Où s'arrêtera l'hémorragie?

Pacte électoral - gauche et souverainiste


Louise Beaudoin, Pierre Curzi et Lisette Lapointe ont condamné l'«autorité outrancière» de l'entourage de la chef, lequel entourage serait
«obsédé par le pouvoir».
_ Photo : Stevens Leblanc - Agence QMI


D'autres défections au PQ pourraient suivre les départs de Louise Beaudoin, Pierre Curzi et Lisette Lapointe

Sous le choc, Pauline Marois garde le cap

Antoine Robitaille , Marco Bélair-Cirino Québec — La chef du Parti québécois n'est pas au bout de ses peines après les défections des Louise Beaudoin, Pierre Curzi et Lisette Lapointe. D'autres de ses députés songent sérieusement à quitter le navire dans la foulée du débat sur l'entente Labeaume-Quebecor au sujet du nouvel amphithéâtre. Ils aborderont la question au caucus spécial du PQ de ce matin, à 8h. «Je pourrais bien, moi aussi, aller siéger comme indépendant», a confié au Devoir le député de Bertrand, Claude Cousineau, hier en après-midi. Il claquera la porte s'il n'obtient pas le droit de s'abstenir ou de s'opposer au projet privé 204 ou à la loi omnibus qui contiendrait des dispositions similaires au projet de loi privé.
Deux autres députés péquistes auraient une position semblable: Sylvain Pagé (Labelle) et Jean-Martin Aussant (Nicolet-Yamaska). «Aussant ne finira pas la semaine dans le caucus», a prédit une source bien informée au PQ. Au moins trois autres élus, Alexandre Cloutier (Lac-Saint-Jean), Véronique Hivon (Joliette) et un député de Lanaudière, seraient farouchement opposés aux dispositions du projet de loi 204 et refuseraient de les entériner. Jointe hier, Mme Hivon a répondu qu'elle ne ferait aucun commentaire. Réagissant hier, la chef Pauline Marois n'a pas confirmé si les membres de son caucus pourraient ou non s'absenter du Salon bleu lors d'un éventuel vote sur le projet de loi 204 ou sur le projet de loi 13 (omnibus municipal).
«Autorité outrancière»
En démissionnant du caucus hier matin, Mme Beaudoin, M. Curzi et Mme Lapointe ont condamné l'«autorité outrancière» de l'entourage de la chef, lequel entourage serait «obsédé par le pouvoir». Pour eux, le projet de loi 204 fut la goutte qui a fait déborder le vase. Ils ont raconté avoir appris dans les médias qu'Agnès Maltais (Taschereau) allait se faire marraine de ce geste législatif inusité et précipité. Les discussions sur le sujet n'ont seulement eu lieu au caucus qu'après son dépôt, a déploré Mme Lapointe, qui a du reste exhibé une liasse de courriels de citoyens appuyant sa position. Le mari de cette dernière, l'ex-premier ministre Jacques Parizeau, était présent au Parlement. Il s'est refusé à tout commentaire, se bornant à se dire parfaitement conscient du caractère «symbolique» de sa présence. Mme Lapointe a rappelé avoir vécu difficilement l'épisode où la direction l'a empêchée de raffermir la position du parti sur la préparation à la souveraineté du Québec par un éventuel gouvernement péquiste. La députée, le 5 avril dernier, avait aussi soulevé l'ire de sa chef lorsqu'elle s'était abstenue de voter contre une motion d'Amir Khadir portant sur le budget, transgressant ainsi la ligne de parti du PQ, qui la rejetait.
Quant à la loi 204, elle est inacceptable, aux yeux des trois députés désormais indépendants. S'il avait suivi la ligne de parti, Pierre Curzi a dit qu'il n'aurait pas pu se «regarder sereinement dans le miroir». Or, la direction ordonnait à tous de suivre la ligne de parti: «Jusqu'à samedi matin inclusivement, c'était se soumettre ou se démettre», a raconté Mme Beaudoin. «Je n'ai jamais vu ça, de se faire dire "tu suis la ligne de parti ou alors c'est des sanctions". Aussi durement que ça, jamais», insistait Claude Cousineau hier, lui qui siège à l'Assemblée nationale depuis 1998.
Mme Marois a refusé l'option du vote libre ou de l'abstention la semaine dernière aux Beaudoin, Curzi et Lapointe, qui l'avaient réclamée. Elle préférait que les députés dissidents s'absentent au moment du vote, selon la solution qu'elle a présentée in extremis hier matin aux trois dissidents. Selon des sources, un «jeune député de Lanaudière» a demandé la semaine dernière, lors d'un caucus, de voter «selon ses convictions» sur la question. «Non, il faut suivre la ligne de parti», a tranché Mme Marois. Aux yeux de M. Cousineau, l'insistance de sa chef sur l'application stricte de cette «ligne», au sujet de ce projet de loi, est étonnante. «Ce n'est pas la fin du monde, l'amphithéâtre. Si c'est comme ça pour ça, qu'est-ce que ça va être plus tard?», a-t-il dit, évoquant l'accession éventuelle de Mme Marois à la tête du gouvernement. M. Cousineau insiste: «À 61 ans et avec 13 ans d'expérience comme député, je suis tanné qu'on me dise comment voter.» Voulant prendre ses décisions par lui-même, il a ajouté: «Je suis passé à une autre étape de ma vie.» Le traitement réservé à l'opposant au projet de loi 204 Denis de Belleval par son collègue de Chambly, Bertrand St-Arnaud, a ulcéré M. Cousineau: «Une commission, ce n'est pas un tribunal!»
