Ottawa, capitale canadienne de la corruption

Il y a au siège de la fédération un puissant dispositif étatique qui pratique le copinage et même le népotisme.

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Il était à peu près temps que quelqu'un le dise...

Pendant qu’on s’émeut (à juste titre) des enveloppes brunes et des mauvais coups commis par des administrations municipales et des entreprises de construction dans les villes du Québec, on se rend compte que le problème de la corruption est beaucoup plus important dans ce pays. Le lieu où tout cela prend des proportions gigantesques ne s’appelle pas Laval, Mascouche ou même Montréal, mais Ottawa.
Les frasques des sénateurs Mike Duffy et Patrick Brazeau mettent Harper dans l’embarras. Mais est-ce que le problème se limite à quelques « pommes pourries » ? Le Sénat coûte environ 100 millions de dollars par an (y compris les émoluments des 105 sénateurs) aux contribuables que nous sommes. Cette institution tient son origine dans le régime colonial britannique, car au départ, elle avait été conçue pour empêcher les députés élus d’exercer les pleins pouvoirs. Depuis, c’est devenu le refuge des amis du pouvoir. Les sénateurs nommés à vie mènent une vie confortable, c’est le moins qu’on puisse dire.
Certains se prennent au sérieux (Duffy justement). D’autres moins, comme le sénateur Raymond Lavigne qui, de 2008 à 2010, a coûté aux contribuables 703 000 $ (dont des remboursements de dépenses de 315 000 $) tout en étant présent à Ottawa quelques rares fois pendant cette période !
Depuis 2006, Harper a nommé 53 sénateurs, ce qui lui donne une majorité dans cette Chambre dite « haute ». Certes, il faut dire que, de temps en temps, certains sénateurs se réveillent et participent aux débats publics. Mais en tout et pour tout, cette institution n’a plus sa place. La réformer serait l’équivalent de peinturer les murs d’une maison aux fondations écroulées.

Une machine étatique au service des élites
Cette scandaleuse histoire ne raconte pas toute l’histoire. Depuis des décennies, le gouvernement fédéral est l’objet de grandes manipulations. A l’époque de Brian Mulroney dans les années 1980, la corruption avait touché plusieurs députés et ministres dont plusieurs avaient démissionné. Le premier ministre lui-même fut impliqué dans une histoire louche liée à l’achat d’avions Airbus (contrat de 1,4 milliard). Selon la journaliste Stevie Cameron, plusieurs millions auraient été payés à des entremetteurs. Plus tard, les malversations de Mulroney ont rebondi avec les révélations du courtier Karlheinz Schreiber sur des paiements en argent de plus de 225 000 $, encaissés en secret. La loi n’ayant pas été transgressée, on a essayé de nous faire oublier les enveloppes brunes transmises à un ex-premier ministre.
Après le retour des libéraux au pouvoir en 1993, d’autres « histoires » ont fait la manchette, dont bien sûr le scandale des commandites. Selon une enquête de Radio-Canada, 164 millions sur les 332 millions dépensés pour ces programmes sont revenus à des intermédiaires et au PLC, ce qui a été confirmé par la commission Gomery.
À côté de cela, les bouteilles de vin, les billets pour les matchs de hockey et les paiements versés aux partis municipaux, c’est des peanuts.
L’État fédéral, c’est un budget de plus de 250 milliards de dollars par année dont la gestion laisse beaucoup à désirer, selon les critiques de Kevin Page (ex-directeur parlementaire du budget à la Chambre des communes) et de Michael Ferguson (vérificateur général). Sous Harper, la liste des montants d’argent envolés ou mal dépensés est très longue, dont les dizaines de millions dépensés dans des comtés conservateurs à l’occasion du sommet du G8 à Toronto. Pas encore dépensés mais très mal partis, les budgets programmés pour les énormes dépenses militaires ont été sciemment sous-estimés et occultés, induisant le public en erreur (on pense notamment aux avions de chasse F-35).
Au-delà des efforts des gouvernements pour détourner l’attention, il y a également un puissant dispositif étatique à Ottawa qui pratique le copinage et même le népotisme. Les « amis » des partis au pouvoir sont généreusement pourvus en contrats et en mandats, comme les nombreux conservateurs récemment nommés à divers tribunaux administratifs et conseils d’administration. Ce copinage (qui inclut conjoints et parents) prend la forme d’un constant va-et-vient entre élus, ex-élus, candidats qui n’ont jamais été élus, et positions de haut niveau dans l’administration publique et parapublique.
Une fois dit cela, il serait abusif d’affirmer que les gestionnaires de l’État sont tous pourris. Récemment, on a vu des cadres s’insurger contre l’omertà qui leur est imposée par le gouvernement. Pour la très grande majorité des employés de la fonction publique, le système actuel est une punition et non une récompense. Il faudra autre chose que de belles déclarations pour nettoyer Ottawa de la gangrène qui contamine l’État fédéral.

Pierre Beaudet - Professeur à l’université d’Ottawa


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