Ségolène Royal au CÉRIUM

Ode au "volontarisme" et au "pragmatisme" québécois

(Texte de conférence)

Ségolène Royal en visite au Québec - septembre 2007

Merci pour cet accueil extraordinairement chaleureux. Je n’ai qu’un regret à émettre, en effet, c’est que cette salle ne soit pas assez grande pour accueillir les plusieurs centaines de personnes qui sont à l’extérieur et j’espère que vous allez obtenir, en effet, tout le crédit public pour construire un très grand amphi où je reviendrai l’année prochaine pour vérifier.
Merci monsieur le recteur Vinet pour les mots aimables que vous venez de prononcer et je salue aussi le directeur du CÉRIUM, Jean-François Lisée, qui a organisé cette rencontre, vos collaborateurs, M. Frémont et Mme Crago, bien évidemment vous tous, étudiants, étudiantes, enseignants, enseignantes, les élus aussi de l’Assemblée nationale, de la Chambre des Communes, les élus municipaux qui sont présents, un mot aussi pour saluer mon amie Mme Louise Beaudoin, et enfin bien évidemment tous les chercheurs ici représentés. Nous avons là un concentré de matière grise, toutes générations confondues, et laissez-moi vous dire tout l’honneur qui m’est fait aujourd’hui par cette occasion de prendre la parole devant vous.
D’abord, je suis venue vers le Québec, au Canada, ici à Montréal avec curiosité, et je dois vous dire que je ne suis pas déçue. J’ai envie de dire d’abord : Merci, merci Québec, peuple né d’un voyage visionnaire, de l’exil et de la rencontre. Au-delà de l’hiver et du doute, quatre siècles durant, Québec, tu as tenu. Arrimé à cette langue de France, tu as su traverser les épreuves du temps et tu connais le prix des mots. Il faut saluer aujourd’hui, Québec, ton courage et garder cet extraordinaire esprit bâtisseur et qui doit continuer à nous tourner vers l’avenir.
Alors de part et d’autre de l’Atlantique, le nom d’une ville et d’un homme témoignent de notre histoire commune, puisque c’est dans la Région que je préside, à Brouage, que naquit Samuel de Champlain et la promesse d’une Amérique française ou d’une nouvelle France. Comme on voudra. C’est du Poitou, des Charentes, puis de Normandie et d’Île-de-France que par centaines, des femmes et des hommes vinrent au-devant des peuples amérindiens pour inventer le Nouveau-Monde. Et aujourd’hui encore, nous devons, face à la mondialisation qui menace, savoir si nous pouvons faire la pire ou la meilleure des choses et donc à nouveau inventer un nouveau monde.
Ainsi, sommes nous, toutes et tous, unis dans le temps, avec nos différences et nos richesses propres. C’est cette habitude du vivre-ensemble solidaire qui est pour notre avenir la plus formidable des ressources. Ce patrimoine commun est un gage de paix. Ensemble, nous en avons la charge et nous pouvons en donner l’exemple pour d’autres parties du monde.
Ensemble, l’année prochaine, nous le célébrerons le 400e, et c’est encore ensemble que nous aurons la responsabilité de l’accroître et de le transmettre. Grâce à cette ténacité, les quelques arpents de neige dont parlait Voltaire ont vu émerger une société moderne dont le dynamisme et l’ouverture sont souvent cités en exemple. Et c’est mérité. Au cours des dernières décennies, la société québécoise a opéré une transformation à la hauteur du pari audacieux qu’avaient tenu les artisans de la Révolution tranquille. C’est cela aussi qu’ensemble nous célébrerons.
Ce 400e anniversaire de la fondation du Québec et le Sommet de la Francophonie du mois d’octobre qui l’accompagnera seront l’occasion de conjuguer nos efforts pour donner à la Francophonie un souffle nouveau, à la hauteur des enjeux politiques du siècle où nous entrons. Côte à côte, nous avons œuvré à la reconnaissance de la diversité culturelle pour donner à la mondialisation un autre sens que le seul profit. Cette lutte qu’ensemble nous avons engagée, il nous faut la poursuivre, car de son issue, nous le savons bien, dépend la persistance des valeurs fondamentales de chaque société. Parallèlement, il nous faut tout entreprendre pour éviter les ravages des replis identitaires et le heurt de civilisations. Fernand Braudel nous a enseigné la part de la langue dans la construction de notre identité.
