«Nous voulons notre propre pays»: au Canada, les séparatistes de l’Ouest s’organisent

1541b5bb92def82b7841cdd3fe4ce678

Ce n'est qu'une question économique qui agace l'Ouest


Dans l’Ouest canadien, le mouvement sécessionniste est en expansion depuis la réélection de Trudeau en octobre 2019. Le parti «Wexit Canada» a même officiellement été créé. L’État fédéral est toujours accusé de nuire à l’industrie pétrolière et d’être financièrement inéquitable. Une menace imminente? Sputnik fait le point.




D’aucuns croyaient qu’il s’agissait d’un feu de paille, mais le projet d’indépendance des provinces de l’Ouest canadien semble ne pas vouloir s’éteindre...


Le 10 janvier dernier, un parti prônant l’indépendance de quatre provinces de l’Ouest s’est même vu officiellement autorisé par «Élection Canada», organisme chargé de la conduite des scrutins au pays de l’érable. Baptisé «Wexit Canada», le parti vise à séparer le Manitoba, la Saskatchewan, l’Alberta et la Colombie-Britannique du Canada. Selon ses organisateurs, le parti présentera des candidats dans ces quatre provinces aux prochaines élections fédérales.


«Nous voulons faire savoir aux politiciens que nous en avons assez. Nous ne sommes pas à la recherche d’un accord juste [avec le gouvernement fédéral, ndlr]: nous voulons notre propre pays», a déclaré le 11 janvier le chef du parti, Peter Downing, lors d’une manifestation en faveur de l’indépendance de l’Alberta, à Edmonton.

Si le projet semblait utopique à ses débuts en octobre 2019, il le semble déjà moins aujourd’hui. Peter Downing répète que son mouvement ne se contentera pas de négocier une meilleure entente entre les provinces de l’Ouest et Ottawa. Un projet auquel s’accroche le Premier ministre conservateur de l’Alberta, Jason Kenney. Ce dernier recueillait auparavant l’appui de presque tous les Albertains déçus par la fédération, mais il commence à être critiqué par d’anciens alliés, décidés à aller plus loin. Ancien ministre fédéral conservateur (2013-2015), Jason Kenney n’a jamais prôné l’indépendance de l’Alberta ni des autres provinces de l’Ouest.


«Nous ne voulons pas être gouvernés par l’Est du Canada. Nous ne voulons pas être gouvernés par Ottawa», renchérissait Peter Downing lors de la même manifestation.

Un sondage publié en juillet 2019 indiquait que 25% des Albertains étaient en faveur de l’indépendance complète de leur province. Menée par l’institut de sondages Abacus, l’étude concluait que seulement 71% des Albertains considéraient leur appartenance au Canada comme positive. Mené par la firme Angus Reid, un autre sondage publié le 15 janvier dernier révèle que 71% des Albertains, 61% des Saskatchewanais et 46% des Manitobains sont insatisfaits «de la manière dont les choses se passent au Canada aujourd’hui».


Le sentiment d’aliénation est profond


La plupart des séparatistes de l’Ouest estiment avoir été floués par le Parti libéral de Justin Trudeau, vu comme une formation représentant uniquement les intérêts des provinces de l’Est. Au sein du mouvement, les tendances progressistes du gouvernement actuel sont aussi dénoncées:


«Le gouvernement libéral de Justin Trudeau a mis en œuvre de nombreuses lois et réglementations durant son premier mandat. Ces lois et règlements ont été établis pour entraîner l’Occident dans [...] la pauvreté extrême et la dépendance vis-à-vis du gouvernement. Ces mesures ont été élaborées sous le couvert de “l’environnementalisme”, du “post-nationalisme” et du “progressisme”. [...] Des centaines de milliers d’emplois ont été perdus grâce aux politiques libérales», peut-on lire à la première page du programme du parti Wexit Canada.

Justin Trudeau est accusé de nuire à l’industrie pétrolière des sables bitumineux, dont dépend en grande partie l’économie de l’Alberta et de la Saskatchewan. Les Premiers ministres albertain et saskatchewanais réclament la construction d’oléoducs pour acheminer le pétrole de l’ouest vers l’est, afin qu’il soit exporté à l’international via l’océan Atlantique. Justin Trudeau a fermé la porte à ce projet, dans un contexte marqué par une grande prise de conscience environnementale.





Contre toute attente, lors de la formation de son dernier Conseil des ministres, Trudeau a choisi de nommer le célèbre écologiste Steven Guilbeault au ministère du Patrimoine et non de l’Environnement. Selon plusieurs observateurs, la nomination de M. Guilbeault à l’Environnement aurait été perçue comme une provocation dans l’Ouest. L’écologiste a en effet plusieurs fois pris position contre l’exploitation des sables bitumineux.


«Nous devons créer un blocus pour mettre fin à l’influence de l’Est, cette partie du pays opposée à la liberté économique, à la stabilité sociale et à l’autodétermination des provinces de l’Ouest. La seule façon d’y parvenir est de procéder à une séparation pacifique. Le tracé de nouvelles frontières permettra à l’Ouest de développer ses ressources naturelles, son économie et sa culture sans ingérence de l’Est du Canada», est-il aussi écrit dans le programme du nouveau parti.

Le système de péréquation représente également une grande source de frustration, pour les Albertains et les Saskatchewanais en particulier. Redistribuant les recettes fédérales à travers tout le Canada, ce système profite surtout au Québec, l’une des moins riches provinces du pays. Les Premiers ministres de l’Alberta et de Saskatchewan ont déjà fait savoir qu’ils souhaitaient revoir complètement le fonctionnement de ce système.


Pour tenter de trouver une solution à cette nouvelle crise, Justin Trudeau a nommé Chrystia Freeland, ex-ministre des Affaires étrangères et nouveau vice-Premier ministre, au poste de ministre des Affaires intergouvernementales. Saura-t-elle apaiser les tensions? Pour ce faire, elle devra avoir plus de succès qu’avec la Chine, l’Arabie saoudite, l’Inde ou la Russie, pays avec lesquels Ottawa a entretenu des relations difficiles sous son mandat aux Affaires étrangères.