Philippe Couillard ou l’antinationalisme fanatique

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Comment ne pas reconnaître derrière une telle vision un exceptionnel mépris de son propre peuple?





Dans sa tête, Philippe Couillard se croit manifestement encerclé par l’extrême-droite. En début d’année, il accusait la CAQ, qui s’inquiétait d’une éventuelle hausse des seuils d’immigration, de souffler sur les braises de l’intolérance. Il faisait un lien entre le parti de François Legault et les partis populistes contemporains. Philippe Couillard s’inquiétait de la dérive à l’extrême-droite de la CAQ. La raison? Legault refusait de hausser les seuils d’immigration! Il fallait donc comprendre que selon notre premier ministre, l’extrême-droite se caractérise dans un refus de la politique du toujours plus en matière d’immigration. Soit vous voulez toujours hausser les seuils, soit vous êtes d’extrême-droite. Chic!


Le nationalisme: le masque de la xénophobie?


Ce matin, c’est au tour de Jean-François Lisée d’y passer. Philippe Couillard reconnaît chez lui une parenté familière avec l’extrême-droite. Le nationalisme ayant conduit à la direction de son parti serait régressif dans l’histoire humaine. La Presse rapporte qu’il y voit «une sorte de nationalisme d’assiégés, de nationalisme de peureux essentiellement, des gens qui ne veulent pas faire face à la diversité, qui préfèrent que le Québec reste replié sur lui-même. C’est ce qu’on voit ailleurs dans le monde. On le voit aux Etats-Unis, on le voit en Europe. C’est un mouvement foncièrement négatif pour l’humanité, envers lequel on va s’opposer très fortement». Le nouveau chef péquiste, conspué par une étrange coalition rassemblant le Globe and Mail, la gauche inclusive et les éditorialistes fédéralistes, rend féroce le premier ministre! Les souverainistes participent à un mouvement foncièrement négatif pour l’humanité. C’est quelque chose! Se savaient-ils coupables d’un tel crime?


On pourrait y voir une autre manifestation de la stratégie de diabolisation de l’adversaire si habituelle chez nos fédéralistes, qui font de leur enfermement dans la province une marque d’ouverture au monde. Ils veulent faire peur, crient des gros mots, collent des étiquettes infamantes et croient ainsi être réélus jusqu’à la fin des temps. Répétez le mot chicane de manière incantatoire et vous conserverez le pouvoir. C’est ce qu’on pourrait appeler la grande idée de Jean-Marc Fournier. Mais si les deux principaux partis d’opposition sont tentés par l’extrême-droite, doit-on comprendre que le PLQ est désormais le gardien courageux et intrépide de la démocratie à l’Assemblée nationale? Englué dans les scandales, exposant tous les jours sa médiocrité, le gouvernement libéral serait-il quand même l’ultime défenseur de nos droits?


Mais nous avons toutes les raisons de croire que Philippe Couillard, en parlant ainsi, est sincère. Il parle du fond du cœur. En d’autres mots, Philippe Couillard, ici, ne se livre pas à une manœuvre politicienne. Il dit vraiment ce qu’il pense. Cet homme à l’intelligence indéniable adhère fanatiquement au fédéralisme canadien et au multiculturalisme qui en est indissociable. Philippe Couillard assimile vraiment le nationalisme québécois, même le plus modéré, à une forme de xénophobie. C’est un trudeauiste de stricte obédience qui croit que le fédéralisme est un bien en soi parce qu’il nous empêche de succomber au repli national. Il ne combat pas le souverainisme québécois à partir d’une autre vision du nationalisme, comme c’était le cas de Robert Bourassa, mais au nom de l’antinationalisme. C’est ce qu’on pourrait appeler la colonisation mentale du PLQ par le PLC.


Cette aversion pour le nationalisme va très loin chez Philippe Couillard: il semble croire que l’extrême-droite loge dans les profondeurs de notre histoire. En 2014, il signait une préface pour les mémoires de l’ancien ministre libéral Raymond Garneau. Il y livrait sa vision de l’histoire du Québec et revenait notamment sur l’héritage d’Adélard Godbout. Il écrivait ceci: «c’est lui aussi qui ose affirmer l’urgence et la nécessité pour le Québec de se joindre au combat mondial contre le nazisme, et il en paie le prix politique»[1]. Couillard laissait ici entendre que l’anticonscriptionisme des Canadiens français, qui était d’abord un isolationnisme (plus ou moins éclairé, telle n’est pas la question), n’était pas sans complaisance pour le nazisme. C’est aussi immense que grossier. Est-ce que Philippe Couillard croit vraiment que c’est pour le punir d’avoir combattu le nazisme que les électeurs ont chassé Godbout en 1944?