Le député admet avoir lui-même déposé des projets de loi privés dans sa vie parlementaire. Il souligne toutefois que, depuis l'adoption de la loi 76 sur la transparence des appels d'offres en 2010, les règles ont changé. Or, le projet de loi 204 met l'entente Labeaume-Quebecor à l'abri de ces nouvelles dispositions. «Soyons conséquents», insiste M. Cousineau.
Marois n'a pas consulté
Réagissant à Montréal, Pauline Marois refusait de croire hier que d'autres élus imiteraient les trois ténors de la formation politique. À ses yeux, la description que les dissidents ont faite de sa gouverne était erronée au point qu'elle s'est dite «carrément, honnêtement, renversée».
Elle s'est dite «du genre à écouter beaucoup, à échanger en profondeur». À un moment donné, «je tire une ligne et je prends une décision. Je vais continuer à avoir ce type de leadership». Pour celle qui a obtenu un vote de confiance de 93,08 % à la mi-avril, les défections d'hier sont un «choc»: «Je ne peux pas dire le contraire. [...] C'est une attaque à mon leadership très franchement.»
Étonnamment, les démissionnaires ont soutenu qu'il n'en était rien, ajoutant qu'ils ne déchiraient pas leur carte de membre du PQ et n'excluant même pas d'y retourner un jour, une fois qu'il se sera «repris en main». La démission de Mme Marois n'est pas le but recherché; plutôt que le PQ apprenne à faire de la politique «autrement».
Reste qu'aux yeux de sa chef, le PQ a encaissé un coup dur. Le projet de souveraineté du Québec aussi, a-t-elle tenu à souligner. La décision des dissidents «ne fait pas avancer d'un iota [...] la souveraineté». «Les seuls qui y gagnent quelque chose, c'est le Parti libéral, Jean Charest et les fédéralistes», a noté Mme Marois exaspérée. Habituellement, elle consulte son caucus sur tout: «Cette fois-ci, je ne l'ai pas fait parce que, d'abord, il y avait une certaine urgence, [car] on était en fin de session.» Ensuite, des lois privées comme celles-là sont «votées régulièrement à l'Assemblée nationale».
Mme Marois a reproché aux trois démissionnaires de ne pas avoir répondu à ses coups de fil en fin de semaine, après la publication dans Le Devoir samedi d'un texte sur les risques d'implosion au PQ. Elle a du reste balayé du revers de la main les critiques virulentes formulées par les nouveaux députés indépendants à l'endroit de sa garde rapprochée. Sa chef de cabinet, Nicole Stafford — reconnue pour sa poigne de fer —, n'a pas rappelé Le Devoir hier. La marraine du projet de loi controversé, Agnès Maltais, a quant à elle déclaré: «Je suis triste, désolée, mais sans jamais renier mes principes. Je porte la volonté populaire.»
Camil Bouchard en rajoute
Joint hier, l'ancien député de Vachon (2003-2009), Camil Bouchard, a soutenu que les raisons de son départ en décembre 2009 recoupaient au fond celles des trois démissionnaires — l'emprise du cabinet de la chef sur le parti, par exemple. À l'époque, il avait refusé d'aborder la question. S'il avait été encore au caucus, l'aurait-il quitté avec eux? «Bien sûr», répond-il. Selon lui, la ligne de parti est un des facteurs qui minent actuellement «la capacité des citoyens de s'associer à la politique». De plus, à ses yeux, parce que le pouvoir semblait à portée de main, le PQ est trop prudent dans ses prises de position. De gauche? Du centre? «Parfois, je me disais: il est ni l'un ni l'autre, il est nulle part!»
Au sein des militants hier, la grogne était aussi palpable. Pierre Dubuc, secrétaire du club politique SPQ-Libre, écarté des instances du parti par Mme Marois l'an passé, estimait que l'«autorité outrancière» évoquée par Mme Lapointe avait son pendant dans la gestion du parti où il observe une «atrophie démocratique». Parmi les 50 jeunes souverainistes qui avaient dénoncé l'approche de la «gouvernance souverainiste» de la chef en novembre, Félix-Antoine Michaud, militant dans Lévis, a déclaré: «Quand on est sortis sur la place publique, on nous a traités d'inconnus. Aujourd'hui, la direction du parti ne peut certainement pas dénigrer les démissionnaires de la même façon!»
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Avec la collaboration d'Isabelle Porter et de Jeanne Corriveau


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