Et il y aura en 2050, 300 millions d’hommes et de femmes qui parlent français. Nous souhaitons qu’il y en ait davantage encore. Tous les Francophones sont de cultures, de continents différents et, pourtant, ils ne s’opposent pourtant pas. Et c’est en cela que la Francophonie peut devenir modèle d’un nouvel équilibre mondial. Parce que quatre siècles après Champlain, face aux enjeux internationaux, la France et le Québec se retrouvent. Et le 400e ne doit pas être seulement une commémoration, mais un nouvel élan pour le siècle qui vient.
Or je sais aussi que pour certaines élites, en France, promptes à épouser les conformismes dominants, la francophonie serait dépassée, hors de la modernité. Quel contresens ! Je crois, moi, à la modernité de cet espace affinitaire dessiné par le partage d’une langue et la volonté de la défendre, de la promouvoir, dans le concert du monde. Je crois même que notre commune défense de la francophonie préfigure les combats de demain pour une « mondialité » (comme le dit si bien Édouard Glissant) riche de sa diversité linguistique et culturelle, respectueuse de toutes les identités. Le français est, avec l’anglais, la seule langue parlée sur tous les continents : que de fenêtres ouvertes sur le monde ! La langue n’est pas qu’un vernis ou une marchandise, elle est ce qui porte et structure la pensée. Et au risque de vous surprendre, je vous dirais que la monoculture appauvrit la pensée comme elle appauvrit les sols. Et c’est pourquoi je crois qu’il y a un lien d’ailleurs très direct entre le combat culturel et le combat environnemental, c’est-à-dire entre la diversité culturelle et la biodiversité, toutes les deux étant en quelque sorte des sciences du vivant. Antonine Maillet raconte que, jusqu’à Rabelais, la langue française avait un lexique de 100 000 mots. Brutalement, avec Racine, on est tombé à 5 000 mots, où sont passés les autres ? Elle répond au Québec et aux Antilles. Et j’ajoute d’ailleurs en Afrique. Et Antonine Maillet a dit ceci merveilleusement, au fond ces mots qui sont partis ils sont aussi souvent revenus et ils ont enluminé la langue française.
Vous avez, vous, l’ardeur et la lucidité qui, parfois, font défaut chez ceux qui n’ont pas eu à défendre leur langue et leur culture. Vous avez, avant nous, pris des mesures dont, ensuite, nous nous sommes inspirés pour garantir à la radio des quotas de chansons en langue française, par exemple. Et nous partageons cette forte conviction que la culture ne peut se réduire à une marchandise comme les autres, pas plus que la langue, qu’elle justifie un soutien clairvoyant et tenace des pouvoirs publics si l’on ne veut pas du règne sans partage des produits standardisés et de la loi commerciale du plus fort. La vitalité culturelle québécoise et canadienne, et le talent reconnu à l’échelle internationale d’un grand nombre de vos artistes, les réussites de vos industries culturelles témoignent que cette approche est la bonne et que le volontarisme a des résultats et que le monde y gagne en talents qui ont pu éclore et trouver leurs publics.
Des talents comme celui de Robert Lepage, qui m’a conduit dans La Caserne, ou comme celui des nombreux artistes québécois que je rencontrerai ce soir. Et le talent des chercheurs, des scientifiques, des enseignants et des étudiants qui sont aujourd’hui devant moi.
C’est en 1986 que naît la francophonie institutionnelle avec le premier sommet tenu à Paris. Mais, ne l’oublions jamais, c’est la déclaration de Bamako qui fonde, en 2000, la dimension vraiment politique de la francophonie. C’est-à-dire le passage de la défense de la langue à la défense des cultures, à la défense des droits de l’homme, à la défense des solidarités, à celle du développement durable, à la lutte contre la pauvreté et à la lutte contre les écarts entre le Nord et le Sud, et tout se tient dans le combat pour la diversité, pour l’égalité et pour la fraternité.
