La parlure du cinéma québécois

Le français — la dynamique du déclin



Les films que réalisent nos jeunes cinéastes, les Villeneuve, Bélanger, Dolan, Huard, Bigras, Falardeau, parlent le langage québécois de tous les jours. Ils parlent la parlure des spectateurs de la salle, sacres inclus. Ce qui donne aux acteurs et aux actrices de notre cinéma un comportement d'une vraisemblance parfaite.
Quand la parole est bien chevillée au corps, le jeu est intégré, le geste vient naturellement et le regard se fixe correctement: «C'est ç'que j'tai dit, astie!», répond Alexis Martin, dans Route 132. «Tabarnak!», crie la propriétaire du motel, dans Curling. «Ta yeule, chrisse», lâche Anne Dorval au directeur du cégep dans J'ai tué ma mère. Et la salle est en symbiose avec l'écran. Le spectateur est ramené à sa québécitude profonde. Il sait qu'il agirait comme ça dans les mêmes circonstances.
«Avec le jeu intégré de l'acteur, disait Lee Strasberg, le créateur de l'Actors Studio, le cinéma hollywoodien a acquis, définitivement, deux choses: il est devenu véritablement américain et son pouvoir de fascination sur les spectateurs s'est fait prédominant et incontestable.» Strasberg a enseigné à James Dean, Marilyn Monroe, Sidney Poitier, Elizabeth Taylor, Dustin Hoffman, Jane Fonda, Marlon Brando, Al Pacino, Robert De Niro, Sylvester Stallone. Il leur citait la fameuse phrase du poète grec Pindare: «Deviens ce que tu es.» Il leur répétait, à satiété, qu'il n'était plus besoin d'être endimanché en grande star pour être agréé de la salle obscure, qu'il fallait seulement être soi-même, avec son style propre et son bon vieux slang américain de tous les jours.
Le hic, c'est que le Québec et sa parlure n'ont rien à voir avec les États-Unis d'Amérique et la culture hégémonique d'Hollywood. Une culture qui est reconnue, parce que les Américains ont eu le courage de se séparer de l'Angleterre et de proclamer leur indépendance. Les grandes stars américaines dominent le monde depuis un siècle, à même leur gestuelle, leur mimique et leur anglais américain populaire. «Frankly, my dear, I don't give a damn», disait Clark Gable, dans Gone With the Wind, il y a plus de 70 ans, une petite phrase en argot américain dont on se souvient encore aujourd'hui un peu partout dans le monde.
À part quelques individus de la petite communauté pure lainage vieillissante du Québec, il n'y a pas grand monde qui prendrait plaisir à répéter la petite phrase de notre vedette de chez nous, Anne Dorval: «Ta yeule, chrisse!» En tout cas, ce ne sont pas nos immigrants, de quelque origine que ce soit, qui se la mettraient en bouche. Il sont bien trop malins pour ne pas se rendre compte que notre joual québécois est un cul-de-sac et que c'est l'anglais qui est la clé de leur réussite.
Je me dis parfois que si on avait le courage de donner corps à ce mot «nation» que l'anglophone Harper nous a jeté, un jour, de sa table, comme un os à ronger, on se donnerait le droit d'être entendus parmi les nations unies du monde. Alors, que je me dis, on cesserait de s'enfermer dans la parlure joualée et sans avenir de nos petites vedettes de chez nous, les vedettes de nos films, de notre théâtre, de notre humour qui se dégrade et qui descend lamentablement en bas de la ceinture...
On ouvrirait notre langue. On sentirait le devoir de la parler correctement pour qu'elle soit prise en bouche par nos immigrants et écoutée parmi les nations.
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Paul Warren - Auteur du Secret du star-system américain


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