pouvoir le parti socialiste dominant la Wallonie (toujours minoritaire) et les démocrates-chrétiens dominant la Flandre (toujours majoritaire). La solution à la minorisation wallonne, cela a été un fédéralisme très poussé qui en 30 ans a fait passer la moitié des compétences ex-nationales aux Etats fédérés.
Un jeu compliqué qui rend la démocratie impopulaire
Mais il y a maintenant deux types d’élections : les fédérales et les régionales dans les Etats fédérés. Et beaucoup de complications. Tous les 5 ans les élections régionales se font en même temps dans les trois grandes Régions. Elles ont un aspect national. Les élections fédérales ont lieu tous les quatre ans. Depuis 99 (élections fédérales et régionales simultanées), on a eu des élections fédérales en 2003 et 2007, régionales en 2004 et 2009. Les élections fédérales du 13 juin 2010 (anticipées vu la crise d’avril dernier), seront donc les sixièmes en 11 ans. On vote ainsi quasi tous les 20 mois avec chaque fois un enjeu national et régional qui s’occultent réciproquement. La classe politique est en campagne électorale permanente.
La présidentocratie
Ce jeu absurde renforce considérablement le rôle des présidents de partis, surtout en Wallonie. Dans notre système au scrutin proportionnel avec des listes où le classement du candidat importe plus que tout (plus il est en haut, plus il a de chances d’être élu), le pouvoir des présidents de partis est considérablement renforcé. Ils sont quatre, leur parti engrangeant chaque fois une part importante des suffrages. Ce sont les présidents qui font les listes en grande partie. Comme on vote tous les deux ans l’opportunité leur est offerte de disposer de candidats élus qu’ils affectent où ils le veulent : au régional même s’ils sont élus au fédéral ou l’inverse. On appelle cela la présidentocratie.
Et comme on ne peut pas être en même temps ministre et député, les chambres tant régionales que fédérales se peuplent de suppléants du titulaire du siège parlementaire, illustres inconnus encore plus dépendants des présidents. Qui, de temps à autre, nomment des ministres hors-parlements. Leur pouvoir pèse plus que celui des institutions légales. Ils contrôlent le parlement wallon, voire le gouvernement . Tout en siégeant eux-mêmes parfois au gouvernement fédéral ! Ou au gouvernement wallon. Le poujadisme ordinaire se renforce de tout ce jeu embrouillé (enjeux belges et wallons se mélangent), où ne se retrouvent que les présidents. Ce manque de démocratie affaiblit la Wallonie. Avec des syndicalistes, d’anciens présidents wallons, un groupe de réflexion, le MMW (Mouvement du Manifeste wallon) a lancé des propositions de réformes radicales aisées à appliquer. Et qui dynamiseraient la vie politique en en rendant les enjeux plus accessibles aux citoyens et en rendant les dirigeants plus responsables vis-à-vis de la Wallonie. Le seul obstacle, c’est l’intérêt de quatre présidents de partis tout-puissants qui n’ont pas avantage (pas directement du moins), à ce que la Wallonie bénéficie d’une vraie dynamique démocratique. Si, pourtant, les réformes du groupe de réflexion s’appliquaient, au lieu de jouer sur les deux tableaux, le fédéral et le régional, les présidents se retrouveraient tout simplement face au peuple, comme le montre bien l’analyse du MMW.

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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