Une nouvelle étape est à réussir ici en octobre 2008, lors du Sommet de la Francophonie, pour qu’il n’en sorte pas que des discours, mais qu’on y intègre bien les étapes anciennes et les nouvelles qui sont à franchir. C’est une échéance capitale. C’est un des rares endroits où il y a encore un dialogue Nord-Sud. Étape capitale pour développer, pour communiquer, pour inventer, et pour tout faire pour protéger la planète parce que c’est une condition de la paix. Et très rarement, même pratiquement pas, lors des précédents Sommets de la Francophonie, la question environnementale n’a pas été abordée et je pense qu’il est temps de le faire. Chacun en est responsable à son niveau – au niveau global, au niveau local – et moi je rejoins les deux préoccupations et c’est pourquoi aussi en tant que Présidente de la région Poitou-Charentes, j’ai signé hier, à Montmagny, des accords de partenariat sur les éco-industries. Et si chaque territoire fait cet effort, si chaque citoyen fait cet effort et se sent citoyen du monde, alors à ce moment-là, c’est le domaine de prédilection où les comportements individuels, les comportements collectifs, les responsabilités politiques, l’engagement des territoires, rejoint l’épopée à laquelle on nous appelle pour protéger la planète pour les générations futures.
On le voit bien, dans ce domaine, l’égalité démocratique, l’égalité sociale et l’égalité culturelle : ces trois fronts sont aujourd’hui indissociables. Car le paradoxe bien connu maintenant de la mondialisation, c’est qu’en abolissant les distances physiques et en généralisant la concurrence de tous contre tous dans un univers où tout se sait, où tout se voit, où tout se compare, c’est mondialisation révèle – au sens quasi photographique – et parfois avive les distances et les différences culturelles. Comme l’analyse très bien Dominique Wolton, la société de l’information n’est pas nécessairement une société de communication, de compréhension et de respect mutuel. Il y a du chemin à faire pour que l’information soit synonyme de ces trois valeurs. La capacité à communiquer, c’est-à-dire à comprendre l’autre, donc la compréhension, le deuxième pilier et le troisième, le respect mutuel. Entre le rêve illusoire du village global et la désolation des confrontations et des incompréhensions, il y a place pour l’utopie concrète, celle que nous devons construire ensemble. L’utopie réaliste d’une pluralité juste et d’une solidarité vraie.
Dans ce contexte, une langue partagée sous toutes les latitudes, c’est une ressource extraordinairement positive. La solidarité linguistique francophone, j’en suis convaincu, est un facteur de réassurance dans un monde qui bouge de plus en plus vite et dans lequel les citoyens ont besoin de repères. Notre commune identité francophone n’est pas une identité refuge, n’est pas un repli, c’est une identité ouverte, rationnelle. C’est une affinité qui n’exclut pas. Tenir à sa langue, ce n’est pas s’opposer aux autres, c’est se respecter soi-même et, sachant ce que l’on veut pour soi, le vouloir également pour les autres. Défendre le français, ce n’est pas seulement l’affaire des pays où il est langue première ou officielle, mais de tous ceux où on l’aime, où on le parle aux côtés d’autres langues car notre francophonie n’est pas ennemie du plurilinguisme, mais au contraire attentive à tous les « passeports pour l’autre ».
Le XXe siècle s’apparente à un cimetière des langues : 6 000 langues ont disparu en un siècle. Beaucoup d’autres sont aujourd’hui menacées. Or une langue, comme l’a si bien dit François Cheng, écrivain français d’origine chinoise, ce n’est pas qu’un ensemble de mots et de règles de grammaire, c’est une manière de sentir, de percevoir, « de raisonner et de déraisonner et, finalement, d’être.
Les langues portent des imaginaires et le monde a besoin de tous ses imaginaires. Youssou N’Dour, qui est venu récemment pour le Festival Musiques métis à Angoulême, a dit une fois que « la francophonie peut être comparée à une grande famille dont tous les membres ne se ressemblent pas vraiment ». C’est tellement vrai : la francophonie est multiple, multicolore, du nord au sud, de l’est et de l’ouest. Vivante, mais pas uniforme, c’est sa force et c’est son message au reste du monde. Louise Beaudoin, qui s’est tant battue pour la francophonie, a souvent souligné cela.
