Soeur Hélène, mère supérieure et mairesse de Notre-Dame-des-Anges

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Oui au maintien de notre héritage catholique !

À l’automne 2015, Floribert Langis a dû quitter son appartement de la rue des Commissaires, dans le quartier Saint-Roch de Québec. La dystrophie musculaire avait gagné trop de terrain. Il a emménagé, de l’autre côté de la rue — et du mur de pierre —, dans le Centre d’hébergement de l’Hôpital général de Québec. Sans le savoir, il avait laissé derrière lui son droit de vote aux élections municipales.



Même s’ils habitent en plein coeur de la ville de Québec, les résidents du Centre d’hébergement de l’Hôpital général de Québec ne peuvent pas voter lors des élections municipales. Ils n’habitent pas à Québec, mais plutôt à Notre-Dame-des-Anges — une municipalité distincte de 0,04 km2 qui est dispensée de tenir des élections.



Près de 400 personnes habitent dans cette municipalité à vocation religieuse — la première du genre au Québec — créée le 1er juillet 1855, c’est-à-dire les 320 résidents du centre d’hébergement et les 70 religieuses. Soeur Hélène Marquis endosse les habits de première magistrate. « C’est moi, Madame la Mairesse ! » lance la supérieure à l’autre bout du fil. « Ici, il n’y a pas de conseil municipal. »



Depuis son arrivée à Québec, Floribert Langis s’est acquitté de son devoir de citoyen. Beau temps, mauvais temps, l’habitué des séances du conseil municipal n’a jamais raté de rendez-vous électoral. Il s’agit d’un rituel sacré, selon lui. « J’ai toujours aimé ça, la politique… Municipale, provinciale et fédérale », martèle-t-il durant un entretien avec Le Devoir. Il a toujours exercé son droit de vote, sauf le 5 novembre dernier.



Photo: Renaud Philippe Le Devoir - Floribert Langis est un passionné de politique. Cela a donc été un choc pour lui quand il a appris qu’il ne pourrait pas voter lors du plus récent scrutin municipal.



À quelques jours du scrutin, son voisin Sébastien l’a avisé qu’il ne pourrait pas appuyer son candidat favori à la mairie de Québec. « Comment ça, je ne peux pas voter, moi ? J’ai encore ma tête », a-t-il dit, contrarié, à la direction du centre d’hébergement administré par le Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSS) de la Capitale-Nationale. « On m’a expliqué que ç’a rapport avec les religieuses de l’autre côté. J’étais déçu. Je n’étais pas content », relate-t-il avec aplomb, après avoir immobilisé son fauteuil roulant dans sa chambre du troisième étage. « J’ai toujours aimé ça, la politique », poursuit l’homme, surnommé « le Survivant » dans une chronique parue à l’été 2005 dans le quotidien Le Soleil.



« La municipalité, c’est moi »



Soeur Hélène accueille Le Devoir dans le « Salon rouge » du monastère, là même où le comte de Frontenac avait établi ses quartiers durant la seconde moitié du XVIIe siècle. « Bon, qu’est-ce que vous voulez savoir ? » demande l’augustine avant de prévenir : « Je n’ai pas grand-chose à dire sur la municipalité. La municipalité, c’est moi… toute seule. »



Les résidents de Notre-Dame-des-Anges bénéficient dans les faits de « tous les services de la Ville de Québec », sans pour autant payer de taxes, explique-t-elle. « Ç’a toujours été des pauvres qui ont été reçus ici. On n’a jamais facturé de taxes à nos pensionnaires. Mais la Ville aurait voulu avoir cette taxe-là. On nous a dit : “Chargez-la, vous, la taxe, et vous nous donnerez [les recettes].” J’ai dit : Ben voyons ! »



À ses yeux, les soeurs hospitalières sont éternellement quittes de toute dette envers la Ville de Québec. « On avait quasiment toute la basse-ville. On a donné des terrains », dont celui où est aujourd’hui aménagé le parc Victoria, précise-t-elle.



Le site, qui abrite une douzaine de bâtiments — dont l’Hôpital général de Québec —, est raccordé au réseau d’aqueducs et d’égouts de la ville de Québec. En cas d’urgence, les policiers et les pompiers de Québec y accourent. « On n’a pas souvent besoin de la police », fait remarquer soeur Hélène, qui habite les lieux depuis 1953. « C’est un milieu tranquille. Il n’y a pas de malfaiteurs ici. »



Le site patrimonial, sur lequel plus de 1000 soldats tombés durant la guerre de Sept Ans (1756-1763) sont enterrés, dont le marquis de Montcalm, est évidemment dans le viseur du ministère de la Culture et des Communications. « Alors, il faut prendre des précautions. Si on a une poignée de porte à changer, il faut remplir une demande », mentionne-t-elle d’un ton posé. « [Cela dit], si on veut faire des transformations, on pourrait ne pas demander d’autorisation à la Ville de Québec, mais on le fait toujours parce qu’on a de très bonnes relations avec la Ville », ajoute-t-elle.



Les soeurs de l’Hôpital général ont jalousement protégé leur autonomie face aux visées annexionnistes des politiciens qui se sont succédé à l’hôtel de ville de Québec. « Vous autres, vous êtes chanceuses. Moi, comme mairesse de Sainte-Foy, je ne faisais pas ce que je voulais », leur aurait lancé la mairesse Andrée Boucher en 2006, en marge de l’inauguration de la spectaculaire sculpture mettant en scène une religieuse, le voile au vent, tendant les bras vers un vieillard.



Pas de taxation, pas de représentation



Contrairement aux deux autres municipalités à vocation religieuse au Québec toujours existantes — Saint-Benoît-du-Lac et Saint-Louis-de-Gonzague-du-Cap-Tourmente —, Notre-Dame-des-Anges compte désormais une population majoritairement laïque. Celle-ci n’a pas pour autant son mot à dire sur la composition du conseil qui dirige les destinées de la municipalité puisque celui-ci est nommé, depuis plus de 160 ans, par les membres de la congrégation des Augustines de la Miséricorde de Jésus.



Les religieuses élisent, aux deux tiers des voix, tous les trois ans, leur supérieure. Celle-ci se voit attribuer automatiquement le titre de mairesse. « Personne n’envie ça. Le poste vient avec de grosses responsabilités », souligne soeur Hélène, précisant que la moyenne d’âge des religieuses oscille autour de 85 ans. La communauté compte une seule professe, ce qui laisse entrevoir la fin prochaine d’une folle aventure qui s’est échelonnée sur quatre siècles. « Ici, il pouvait y avoir 500 soldats infirmes. Ils logeaient partout : dans le poulailler, dans l’étable, dans l’église, partout. Les soeurs prenaient leur linge pour panser les plaies. Anglais, Français… tout le monde était soigné sur le même pied d’égalité. »


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