Back to the Future

Perconomie et specflation

À écouter les économistes de l'offre, ce n'est qu'une question de temps avant que les baisses d'impôts et les douches de liquidités ne finissent par générer des investissements qui, eux, percoleront (trickle down) jusque dans les poches du consommateur.

Actualité - analyses et commentaires

Vous arrive-t-il d'aller faire un tour à l'épicerie? Si oui, vous êtes probablement d'avis que les statistiques officielles d'inflation donnent beaucoup plus dans la frime qu'autre chose. Aux États-unis, cette oeuvre cosmétique a été entreprise dans les années 90, au plus fort de la lutte au déficit. Il importait alors de neutraliser les clauses d'indexation des salaires, des pensions et des déductions fiscales. À l'époque, la pacotille chinoise était encore suffisamment bon marché pour masquer la réalité et le bon peuple n'y a rien vu, occupé qu'il était à consommer à crédit. Mais, là, la réalité commence à refaire surface. Et, ceux qui passent parfois à l'épicerie réalisent bien que le taux d'inflation touche beaucoup plus les 15 %-20 % que le rassurant 2 % officiel. Dans une bonne mesure, donc, nous revoilà aux glorieuses années 70. Ne manque que le disco, ou presque.
Alors, il y aurait peut-être utilité à jeter un coup d'oeil nostalgique sur cette merveilleuse époque.
Endettés et aux prises avec un taux de chômage qui faisait le double de celui des années 60, les États-Unis ont eu recours aux grands moyens. L'administration Nixon a donc sorti la planche à billets. Après avoir décrété la fin de la convertibilité du dollar en or au cours du mois d'aôut 1971, le gouvernement américain y alla en effet d'une première dévaluation en décembre cette année-là, faisant passer le dollar de 35 $ l'once à 38 $ l'once. Puis, février 1973, on récidiva, avec une autre dévaluation qui, celle-là, faisait passer l'or à 42 $.
La fin de la convertibilité eut pour effet de libéraliser le marché des changes. Autrement dit, on avait ouvert grande la porte aux spéculateurs. À 1,80 $ en 1970, le baril de brut léger passa à 3,01 $ en 1973. À la fin de l'année, il faisait 11,65 $. Évidemment il y avait eu, entre-temps, la guerre du Yom Kippour et les représailles de l'OPEP, mais les spéculateurs n'ont pas donné leur place non plus. Début 81, le brut touchait 32 $. L'or, lui, finira par atteindre les 850 $.
Évidemment, les années 70 ont été marquées par une gigantesque enflure des prix généralisée à l'ensemble de l'économie. Dans la plupart des pays de l'OCDE, il n'était pas rare d'observer des taux d'inflation de 10 % à 15 %. Or, malgré les dévaluations américaines, le chômage demeura particulièrement élevé, le taux officiel se rapprochant des deux chiffres. Pour les économistes, il s'agissait-là d'un phénomène nouveau, les périodes de haute inflation étant normalement accompagnée d'une économie en surchauffe. Cette situation aurait amené l'économiste britannique Iain Macloed à y aller d'une innovation dans la terminologie de la science économique, avec l'expression stagflation, qui constituait une contraction de stagnation et d'inflation.
Évidemment, les choses ne pouvaient pas continuer ainsi. Le pouvoir d'achat des gens dépendant de revenus fixes se détériorait en effet à vue d'oeil. On décida donc de régler le problème en s'attaquant à l'inflation plutôt qu'au chômage. Au Canada, le gouvernement fédéral y alla d'une loi anti-inflation plus dure pour les salaires que pour les prix. Cette loi donna d'ailleurs lieu à un intéressant avis de la Cour suprême de Canada dans lequel nous apprenons que les pouvoirs d'urgence du fédéral peuvent être invoqués en temps de paix...Ah, ce qu'il est dommage que les politiciens «indépendantistes» n'en aient que pour les limousines. Mais, passons.