Albert Camus disait : « j’ai une patrie, c’est la langue française ». Les milliers de professeurs qui l’enseignent de par le monde, insuffisamment nombreux, il faudrait les renforcer, en sont les passeurs et les militants sans lesquels aucune construction institutionnelle ne reposerait sur des bases solides. Ils en transmettent le goût, ils en ouvrent les portes, ils sont les fantassins de ce lien francophone que partagent aujourd’hui plus de 63 pays.
Il nous faut créer, et je souhaite, je le redis ici solennellement, que le sommet francophone d’octobre 2008 à Québec débouche sur des actions concrètes. Par exemple :
* une université francophone avec des antennes dans les grandes capitales de la francophonie, du nord au sud et d’est en ouest ;
* un Érasme francophone qui faciliterait entre nos pays la circulation des étudiants ;

* que les grandes entreprises francophones mondialisées soient sensibilisées non seulement aux enjeux, mais aux atouts compétitifs d’une francophonie assumée ;

* et enfin la définition d’un contrat politique commun, du nord au sud et d’est en ouest, pour protéger l’environnement et les cultures, c’est-à-dire l’avenir tout simplement du vivant.
Quelques raisons de ma venue au Québec
Je l’ai dit : le 400e doit être l’occasion de forger un nouvel élan pour le siècle. C’est pourquoi aussi j’ai voulu porter un regard sur ce qui est particulièrement réussi ici et j’ai voulu, et c’est la première fois qu’une délégation française aborde ce sujet, renforcer les liens sur l’économie sociale et solidaire. Et le Conseil Régional Poitou-Charentes, que je préside et dont je salue ici les élus, dans son schéma régional de développement économique reconnaît et donne sa place à l’économie sociale. La délégation qui vient au Québec est là aussi pour construire et pour renforcer des liens entre le Chantier de l’économie sociale et la Chambre d’économie sociale pour une coopération durable.
L’économie sociale et solidaire est au tournant de son histoire : elle est présente dans le monde, mais n’est pas suffisamment organisée, d’un pays à l’autre, d’un continent à l’autre.
Nos sociétés modernes veulent placer la démocratie au cœur des pratiques politiques, face à une économie dominante qui, si elle n’est pas maîtrisée, fonctionne sur un rapport de force qui impose aux êtres humains une organisation financière dont la seule finalité est l’argent et des consommations de plus en plus inégalement réparties et qui épuisent les ressources naturelles sans permettre l’accès aux biens publics que sont l’Éducation et la Santé.
Nous devons tout faire pour faire émerger cette nouvelle forme d’économie sociale et solidaire qui est à l’opposé des conflits pour l’appropriation individuelle des richesses. C’est un autre modèle qui cohabite bien évidemment dans l’économie de marché, mais qui surtout à comme préoccupation une juste répartition de ces résultats et la défense de l’intérêt général. Cette économie sociale, qui puise ses racines sur la coopération, dans la mutualisation, comme le fait la société Desjardins que je visiterai demain. L’économie sociale est née en France il y a plus de 150 ans. Elle repose sur une organisation démocratique et solidaire, elle offre une alternative pour agir en économie autrement.
Elle n’oppose pas « l’efficacité économique » et le « social », car son objectif, c’est d’abord la satisfaction des attentes collectives du plus grand nombre et elle va de pair avec le développement du commerce équitable. Et je suis heureuse qu’avec ma délégation, nous puissions en rencontrant les organisations syndicales approfondir ce sujet.
