Le tourisme de masse menace comme jamais les villes historiques.
Un sondage révélait cette semaine que les résidents de Barcelone y voient le premier problème de leur ville. Chez nous, il faut s’inquiéter pour le Vieux-Québec.
Le ras-le-bol des Barcelonais se traduit très concrètement : « Les graffitis [hostiles aux touristes] se multiplient sur les murs [...] et leur ton est de plus en plus agressif », pouvait-on lire dans un article du Courrier international repris de El Pais.
À Venise, à l’automne 2016, le président de l’association des habitants Matteo Secchi lançait un cri d’alarme. Venise perd « 1000 habitants chaque année ». La Sérénissime risque de devenir une ville « où personne ne vit ».
Pour décrire le tourisme à Prague, Mathieu Bock-Côté, en 2013, avait eu une formule à la fois juste et terrifiante. Il parlait d’une ville sous « occupation touristique » par « l’armée pacifique, mais invincible de la mondialisation qui impose partout ses codes et ses façons de faire ».
Trop de tourisme tue le tourisme
On me dira que nos quelques très vieux quartiers n’en sont pas là. La hausse de fréquentation du tourisme dans le Vieux-Montréal est invariablement traitée comme une bonne nouvelle ; sans doute avec raison.
La critique du tourisme nous place devant un dilemme de taille. D’abord... nous sommes tous touristes à un moment ou à un autre ! Moi le premier.
Ensuite, pour une ville, il s’agit d’un apport économique extrêmement intéressant. Mais lorsqu’il dépasse un certain seuil, le phénomène mine l’urbanité, tue la vie de quartier. Et à moyen ou à long terme, le tourisme.
Le Vieux-Québec fait face à ce risque depuis longtemps, mais jamais comme aujourd’hui. À écouter certains résidents, il a déjà dépassé le seuil fatidique.
Un de ceux-là me disait jeudi avoir de plus en plus l’impression de vivre dans un « parc d’attractions » et de nuire, par sa présence, au bon fonctionnement des manèges.
De 2006 à 2011, le Vieux avait perdu 492 résidents. Les derniers chiffres montrent que de 2011 à 2016, l’exode a été freiné, seule une centaine ayant décidé de partir... sur quelque 4500.
Un « décor »...
Alors que j’étais étudiant à la fin des années 1980, j’ai travaillé dans un hôtel du Vieux-Québec. Déjà, on nous posait la question : « Where are the locals ? » (« Où sont les habitants ? »)
Imaginez maintenant, avec le déménagement de plusieurs des institutions plus que centenaires qui contribuaient à donner une vraie vie au Vieux : l’école Saint-Louis-de-Gonzague. Le collégial du Petit séminaire de Québec. Le secondaire des Ursulines. Heureusement, le primaire des Ursulines et le secondaire du Collège François-de-Laval résistent.
Le gouvernement Marois a fait l’erreur de jeter à la poubelle le grand projet de rénovation d’une des dernières institutions du Vieux, l’Hôtel-Dieu. Actuellement, on lui « cherche une vocation », selon l’euphémisme en vogue. Cela résume en fait très bien le désarroi des Québécois face à ce quartier historique.
La principale tentation : le réduire à un « décor » pour gros événements festifs. En parallèle, on le transforme en centre d’interprétation avec appartements-hôtels (voyez le sort réservé à la Maison Béthanie). Or, « Le vernis de l’histoire a un parfum mortifère », comme le disait justement un personnage d’un roman de Benoît Duteurtre.
Vive les musées, vive la conservation, vive la mémoire ; mais la vie, la vraie, est ailleurs. Et entre les bruits des festivals, des compétitions sportives et l’absence d’institutions autres que muséales, c’est ce que risquent de se dire les résidents du Vieux ou ceux qui ont songé un instant à aller y vivre.
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