Philippe Couillard s’est déjà permis d’autres considérations historiques douteuses. Ainsi, en 2012, alors qu’il était candidat à la chefferie du PLQ, il avait rapproché le combat contre l’antisémitisme d’hier au combat pour les accommodements d’aujourd’hui. Il parlait plus exactement «des combats pour l’ouverture du Québec aux immigrants, depuis les luttes contre l’antisémitisme d’un Alexandre Taschereau, d’un Raoul Dandurand ou d’un Jean-Charles Harvey jusqu’aux accommodements raisonnables d’aujourd’hui». On comprend la logique: l’opposition aux accommodements raisonnables, aujourd’hui, serait la poursuite de l’antisémitisme d’hier[2]. À tout le moins, on comprend à partir de quel arrière-fond historique le premier ministre analyse les propositions qui sont dans l’esprit de la charte des valeurs. Philippe Couillard a déjà dit détester le gouvernement Marois en matière identitaire. En fait, c’est l’idée même d’une défense politique de l’identité québécoise qu’il déteste.


L’indépendance comme catastrophe


Philippe Couillard n’est pas seulement opposé à l’indépendance. Il présente son possible avènement sous le signe de l’apocalypse. Il nous avait déjà dit que ce serait une catastrophe économique et financière. Il ne s’était pas contenté de dire que le Québec tirait, selon lui, un grand avantage à son appartenance au Canada. Il disait que sans le Canada, les Québécois seraient condamnés à la pauvreté: il s’affichait ainsi en dépendantiste fier de l’être. Le Québec profiterait d’une prospérité empruntée, artificiellement maintenue par le régime fédéral. Mais laissés à nous-mêmes, nous serions des incapables. Le peuple québécois est-il marqué d’une tare congénitale qui le condamnerait au sous-développement dès lors qu’il se détacherait du cadre canadien?


De passage en Islande ces jours-ci, Philippe Couillard en a rajouté. En fait, la simple possibilité de l’indépendance est catastrophique selon lui. Je le cite: «Parce qu’à partir du moment où il y a un parti indépendantiste au Québec, tous les investissements sont paralysés, toute l’incertitude s’installe, toute l’instabilité s’installe encore, et on retombe encore dans les mêmes cercles vicieux». Il suffit donc qu’il existe un parti indépendantiste au Québec pour que le Québec soit paralysé. De par leur simple existence, les indépendantistes nuisent à leur pays. C’est fort. On comprend alors ce qu’il faut faire: les éradiquer politiquement. Tant que les indépendantistes pèseront sur la politique québécoise, elle sera hypothéquée. Les Québécois doivent désormais adhérer au Canada sans la moindre réserve.


Voyons ce que cela veut dire: la simple idée d’un Québec indépendant le révulse. Son horizon, c’est la normalisation canadienne du Québec, la dissolution de sa personnalité historique dans un fédéralisme trudeauisé. Le Québec n’a pas avantage à être une province canadienne plutôt qu’un pays: il ne peut être qu’une province canadienne. L’indépendance est inimaginable, impensable. Il faut en finir avec cette possibilité, condamner l’idée une fois pour toutes et ne plus jamais y revenir.


Pour Philippe Couillard, le Canada n’est pas seulement un cadre politique adéquat pour le Québec: c’est aussi la condition de notre salut moral et économique. Comment ne pas reconnaître derrière une telle vision un exceptionnel mépris de son propre peuple? Laissé à lui-même, il serait non seulement intolérant et tenté par la négation de la démocratie, mais pauvre. Nous avons un premier ministre qui gouverne son peuple en s’en méfiant, persuadé qu’il porte en lui une tentation antidémocratique et qu’il est trop minable pour être prospère par lui-même. On a toutes les raisons de croire que Philippe Couillard déteste le nationalisme québécois en lui-même. L’antinationalisme, de temps en temps, peut devenir haineux.








[1] Philippe Couillard, Préface, dans Raymond Garneau, De Lesage à Bourassa, Montréal, Transcontinental, p.9




[2] J’ai analysé la pensée politique de Philippe Couillard dans le chapitre «Philippe Couillard ou la radicalisation du fédéralisme» dans mon livre Exercices politiques, paru en 2013, chez VLB.




 




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