Péril en la demeure

1997

31 décembre 1997
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En 1997, on a assisté à une politisation de plus en plus marquée de certains tribunaux canadiens, en particulier la Cour suprême. Une politisation qui, on le sait, est essentiellement mise au service des intérêts du gouvernement central, lequel nomme d'ailleurs les juges des cours supérieures, d'appel et de la Cour suprême.
Que ce soit en faisant tomber le coeur de la Loi référendaire ou en acceptant, tel qu'il lui fut demandé par Ottawa, d'émettre un avis sur le droit fondamental des Québécois à l'autodétermination, la Cour suprême en ratisse de plus en plus large dans le débat national. En refusant de s'abstenir sur cette dernière question qui, dans les faits, relève du peuple québécois, elle semble avoir accepté de courir le risque de miner l'exercice même de la démocratie. Comme si on mettait le processus référendaire sous haute surveillance des juges nommés par Ottawa. Un nombre croissant de Québécois s'en inquiètent. Y a-t-il pour autant péril en la demeure de la démocratie canadienne et québécoise?
Que l'on soit souverainiste ou fédéraliste, le fait est qu'il y a amplement matière à s'inquiéter. Et il y a lieu de l'exprimer. Aux voix qui se sont déjà élevées publiquement pour appuyer le plein droit des Québécois à disposer d'eux-mêmes sans ingérence extérieure s'ajoute maintenant celle du cardinal Jean-Claude Turcotte. Ce lundi, Le Devoir rapportait ses propos exprimés avec la clarté qu'on lui connaît: «La Cour suprême dira ce qu'elle voudra. Même si elle dit qu'on n'a pas le droit de le faire, si le peuple décide de le faire, c'est le peuple qui est souverain. je suis un démocrate. C'est au peuple de décider et non pas à la Cour suprême de nous dire si on a, ou pas, le droit de décider.»
«Je suis un démocrate»: voilà qui résume le coeur de son intervention et nous rappelle que la position du cardinal Turcotte s'élève au-dessus, bien au-dessus, des options constitutionnelles. Cette défense de la démocratie au delà de nos choix politiques, on ne la retrouve pas que chez le cardinal Turcotte. On la voit aussi dans l'opinion publique québécoise, à l'Assemblée nationale ainsi que chez bon nombre de leaders d'opinion et d'intellectuels souverainistes ou fédéralistes. Exception faite des fédéralistes purs et durs, cela commence drôlement à ressembler à un consensus.
Un exemple: même si l'approche n'était pas la bonne à suivre, rappelons-nous que l'idée d'un référendum sur le statut de peuple procédait de cette même logique. Autre exemple: au début de décembre, des souverainistes, fédéralistes et confédérationnistes ont signé le texte d'une pétition plaidant pour le droit des Québécois à décider seuls de leur statut politique . Parmi les premiers signataires, on retrouvait, entre autres, les noms de Gérard Bergeron, Gregory Baum, Roch Denis, Claude Corbo, Nikolas Ducharme, Jean-Claude Rivest, Christian Dufour, Lorraine Guay, Guy Laforest, Marco Micone, Pierre Paquette, André Tremblay, Serge Turgeon, Monique Vézina, etc.
«Ce qui nous réunit, peut-on y lire, c'est une inquiétude commune et partagée [selon laquelle] l'initiative du gouvernement fédéral [le renvoi à la Cour suprême] menace le rôle et l'intégrité des institutions politiques démocratiques elles-mêmes, tant celles du Québec que celles du Canada. [...] Par-delà ce qui peut nous diviser sur le choix d'un avenir pour le Québec, nous partageons la conviction que le débat constitutionnel est avant tout politique et qu'il doit être résolu par des moyens politiques [...] Toute tentative pour emprisonner le débat politique dans une cage juridique», peut-on y lire en conclusion, «toute tentative pour changer les règles du jeu en cours de la partie, ne pourront que nous éloigner d'une solution mutuellement acceptable.»
Au Québec, cette inquiétude face au pouvoir grandissant de ce qu'on peut appeler le gouvernement des juges - et l'érosion corollaire de la démocratie - marque de plus en plus le débat constitutionnel. Le dénoncer, c'est-à-dire prendre la défense de la souveraineté du peuple par opposition à l'ingérence des juges non élus dans un processus pourtant politique, est un exercice qui transcende nos appartenances politiques respectives. Bref, comme le notait avec justesse Bernard Landry en commentant les propos du cardinal Turcotte, «ce n'est pas une chose partisane et tous les côtés de l'échiquier politique québécois devraient s'en réjouir».
Cette politisation troublante des tribunaux canadiens, c'est aussi autre chose. Elle trahit le délestage de ses propres responsabilités auquel se livre un gouvernement fédéral devenu incapable de repenser le pays en tant qu'Etat véritablement plurinational. Non seulement refuse-t-il obstinément cette réalité, mais Ottawa passe la patate chaude aux juges et aux tribunaux. Triste paravent juridique pour un pouvoir politique qui s'atrophie volontairement.
De plus, en faisant appel à la Cour suprême comme outil de combat politique cherchant à modifier les règles du jeu, Ottawa se livre à un révisionnisme historique éhonté. On y oublie que les fédéralistes ont déjà participé, pleinement et volontairement, à deux référendums sur la souveraineté du Québec. On y oublie que leurs propres leaders nous avertissaient sur un ton dramatique qu'un OUI serait en effet un OUI à la souveraineté du Québec. Bref, on oublie que le peuple québécois a déjà exercé par deux fois son droit à l'autodétermination et qu'on ne saurait aujourd'hui tenter de circonscrire une réalité déjà dûment établie face à nous-mêmes et face à la communauté internationale.
Si 1997 fut ici l'année du plan B et des tribunaux, on peut espérer que 1998 puisse marquer l'éveil clairement exprimé par un nombre croissant de Québécois démocrates, qu'ils soient souverainistes ou fédéralistes. Cet éveil, on ne saurait en douter, est essentiel pour écarter le péril qui se profile en la demeure de la démocratie canadienne et québécoise de par la négation soudaine de notre droit à l'autodétermination.
C'est la bonne grâce que je nous souhaite en 1998 dans ce débat national que certaines forces tentent maintenant de faire dérailler en se cachant sans grand courage, derrière le bouclier hautement partisan de la Cour suprême.


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