Quelle peut être étonnante, cette obsession compulsive d'Ottawa à vouloir imposer une agence unique de réglementation des valeurs mobilières au Canada. Cette mauvaise foi du fédéral est d'autant plus irritante que le modèle centralisé de référence, soit la Securities and Exchange Commission (SEC) aux États-Unis, est particulièrement mis à mal avec ces crises et ces scandales à répétition.
La conclusion du groupe d'experts favorisant l'émergence d'une agence unique de réglementation en valeurs mobilières n'a rien de surprenant. Elle était plutôt inscrite dans la mission même de ce groupe présidé par Tom Hockin, qui consistait à conseiller Ottawa dans sa démarche vers l'établissement d'une agence pancanadienne. L'exercice s'inscrit dans cet entêtement d'Ottawa et des acteurs de Bay Street à vouloir imposer la formule du guichet unique centré à Toronto sans jamais parvenir à démontrer la supériorité de la centralisation sur l'harmonisation décentralisée.
Les modèles centralisés du type américain ou britannique n'ont pourtant rien démontré en matière d'efficacité. L'actuelle crise financière, le scandale Madoff, les malversations comptables du début de 2000, l'action tardive de la SEC pour stopper la spéculation déstabilisatrice... L'histoire récente nous enseigne que la façon d'organiser la réglementation a moins d'importance que la réglementation elle-même.
Cette affirmation vient de l'OCDE qui, en 2006, classait le Canada parmi les meilleurs pays du monde au chapitre de l'efficacité réglementaire et de la réglementation favorable au développement du secteur financier. Cette belle note était accordée à un régime décentralisé dans le respect des compétences de chacun, mais harmonisé autour d'un régime de passeport et de la création des Autorités canadiennes en valeurs mobilières. Elle concluait une vaste étude comparative qui plaçait la réglementation canadienne en tête des pays industrialisés.
Peu avant, un comité également mandaté pour promouvoir le concept d'agence unique reconnaissait que le régime de passeport était «une mesure importante» qui méritait qu'«on lui permette de réaliser tout son potentiel». Cette affirmation est venue d'un comité présidé par Purdy Crawford et mandaté, cette fois, par le gouvernement ontarien. Tout en appuyant l'agence pancanadienne, ce comité allait tout de même jusqu'à recommander à l'Ontario d'adhérer au système de passeport. Toujours peu avant, l'ex-président de la Bourse de Toronto, jusque-là grand défenseur d'une concentration des pouvoirs réglementaires à Toronto, allait dans le même sens et reconnaissait certains mérites au système actuel.
Même constat, plus récent, du Fonds monétaire international, qui a longtemps invité le Canada à se doter d'une agence unique, par souci de prétendus coûts réglementaires moindres. Il y a un an, le FMI n'a eu d'autre choix que de reconnaître des bienfaits à l'harmonisation pratiquée ici. Quant à cette question de coûts, les professeurs de l'Université Laval Jean-Marc Suret et Cécile Carpentier ont démontré, deux fois plutôt qu'une, qu'un système centralisé serait moins efficace et plus coûteux au Canada.
Mieux, selon leurs rapports en deux volets, faisant plus de 250 pages, produits pour l'Autorité des marchés financiers, «le coût du capital-actions est, au Canada, l'un des plus faibles au monde». Par rapport aux États-Unis, le coût direct serait inférieur, et de loin, pour les émissions de petite taille -- le Canada est largement un marché de petites et de très petites capitalisations, ont souligné les auteurs -- et similaire pour une émission d'envergure. Sans compter le traitement des dossiers, qui serait plus rapide ici.
Puis, dans le cadre des audiences du groupe d'experts présidé par Tom Hockin, la Banque du Canada s'est tout au plus avancée à faire allusion à une certaine simplicité découlant d'un encadrement centralisé. Mais sans prendre position, l'institution a tout de même reconnu un aspect novateur à l'approche législative québécoise.
Elle citait notamment la Loi sur les instruments dérivés, adoptée l'an dernier par Québec, «qui inspire des pratiques exemplaires en matière de surveillance des transactions portant sur les produits dérivés». La Loi sur la distribution des produits et services financiers, qui a inspiré l'avènement, sous la forme de l'Autorité des marchés financiers, d'un guichet réglementaire unique coiffant un marché financier décloisonné, a également attiré son lot d'éloges. C'est également le cas du durcissement des peines en matière de contravention à la Loi sur les valeurs mobilières, avec amendes plus lourdes et peine d'emprisonnement en vertu du Code pénal québécois.
D'ailleurs, sur ce point, la ministre des Finances, Monique Jérôme-Forget, ne rate pas une occasion d'inviter son homologue fédéral à plutôt s'efforcer, à l'intérieur de ses champs de compétence, de s'assurer d'une plus grande efficacité en matière de lutte contre les crimes économiques, notamment dans la répression des fraudes en valeurs mobilières.
Voilà le véritable enjeu.
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