Nos fromages bien nommés

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Les fromages québécois ont souvent des noms fantaisistes, alors que leurs équivalents français reprennent généralement des noms de lieux. (Le Soleil, Erick Labbé)

Annie Morin - Les Québécois ont peut-être appris à faire de bons fromages artisanaux en regardant travailler leurs cousins français, mais quand est venu le temps de baptiser leurs meules, ils ont lâché leur fou et réinventé la roue.


Marcia Gendron vient de terminer son mémoire de maîtrise en linguistique à l’Université Laval. Il s’agit d’une étude lexicologique et lexicographique de 100 appellations de fromages français et québécois.
Déjà intriguée par eux, la jeune femme est carrément tombée sous le charme des noms de fromages du Québec. «Ils sont recherchés, créatifs, fantaisistes, affriolants», dit-elle, l’œil pétillant, précisant que les noms à l’étude ont été choisis au hasard et non selon ses préférences.
Première constatation : le Québec n’a toujours pas rompu avec son passé religieux, mais les fromagers posent sur lui un regard drôle et tendre. À preuve les noms Diable aux vaches, Ange cornu, Doux péché ou Capri… cieux. «Ça m’a un peu surprise», admet Mme Gendron.
Plusieurs appellations réfèrent également à l’histoire de la province ou d’une région en particulier. Ainsi en est-il de Coureur des bois, Peau rouge, Petit Champlain et Sir Laurier d’Arthabaska, où a vécu le premier ministre canadien Wilfrid Laurier (1896-1911).
D’autres noms donnent sans détour le type de fromage. Les plus terre à terre sont composés d’un générique et du nom du transformateur. C’est le cheddar Perron, l’havarti Cayer ou le brie Damafro. D’autres fromageries y font référence d’une façon toute poétique. Par exemple, le Ciel de Charlevoix et le Soupçon de bleu cachent une pâte persillée.
Les fromagers inventent parfois des mots-valises, nés de la contraction de deux ou plusieurs mots, un peu à l’image des noms de fermes composés des patronymes de leurs propriétaires. C’est le cas du Grubec, un gruyère du Québec, ou de la bûche de fromage de chèvre Buchevrette.
De leur côté, les Français baptisent souvent leurs fromages du nom de l’endroit où ils sont fabriqués ou se servent de celui-ci comme complément. Les Beaufort, Chèvre d’Ambert, Cantal, Pavé d’Auge et même brie et camembert évoquent tous des lieux. C’est le propre d’un pays qui a une longue histoire gastronomique et qui gère des centaines d’appellations contrôlées. Mme Gendron fait remarquer que les noms français les plus originaux sont accolés à des fromages industriels qui les utilisent comme marque de commerce. Pensons à la Vache qui rit ou au Caprice des dieux.
Nom complémentaire
Au Québec, la région ou la ville de fabrication se veut davantage un complément au nom, comme le Migneron de Charlevoix, le Vacherin de Châteauguay ou le Cantonnier de Warwick. «On n’a pas de tradition fromagère séculaire ici», explique la linguiste.
Les favoris de Mme Gendron — qui ne cause pas de goût, mais de nom toujours — sont ceux qui ont plusieurs niveaux de signification. Le Duo du Paradis, par exemple. Le duo réfère aux deux sortes de lait (vache et chèvre) entrant dans la composition du fromage. Le mot paradis, qui a tout de suite une connotation religieuse, témoigne en réalité du nom de famille de la fromagère. À l’oreille, on pourrait également conclure qu’il s’agit du fromage du haut du paradis. Un triple sens planant, que nous avons découvert lors de l’entrevue.
Marcia Gendron travaillait derrière un comptoir de fromages quand elle s’est rendu compte que les Français y allaient pour un nom de lieu alors que les Québécois faisaient preuve de plus d’imagination. Son expérience de travail ne lui a pas permis de conclure à la prédominance du nom sur le goût pour conclure de bonnes ventes. Mais pour attirer l’attention, nul doute que ça aide. «On est de plus en plus bec fin au Québec», dit la jeune femme.
S’il est un souhait que Marcia Gendron ose formuler, c’est que les fromages québécois se retrouvent un jour dans le dictionnaire. «Mais ça ne sera jamais fait à la légère parce que le mot doit être intégré dans l’usage et la culture.»
Actuellement, seul l’oka a réussi ce tour de force. Son nom figure dans deux dictionnaires québécois et il a fait une percée dans le Petit Larousse, où il est comparé à son ancêtre français, le Port-du-Salut. En France, de nombreux fromages sont devenus des génériques : brie, camembert, roquefort…
Même chose en Italie (parmesan, provolone, mascarpone, etc.) et dans une moindre mesure en Suisse (gruyère), en Hollande (havarti) et même en Grande-Bretagne, d’où est originaire le cheddar.
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