Ségolène Royal : "quelques raisons de ma venue au Québec"

Ségolène Royal en visite au Québec - septembre 2007

1ère raison : Dans la Région que je préside, le 400ème anniversaire de la fondation de Québec a un retentissement particulier car il s’inscrit dans une histoire au long cours :
* parce que Champlain était saintongeais, né à Brouage en Charente-Maritime ;

* parce que beaucoup d’habitants de ma région ont jadis émigré au Québec (et aussi en Acadie) : dans les mémoires familiales et l’histoire des territoires, ce lien transatlantique perdure ;

* parce que la Région Poitou-Charentes est aujourd’hui engagée dans des actions communes et des partenariats avec le Québec auxquels j’attache beaucoup de prix (sujets ?).

Cela suffirait au plaisir que je prends à cette visite et aux rencontres dont elle sera l’occasion.
Mais d’autres raisons poussent aussi la responsable politique nationale que je suis à m’intéresser de près à ce laboratoire de la modernité, imaginatif et pragmatique, qu’est aujourd’hui le Québec.
2ème raison : Notre engagement conjoint dans la francophonie, notre conviction commune que la défendre et la promouvoir, c’est contribuer activement au respect de la diversité des cultures dans une mondialisation qui peut être, selon ce que nous en ferons, une chance riche de nouveaux possibles ou un risque majeur d’uniformisation marchande et d’accentuation des inégalités, toutes choses qui alimenteront les replis apeurés et haineux, les fondamentalismes réactifs et, au bout du compte, les insécurités planétaires.
Cet apport de l’expérience francophone dans un monde globalisé, que le Québec incarne si bien, j’y vois une chance pour civiliser la mondialisation.
Les Québécois savent, eux, ce que défendre une langue, une culture, une histoire, une identité veut dire, pour soi donc aussi pour les autres et en relation avec les autres.
Certaines élites adeptes des conformismes dominants ne voient pas la modernité du message francophone et cette promesse d’avenir contenue dans notre obstination à faire vivre et respecter la langue que nous avons en partage.
J’y vois, moi, les prémisses d’une nouvelle cohabitation planétaire.
3ème raison : Je suis, vous le savez, partisane d’une relation équilibrée entre l’Europe et les Etats-Unis, où l’amitié n’exclue pas la franchise, la liberté de jugement et, le cas échéant, les désaccords. Le Canada anglophone et le Québec ont l’expérience d’un voisinage au long cours sans inféodation. C’est là un sujet sur lequel les échanges entre nous me paraissent utiles et nécessaires.
En particulier au moment où les organismes de ce qu’on appelle, hélas un peu abusivement, « la gouvernance mondiale » peinent à trouver un second souffle, à s’ouvrir aux préoccupations du sud et aux nouvelles puissances émergentes, à un moment où ils doivent trouver une légitimité et une efficacité en phase avec le monde d’aujourd’hui, ses attentes, ses rapports de forces et ses risques inédits.
4ème raison : Dans la lutte contre le réchauffement climatique, le monde a besoin du Canada, directement touché par la fonte de la banquise et engagé dans la « bataille de l’Arctique » qui s’annonce. Je sais que le Canada et la France n’ont pas fait le même choix face au protocole de Kyoto mais, depuis, la prise de conscience écologique s’est partout renforcée. Pour moi qui attache une importance prioritaire à l’excellence et à la sécurité environnementales, ce voyage au Québec est aussi une occasion d’évoquer ces questions et de voir, sur place, des réalisations éco-industrielles exemplaires (comme cette entreprise de construction de maisons à ossature bois que je visiterai à Montmagny).
5ème raison : Enfin, et ça n’est pas le moins important, les questions aujourd’hui en débat au Québec autour de ce qu’on y appelle « les accommodements raisonnables » me paraissent essentielles. Comment assumer la pluralité des origines pour fortifier l’appartenance commune ? Comment lutter efficacement contre les discriminations ? Quels droits et quels devoirs pour les individus et les groupes ? Quelle laïcité ? Comment construire une histoire partagée, accueillante à toutes les mémoires et toutes les trajectoires, qui soit un point d’appui pour se projeter ensemble vers l’avenir ?
Ce sont des questions que se posent toutes les nations, toutes les sociétés que les vagues migratoires, la soif croissante de reconnaissance des individus et les effets de la mondialisation poussent à actualiser leurs valeurs communes et leurs règles de vie.
L’expérience québécoise est particulièrement intéressante car elle est à la fois lutte opiniâtre pour être reconnu dans un environnement majoritairement anglophone et volonté reconnaître toutes les composantes actuelles du Québec. Nos approches et nos outils ne sont pas forcément les mêmes mais nos interrogations sont très voisines et je crois que la confrontation de nos expériences respectives peut être très fructueuse.
6ème raison : J’ajoute que, convaincue que nous devons actualiser un « modèle social » français qui tient mal ses promesses dans le monde d’aujourd’hui, je suis curieuse de voir comment, au Québec, on cherche aussi un nouvel équilibre entre le rôle de l’Etat et celui du marché, entre les adaptations nécessaires et les protections solidaires.
Il me semble que nous avons en commun une culture qui refuse l’effacement de la puissance publique et croit au pouvoir de la volonté politique pour corriger le désordre des choses. C’est, par exemple, le Québec qui, bien avant la France, a mis en place des quotas de chansons en langue française à la radio, mesure de protection et de promotion qui a favorisé l’éclosion des talents et n’est pas étrangère au vif succès des artistes québécois sur la scène internationale. Mais il me semble aussi que ce volontarisme fait bon ménage avec un pragmatisme dont la tradition française est moins familière et qui est pourtant, à mes yeux, une condition de l’efficacité des politiques publiques.
En matière de sécurité, de prévention de la délinquance et de la récidive, en particulier des délinquants sexuels, il y a au Québec des expériences qui font la preuve de leur efficacité car elles ont les moyens de leurs objectifs et se gardent de ce populisme pénal qui, jamais, n’obtient les résultats promis.
Dynamisation économique, protection contre les dérives de la financiarisation, création d’emplois : sur ces sujets aussi, je suis très intéressée par la démarche et les réalisations québécoises.
***
Comme vous le voyez, l’amitié enracinée dans l’histoire, la curiosité personnelle, les combats partagés et les questionnements communs sont à l’origine d’un voyage dont j’avais depuis longtemps le projet et dont je prends aujourd’hui le temps avec grand plaisir.
Je vais vous faire une confidence : c’est en ouvrant toutes grandes ses portes et ses fenêtres sur l’expérience des autres que la gauche française renouera avec son temps et formulera, à sa manière, une proposition politique en phase avec les attentes actuelles des Français et en prise avec les mutations de notre monde. C’est à cela que je m’emploie.
J’étais il y a quelques jours en Italie et j’y ai vu un bel exemple de démocratie participative associant largement les citoyens au choix des dirigeants et candidats de la gauche.
Je voyage. J’observe. J’écoute. Je regarde ce qui marche et ce qui ne marche pas. Et j’en tire des leçons pour la France.


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