Nous ne sommes pas faits pour l'indépendance de notre pays

L'ambivalence et l'indécision des Québécois nous tuent...



«Je me suis voulu d'un pays qu'on ne voulait pas», disait Pierre Perrault, à la fin de sa vie. Ce «on ne voulait pas» ne renvoie pas à nos leaders souverainistes. Ça nous arrange de leur renvoyer la balle. Ça nous évite de nous regarder en face. C'est nous, le peuple québécois dans sa majorité, qui ne voulons pas l'indépendance de notre pays.
On n'en finit pas de célébrer René Lévesque. On lui donne le nom de nos rues et de nos boulevards, on le cite à tout propos, on lui fabrique des reportages et on le met en scène dans nos téléséries. On l'aime parce qu'il est l'expression de nous-mêmes. À un journaliste qui lui demandait comment il aimerait être perçu par les générations futures, il avait répondu: «comme un reflet du Québec». Comme le Québec qui n'arrive pas à se brancher, qui veut à la fois et en même temps l'indépendance du Québec et la dépendance du Canada, qui se fait rouler à Ottawa par les Anglos et qui s'enthousiasme pour «le beau risque» fédéraliste de Mulroney.
On a aimé Lucien Bouchard, on l'a sacré sauveur charismatique de notre peuple en perdition. Il a bien failli nous avoir. On a été jusqu'à dire que s'il avait laissé son autre jambe dans la course, sous le coup de l'émotion nationale, il aurait pu réussir. On l'a échappé de justesse.
On n'aimait pas Parizeau. On le tenait pour un snob, un bourgeois, un riche. Pourquoi? Parce qu'il était trop indépendant pour nous, il nous avait devancé bien au-delà de nous-mêmes. Il était un authentique souverainiste. Il avait déjà conçu, préparé, presque aménagé, notre pays indépendant. Il nous a foutu la frousse.
Il faut se rendre à l'évidence: nous ne sommes pas faits pour l'indépendance. Nous ne sommes pas honnêtes quand nous accusons les fédéralistes. Puisque nous sommes incapables de nous rendre maîtres de notre butin, il est de bonne guerre qu'on mette la main dessus, petit à petit et morceau par morceau. On nous a piqué notre nom de Canadiens en nous laissant le nom de Canadiens français que nous n'aimons plus.
On nous a piqué notre hymne national et on vient de nous piquer notre date de naissance, comme l'écrit [Yves Beauchemin (Le Devoir, le 20 main dernier)->13503]. Il ne faudra pas se surprendre s'ils nous piquent notre fête nationale quand ils célèbreront la fête du Canada, le premier juillet prochain.
Et pendant tout ce temps-là, notre langue perd des plumes et se traîne de peine et de misère. Cependant que nos intellectuels théoriciens font le bilan de nos déconfitures et s'arrachent les cheveux en essayant de nous définir. Certains, comme Fernand Dumont, voient notre planche de salut dans l'assimilation des immigrants; d'autres, comme Gérard Bouchard, imaginent une métamorphose de notre pauvre race canadienne-française par la transfusion immigrante; d'autres encore, comme Jocelyn Létourneau, s'échinent à démontrer que nous sommes des petits malins comme le renard, que nous sommes devenus des spécialistes du traficotage, depuis les temps anciens où nous courrions les bois avec les Indiens, et que les indépendantistes pure laine ne sont que des hérissons qui foncent en avant comme des bêtes.
Pauvres de nous! Nous n'avons plus rien d'autre à faire que de déchirer notre chemise au sein de notre Assemblée dite nationale et à la chefferie de notre étonnant Bloc québécois. Tant il est vrai que l'esclave, de temps en temps, se met à secouer ses chaînes pour en vérifier la solidité.
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Paul Warren
Ex-professeur de cinéma


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