Sur un autre plan, je voudrais vous dire ici, vous le savez, que je suis partisane d’une relation équilibrée entre l’Europe et les États-Unis, où l’amitié n’exclut pas la franchise, la liberté de jugement et, le cas échéant, les désaccords. Le Canada anglophone et le Québec ont l’expérience d’un voisinage au long cours sans inféodation. C’est là un sujet sur lequel les échanges entre nous me paraissent extrêmement fructueux. La vision de votre premier Ministre, Monsieur Jean Charest, que je rencontrais hier, pour que se nouent des accords entre l’Europe et le Canada, je la partage pleinement. Cela fait partie d’une stratégie cohérente avec la nécessaire organisation multipolaire du monde. Nous avons les mêmes défis à relever pour ouvrir nos pays sur le siècle qui vient. Nous devons intensifier tous les modes de création, d’imagination, intensifier la recherche, la capacité des esprits formés depuis l’enfance pour nous donner enfin le moyen de maîtriser les secrets de la matière dont nous nous servirons pour élever la condition de l’homme. Nous avons besoin de moderniser nos appareils productifs, à rendre nos économies plus compétitives, tout en assurant le progrès social de chaque salarié et de chaque travailleur. Nous avons un puissant intérêt à développer davantage nos échanges. Sans doute, c’est évident, l’orientation principale et naturelle de ces échanges se fait-elle, pour le Canada, davantage vers les États-Unis d’Amérique, et, pour nous-mêmes, vers nos voisins de la Communauté européenne ; mais partant d’un niveau justement modeste, nous pouvons faire, entre nous, beaucoup plus et beaucoup mieux et, en particulier, grâce aux coopérations décentralisées que j’évoquais tout à l’heure. À l’échange entre les entreprises, à l’échange entre les jeunes et aux coopérations du domaine de la recherche, des savoirs et de l’économie de l’intelligence. Nous devons nous unir pour tracer des perspectives d’avenir dans ce monde multipolaire.
En particulier d’ailleurs au moment où les organismes de ce qu’on appelle, parfois un peu abusivement, en se payant avec des mots, « la gouvernance mondiale » – parce qu’elle n’est pas vraiment là cette gouvernance mondiale – elle reste totalement à construire, donc tous ces organismes qui peinent à trouver un second souffle, à s’ouvrir aux préoccupations du sud et aux puissances émergentes, à un moment où ils doivent trouver une légitimité et une efficacité en phase avec le monde d’aujourd’hui, ses attentes, ses rapports de forces et ses risques inédits. Dans ce domaine, j’y reviens, parce que le sujet est crucial, dans la lutte contre le réchauffement climatique, dans cette lutte, le monde a besoin du Canada, directement touché par la fonte de la banquise et engagé dans la « bataille de l’Arctique » qui s’annonce. Je sais que le Canada et la France n’ont pas encore fait le même choix face au protocole de Kyoto mais, depuis, la prise de conscience écologique s’est partout renforcée et je sais que nous allons tous aller de l’avant. Pour moi qui attache une importance prioritaire à l’excellence et à la sécurité environnementales, ce voyage au Québec est aussi une occasion d’évoquer ces questions et de voir, sur place, des réalisations éco-industrielles exemplaires et de rencontrer, tout à l’heure, les associations de défense de l’environnement.
Enfin, et ça n’est pas le moins important, les questions aujourd’hui en débat au Québec autour de ce qu’on y appelle « les accommodements raisonnables » me paraissent essentielles. Elles interpellent chacun à l’échelle de toutes les nations. Comment assumer la pluralité des origines pour fortifier l’appartenance commune ? Comment lutter efficacement contre les discriminations ? Quels droits et quels devoirs pour les individus et les groupes ? Quelle laïcité ? Comment construire une histoire partagée, quel respect pour les religions, bref, quelle histoire accueillante à toutes les mémoires et toutes les trajectoires, qui soit un point d’appui pour se projeter ensemble vers l’avenir et qui nous unit plutôt que de nous diviser ?
Ce sont des questions fondamentales que se posent aujourd’hui toutes les nations, toutes les sociétés. Et les vagues migratoires, notamment celles qui sont issues de la pauvreté, trouveront aussi leur solution grâce à un développement plus équitable entre le Nord et le Sud, mais la soif croissante de reconnaissance des individus et les effets de la mondialisation nous poussent à réfléchir et à actualiser les valeurs communes et les règles de vie.
