Les gens qui gravitent autour des marchés financiers et boursiers se sont beaucoup amusés durant les dix dernières années. Copains, copains, les spécialistes, courtiers, investisseurs, économistes-conseil et commentateurs ont joué à la hausse, utilisé les «hedge funds» et jonglé avec les produits dérivés, ces chimères inventées par des ordinateurs. Et ils ont récolté. Jamais les revenus des plus riches n'avaient augmenté autant par rapport au revenu moyen que durant ces dix glorieuses pour les «gens de la finance».
Car pour les autres, vous et moi, les gouvernements plaidaient le déficit zéro, les entreprises invoquaient la concurrence féroce des pays émergents, pour geler ou presque les salaires, pour demander des concessions aux travailleurs. Pendant que l'univers financier multipliait millionnaires et milliardaires, les travailleurs signaient des conventions collectives à rabais. Voilà un aspect de la crise dont on parle peu.
Et puis, on nous prenait vraiment pour des valises. Après la faillite d'Enron et de quelques autres géants américains, les autorités réglementaires proclamèrent: «Plus jamais ça, nous avons compris.» Quelques emprisonnements spectaculaires de pauvres milliardaires épinglés suivirent, et nous, les «valises» avons cru qu'un minimum d'ordre avait été imposé dans cette jungle que nos gouvernements semblaient incapables de gouverner. Mais il faut plus de conneries, de roublardise, de fraudes, de cupidité pour que nos gouvernements songent à gouverner. Il faut que le ciel leur tombe sur la tête, penserait-on. Mais non.
C'est le pétrole qui nous est tombé sur la tête, et dans les pays pauvres, la crise alimentaire. Gouvernements et spécialistes nous expliquaient que le ciel nous tombait sur la tête parce que l'offre et la demande nous tombaient sur la tête. Il ne fallait pas y voir de sombres manipulations, de manoeuvres machiavéliques orchestrées par des spéculateurs insensibles à la pauvreté grandissante de mon chauffeur de taxi ou de celui de Dakar. Non, tout cela était dans l'ordre des choses normales, cela faisait partie de l'immuable dans le meilleur système au monde, le capitalisme néo-libéral.
Là, on ne nous prenait plus pour des valises, on nous prenait pour des malles. On ne nous demandait pas d'avaler des couleuvres, mais des anacondas.
Le 17 juillet, le prix du baril de pétrole a atteint 147 $, escalade fulgurante toujours provoquée par les deux dieux de l'économie, l'offre et la demande. À Radio-Canada (c'est ce que j'écoute), personne n'a jamais évoqué une quelconque forme de spéculation, une cupidité des raffineurs. Aujourd'hui, le prix du baril a chuté de plus de 300 %, ce qui veut dire, selon les spécialistes de ma chaîne préférée, que la demande a chuté de 300 % ou que l'offre a augmenté dans la même proportion. Allo! Est-ce qu'il y a un pilote dans l'avion?
Ce matin, on s'interrogeait placidement sur la hausse soudaine de 8 ¢ cents le litre le 1er janvier, hausse qu'on disait inexpliquée. Plus de profit peut-être? Meilleur rendement pour les actionnaires? Pourquoi ne pas avancer cette possible explication tout en conservant son air objectif et professionnel, ce même air qu'on affichait quand on expliquait l'offre et la demande à 147 $ le baril et qu'on nous assurait que la spéculation n'avait joué aucun rôle? Ce système est atteint de cancer; pourrions-nous parler de la maladie plutôt que de ses inconvénients? Parler de la maladie. C'est ce qu'on nous a promis à Washington, quand Sarkozy est venu faire la leçon à Bush. Pour le moment, force est de dire qu'on se concentre sur les inconvénients, sur les désagréments de la maladie. Un plan de relance pour un cancéreux, c'est quelques années, une sorte de rémission. On ne parle que de plan de relance, on pompe en intraveineuse des sérums quelconques dans le malade en attendant qu'il aille mieux. Personne ne réfléchit sur la maladie du capitalisme contemporain: 10 fois la production mondiale brute en capital spéculatif qui se promène dans le monde, [comme le souligne l'économiste Louis Gill->17049]. Dix fois ce que nous produisons tous ensemble et qui cherche à profiter encore plus de ce nous créons.
Les Bourses internationales ont chuté en moyenne de 30 à 40 % en 2008. L'année prochaine, selon The Economist, pourrait être aussi catastrophique. Si cela ne suffit pas à pousser à la remise en question fondamentale de tout le système, que faudra-t-il?
Pierre Vadeboncoeur a écrit, un peu en dérision: [«Tout sauf le socialisme.»->17031] Il a raison, on ne regarde que dans le capitalisme pour guérir le capitalisme, même si, pour le sauver, on recourt un peu partout à la nationalisation. Le problème, c'est que les socialistes ont failli eux aussi à réinventer le modèle. Et plutôt que de critiquer les relances, les progressistes doivent se mettre à leur planche à dessin et proposer, imaginer d'autres avenues, d'autres voies que le sauvetage des prédateurs.
Quelques propositions sont venues ici qui méritent réflexion. La CSN propose d'augmenter le salaire minimum. Les gens pauvres dépensent. Les riches économisent ou voyagent. Les pauvres font rouler l'économie. François Saillant a proposé d'investir massivement dans le logement social. Quand la construction va, tout va, dit l'adage. Mais ce serait encore mieux si on développait un programme de logement social qui obligerait les promoteurs ou les municipalités à utiliser une forte proportion de bois dans l'érection de ces logements. Pour lutter contre la maladie mondiale, il faut penser à des défenses locales: l'économie sociale qui crée des emplois et assure la solidarité communautaire, l'aide aux producteurs du terroir qui ajoutent de la plus-value dans le morne paysage agricole, le développement des coopératives, etc. Devant la richesse qui se mondialise et dont le contrôle nous échappe et parfois nous casse, nous devons créer nos propres sources de richesse. C'est un exercice de réflexion que je propose à tous mes amis progressistes. Bonne année de réflexion.
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