Parmi les autres remèdes appliqués à l'époque, il y eut d'énergiques hausses des taux d'intérêt, inspirées par le président de la Réserve fédérale Paul Volcker. Aux États-Unis, donc, le taux directeur de la Réserve fut haussé aux environs de 15 %. Au Canada, la Banque centrale y alla d'un costaud 18 %. Bien sûr, il y eut accélération de la récession, augmentation du taux de chômage, faillites, reprises hypothécaires, etc. Mais, on finit par avoir raison de l'inflation, pour un temps.
Or, il semble que l'histoire se répète. Endettés et aux prises avec un taux de chômage figé à 9 % ( le taux réel serait beaucoup plus près de 16 %), les États- Unis ont de nouveau sorti la planche à billets. En termes feutrés, cependant, il faut plutôt parler d'assouplissement quantitatif que de planche à billets. Peu de temps après la débâcle de 2008, donc, nous avons eu droit à un premier assouplissement évalué à 1,7 billion $. Le chômage se faisant malheureusement persistant, il fallu remettre l'ouvrage sur le métier avec un nouvel assouplissement chiffré, celui-là, à 600 milliards $ en novembre 2010. Plus récemment la Réserve y allait d'un autre effort, version «light», de quelques centaines de milliards $. Tout cela, bien sûr, est accompagné d'une promesse de garder le taux des fonds fédéraux à 0,25 jusqu'en 2013.
Comme dans le années 70, il semble bien que cette mer de liquidités ne laissera derrière elle rien d'autre qu'un océan d'inflation. Le problème de l'économie américaine n'est pas un problème de rareté des liquidités. Les grandes sociétés sont assises sur une montagne d'argent évaluée à deux billions $. L'histoire n'a-t-elle démontré l'inefficacité désoeuvrante des stimulis de l'offre? Dans une bonne mesure, les baisses d'impôts aboutissent dans les coffres de l'industrie du luxe. Les baisses de taux et les mesures d'assouplissement, elles, ne font à la limite que nourrir la spéculation.
À écouter les économistes de l'offre, ce n'est qu'une question de temps avant que les baisses d'impôts et les douches de liquidités ne finissent par générer des investissements qui, eux, percoleront (trickle down) jusque dans les poches du consommateur. Alors, on permettra au soussigné d'apporter une innovation de son cru au vocabulaire de la science économique, en leur attribuant le nom de perconomistes. Il sera ainsi plus facile de les opposer aux keynésiens dans la littérature économique. Évidemment, il faudra compléter avec perconomie pour qualifier leurs théories. Espérons que l'histoire attribuera au soussigné le crédit de cette audacieuse avancée dans la terminologie économique.
La perconomie, donc, risque de nous ramener aux années 70. En hiver 2009, le pétrole se transigeait à 35 $, après une envolée à 147 $ en juillet 2008. En avril 2011, il faisait 110 $. L'or a suivi une trajectoire comparable. Comme il y a une quarantaine d'années, l'augmentation des prix a touché l'ensemble de l'économie. Et le chômage, lui, ne montre aucun signe de régression. Il serait en outre étonnant que le récent recul du prix des ressources se transforme à court terme en une chute généralisée des prix. Alors, faudra-t-il encore une fois parler de stagflation? On premettra une deuxième fois au soussigné d'y aller d'une autre docte contribution à la terminologie économique en suggérant qu'il faudrait plutôt parler de specflation. On y verra la contraction de spéculation et d'inflation. Bien sûr, l'auteur serait une fois de plus reconnaissant envers l'histoire de bien vouloir lui attribuer le crédit pour cette addition au patrimoine de la terminologie économique.
À tout événement, sommes-nous réellement de retour aux années 70? Oui et non. Les taux d'endettement qui prévalent de nos jours ne sont pas ceux des années 70. Alors, s'il fallait revenir à des taux de 18 % pour contenir l'inflation, ça ferait bobo. Tellement bobo qu'on essaiera probablement de nous faire croire un bon bout de temps encore que l'inflation ne fait que 2 %. Malheureusement, ça aussi, ça va faire bobo. Alors, pour paraphraser Yogi Berra, disons que l'avenir n'est plus ce qu'il était...Poupoupidou...


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