L’expérience ici est particulièrement intéressante, car elle est à la fois une réussite pour être reconnue dans un environnement différent, les reconnaissances sont là sans heurter le besoin d’unité et le respect des valeurs fondatrices comme l’égalité entre les hommes et les femmes. Nos approches et nos outils ne sont pas forcément les mêmes, mais nos interrogations sont très voisines et je pense que les échanges sur nos expériences respectives peuvent être très fructueux. J’ajoute que, convaincue que nous devons actualiser un « modèle social » français qui cherche à mieux tenir ses promesses dans le monde d’aujourd’hui, je suis curieuse de voir aussi comment, ici, on cherche aussi un nouvel équilibre entre le rôle de l’État et celui du marché, entre les adaptations nécessaires et les protections solidaires, auxquelles vous êtes fortement arrimées, comme l’accès à l’éducation et à la santé et sur lesquelles il ne faut pas en rabattre. À cet égard, j’attends beaucoup de la rencontre de demain avec le Conseil consultatif du travail et de la main-d’œuvre, et la présentation du Fonds de solidarité des travailleurs. Il me semble en effet que nous avons en commun une culture qui refuse l’effacement de la puissance publique et qui croit au pouvoir de la volonté politique pour corriger le désordre des choses en appui sur l’écoute des citoyens et sur la Démocratie participative. C’est, par exemple ici, comme je l’ai dit tout à l’heure, qu’ont été le plus efficacement défendues, les identités culturelles, à la radio et à la télévision où il reste beaucoup à faire. Je crois aussi que ces mesures de protection et de promotion ont favorisé l’éclosion des talents et n’est pas étrangère au vif succès des artistes sur la scène internationale. Mais je vois que dans tous les domaines que nous venons d’évoquer, il y a une convergence un volontarisme, pour agir, et un pragmatisme, c’est-à-dire le souci des résultats, dont la tradition française est peut-être moins familière, mais qui est pourtant, à mes yeux, une condition de l’efficacité des politiques publiques.
En matière de sécurité, par exemple, de prévention de la délinquance et de la récidive, et en particulier de la criminalité sexuelle, il y a aussi ici des expériences et des résultats, comme celles menées par l’Institut Robert Giffard que j’ai visité hier, qui font la preuve de leur efficacité, car elles ont les moyens de leurs objectifs et se gardent de ce populisme pénal qui, jamais, n’obtient les résultats promis. Et la France serait bien inspirée d’installer des instituts Giffard auprès de tous les centres pénitentiaires. Dynamisation économique, protection contre les dérives de la financiarisation, création d’emplois : sur tous ces sujets aussi, je suis très intéressée par vos démarches et vos réalisations.
Comme vous le voyez, l’amitié enracinée dans l’histoire, la curiosité personnelle, le travail de toute mon équipe ici rassemblée, les combats partagés et les questionnements communs sont à l’origine d’un voyage dont j’avais depuis longtemps le projet et dont je prends aujourd’hui le temps avec grand plaisir. Et en plus, je vais vous faire une confidence : je crois que c’est en ouvrant toutes grandes ses portes et ses fenêtres sur l’expérience et l’intelligence des autres, de vous, que la gauche française renouera avec son temps et formulera, à sa manière, une proposition politique en phase avec les attentes actuelles des Français et en prise avec les mutations de notre monde.
C’est pourquoi je me déplace voir ceux qui m’invitent à le faire, comme ici. J’observe. J’écoute. Je continue à m’instruire. Je regarde ce qui marche et j’en tire des leçons pour la France. Et je réalise concrètement des projets très concrets de création d’emploi, comme je l’ai fait en signant un certain nombre de conventions avec des entreprises d’ici. Finissons avec cette belle phrase de Gilles Vigneault : La francophonie c’est un vaste pays sans frontières. J’ajouterais aussi comme disait Boutros Boutros Ghali elle est née d’un désir ressenti hors de France. Je reviens à Gilles Vigneault : La francophonie, c’est un vaste pays sans frontière, c’est le pays de l’intérieur, c’est le pays de l’invisible, spirituel, mental, moral, qui est en chacun de nous.
Merci aujourd’hui de me l’avoir fait partager avec autant d’intensité.


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé