Paralysie dans la protection du patrimoine

Patrimoine Québec


Dinu Bumbaru - Régulièrement, des crises comme celles de l'église du Très-Saint-Nom-de-Jésus dans le quartier de Maisonneuve, avec ses grandes orgues et ses peintures exceptionnelles, l'érosion et la banalisation de nos paysages patrimoniaux, les démolitions ou les incendies suspects, voire des projets dans la capitale nationale dont l'arrondissement historique est inscrit sur la Liste du patrimoine mondial de l'UNESCO nous rappellent l'incertitude qui plane sur le patrimoine au Québec faute d'une vision d'ensemble, de mécanismes adaptés et d'une volonté ferme de les mettre en œuvre.
Cette situation n'est malheureusement pas nouvelle. Depuis un quart de siècle, les gouvernements se succèdent à Québec, promettant d'apporter les réformes nécessaires, demandant la confiance de la population et sollicitant la collaboration d'organismes comme Héritage Montréal. Peu importe le parti politique, les promesses sont là, mais pas les résultats.
Le Québec n'a pas de politique du patrimoine, et son actuelle loi sur les biens culturels n'est que partiellement appliquée. Bien sûr, on a eu des études, des rapports et une vaste consultation ministérielle en 2008. Mais ce contenu fort intéressant n'a pas l'effet d'une loi moderne et obligeante dotée de mécanismes efficaces et incitatifs, à la hauteur de la valeur exceptionnelle de notre patrimoine et des obligations contemporaines du Québec devant sa population et la communauté internationale à laquelle il participe.
Depuis 25 ans, bien des progrès du patrimoine résultent de l'investissement patient de citoyens, propriétaires et associations devant l'indifférence et l'immobilisme frustrants des pouvoirs publics. Or, la protection et la mise en valeur du patrimoine sont des devoirs personnels et collectifs qui ne peuvent s'accomplir sans l'engagement réel du gouvernement, des municipalités et des institutions qui en dépendent.
Le patrimoine n'est pas qu'une image touchante pour illustrer ses voeux du Nouvel An, auquel on s'intéresse seulement si la situation a dégénéré pour constituer une crise qu'on gère à la pièce. Cette richesse non renouvelable forme notre capital mémoriel et culturel dont nos institutions sont les gardiens. Il faut des règles cohérentes et de l'imagination pour amener des solutions véritables et durables.
En 2006, l'Assemblée nationale adoptait la loi sur le Développement durable qui fait de la protection du patrimoine culturel (bâtiments, paysages, savoir-faire traditionnels, etc.) un principe du développement durable dont le gouvernement assure le respect. Une loi qui associe ainsi Patrimoine culturel et Développement durable est extrêmement rare. Il y a tout lieu de féliciter le Québec pour cette exception que le distingue bien que les résultats concrets tardent à venir comme le démontre le silence des rapports du Commissaire au développement durable sur l'application de ce principe.
Et pourtant, les crises se multiplient et se font de plus en plus complexes au fur et à mesure qu'on repousse des échéances inéluctables; par exemple, le cas du patrimoine religieux qui s'exprime de plus en plus par des crises déchirantes et des débats mal informés comme celle de Très-Saint-Nom-de-Jésus dont la valeur aurait sans doute commandé ailleurs un classement intégral et une stratégie planifiée de mise en valeur culturelle. C'est le cas de tant d'autres bâtiments, sites archéologiques, monuments, fonds d'archives, oeuvres d'art, traditions, etc. qui portent la mémoire et l'ADN de l'aventure humaine au Québec dans sa diversité et son authenticité.
Le 18 février dernier, l'Assemblée nationale recevait le projet de loi 82 sur le patrimoine culturel qui marque un pas important, le premier aussi concret en 25 ans. Nous en avons fait un premier examen. Malgré d'importantes questions qu'il suscite notamment sur l'obligation de résultat en matière de protection et d'appui à la mise en valeur, ce projet de loi avance des propositions intéressantes et mérite d'être discuté, bonifié de propositions expliquées aux parlementaires et adopté par l'Assemblée nationale. De nouveau, Héritage Montréal est prêt à participer à cet exercice démocratique. Mais les travaux parlementaires se sont terminés le 11 juin, et on doit constater que le gouvernement et l'opposition ne semblent pas capables de s'entendre sur la procédure parlementaire.
Cette paralysie devient intolérable, car il faut avancer. Le patrimoine a beau être le fondement de notre développement identitaire et culturel, il doit cesser de se retrouver au-dessous de la pile des priorités! Nous appelons donc urgemment tous les membres de l'Assemblée nationale à engager le plus rapidement possible l'examen de ce projet de loi pour que les expériences et commentaires des citoyens et organismes leur soient communiqués dans un cadre efficace et que, collectivement, nous puissions enfin procéder sur cette réforme tant attendue. Il est plus que temps de passer des promesses aux actes.
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Dinu Bumbaru - Directeur des politiques chez Héritage Montréal


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