Je rencontre Chafiik à L'Express. En attendant la sortie d'un album prévu à la fin 2008, son groupe Loco Locass vient de faire paraître la pièce M'accrocher?, que l'on retrouve sur la bande sonore de l'excellent film Tout est parfait. Discussion sur l'engagement politique des artistes avec l'un des coauteurs de Libérez-nous des libéraux (celui qui a milité pour Amir Khadir).
Marc Cassivi: Je voulais te parler de l'engagement politique des artistes, parce que c'est quelque chose qui se fait plus rare, il me semble. Crois-tu que les artistes devraient en faire davantage?
Chafiik: Les artistes ont toujours été le miroir de la société. En même temps, c'est une roue qui tourne. Il y a une toile de Rembrandt qui illustre bien le phénomène. Elle représente l'artiste, qui influence le penseur, qui influence le politicien, qui lui influence la société, qui elle influence l'artiste.
M.C.: Mais est-ce que les artistes jouent assez leur rôle dans cette roue qui tourne?
C.: L'engagement ne peut pas être forcé. Il n'y a rien de pire qu'une mauvaise chanson engagée. C'est pire qu'une mauvaise chanson d'amour. C'est ridicule, c'est maladroit, ça fait «sixième année». Le piège est là. Je peux comprendre que les gens l'évitent.
M.C.: Je sais que vous êtes proches des Cowboys fringants, mais c'est quelque chose que je leur reproche. Leur dernier disque manquait beaucoup d'humour. C'était très prêchi-prêcha.
C.: Jean-François Pauzé est le premier à dire que, dans le fond, il doit revenir à ce qu'il fait de mieux: raconter des histoires. J'ai adoré Break syndical. C'est l'album de l'équilibre entre un engagement sérieux et des chansons très drôles. La grand-messe, sans être un mauvais album, avait des défauts.
M.C.: Certains sont engagés dans leur oeuvre, leurs chansons, leurs livres. Votre engagement souverainiste transcende vos chansons.
C.: On a une certaine cohérence dans notre engagement. Mais on ne refuserait jamais de jouer à la fête du Canada. Notre engagement est dans nos chansons, mais il y a aussi tout ce qu'on peut dire entre les chansons. Ce serait un grand fantasme.
M.C.: D'avoir cette tribune-là?
C.: Oui. À un moment donné, c'est intéressant de confronter ses idées à ceux qui pensent le contraire.
M.C.: Il n'y a pas un danger de tomber dans le manichéisme lorsqu'on écrit des chansons sur son engagement politique?
C.: On ne nous l'a jamais vraiment reproché. Sauf peut-être quelques ennemis de la souveraineté, qui nous détestent et qui prétendent que nous sommes à la solde du PQ. C'est faux. Certains nous ont accusé d'être opportunistes en surfant sur la vague anti-Charest. On a écrit Libérez-nous des libéraux bien avant la vague.
M.C.: Mais on vous a reproché une certaine rigidité dans votre discours. Considérez-vous que vous êtes ouverts aux idées des autres?
C.: Nous faisons partie d'une nouvelle génération qui n'a aucune animosité envers les Anglais. On n'est pas contre les Anglais, même si ça peut-être été la motivation de départ des années 1800. En 2008, ce n'est plus ça. Nous sommes des intellectuels qui réfléchissent à ce qui est le mieux pour tout le monde. On ne veut pas briser le Canada. On veut construire quelque chose de fort et continuer d'être en relation avec le Canada. On dit qu'on est hargneux, mais c'est faux. On peut expliquer de manière très posée pourquoi on veut se séparer. On n'est sans doute pas les seuls à penser comme ça. De tout petits peuples ont leur propre pays. On nous considère comme un sous-peuple. On nous refuse notre pays. C'est hyper insultant.
M.C.: On se le refuse nous-mêmes.
C.: C'est un long travail de sape, qui dure depuis des centaines d'années. C'est difficile de se sortir d'une situation d'opprimé. C'est comme les Noirs américains, qui sont issus de l'esclavage. Comment se sortir d'un tel traumatisme? Au Québec aussi, on essaie de nous faire croire qu'on est moins bons que les autres.
M.C.: Ça prend des discours plus radicaux?
C.: Si on peut qualifier Pierre Falardeau de radical. Les gens oublient de penser au passé. C'est en regardant notre histoire, et l'histoire du monde, qu'on se rend compte de la pertinence de se séparer. Un gars comme Falardeau est nécessaire pour dire que notre peuple dépérit, qu'il rapetisse, qu'il perd du pouvoir. Doute-t-on encore que la langue joue un rôle de premier plan d'un point de vue géopolitique? Une culture, c'est une manière de penser, c'est un angle de vision sur la réalité. Moi, je veux 360 degrés de vision. Je veux que les Chinois aient leur angle, les Botswanais, les Québécois et les Hollandais aussi.
M.C.: Mais dans une perspective de «marche vers la souveraineté», pour emprunter une expression au PQ, je trouve que des discours plus radicaux font peur à des gens qui seraient convaincus autrement.
C.: Si tous les souverainistes étaient comme ça, je serais d'accord. Mais sans eux, ce ne serait qu'un débat d'idées. Il faut que l'idée soit incarnée par un feu qui brûle, sinon elle ne vaut rien. Les plus radicaux représentent ce feu sacré d'un peuple qui refuse de s'éteindre. Même nous, les plus modérés, ça nous fait réfléchir.
M.C.: J'ai été profondément troublé par la déclaration de Parizeau en 1995. J'en connais qui ont mis une croix sur la souveraineté à cause de ça. Tu as réagi comment?
C.: Je me suis dit qu'en politique, on ne pouvait plus rien dire. C'était un très mauvais discours d'un point de vue stratégique. Il n'y a aucun doute là-dessus. Mais le scandale, ce n'est pas le vote ethnique. On peut comprendre les immigrants de ne pas soutenir la souveraineté. Le scandale, c'est l'argent. Il y a des gens qui ont triché et qui ont profité du fait qu'ils étaient plus riches pour gagner le vote. On l'a vu avec le scandale des commandites.
M.C.: Ce qui m'a surtout choqué dans le discours de Parizeau, ce n'est pas l'argent et les votes ethniques, c'est le 60 % de ce que «nous» sommes... Aujourd'hui, on ose ramener le «nous». C'est à n'y rien comprendre.
C.: Pourquoi? Si le Québec était une macédoine: 10 % d'Africains, 10 % de Chinois, 10 % de je ne sais quoi, il n'y aurait aucune raison de dire ça. Mais la souveraineté, ce n'est pas un projet économique, c'est un projet culturel. Il existe un certain «nous». Ce «nous» est totalement inclusif. Il inclut ma mère (l'écrivaine Abla Farhoud), qui est née au Liban. Il inclut mon grand-père qui ne parle même pas français mais qui a voté «Oui».
M.C.: Le «nous» de Parizeau n'était pas un «nous» inclusif. Il n'y a pas de «nous» plus exclusif.
C.: Parizeau, ce n'est pas le chef de l'univers. Si on décroche de la souveraineté juste pour ça, c'est une réaction de niaiseux. La souveraineté, ce n'est pas l'histoire d'un gars. C'est l'histoire de 7 millions de gens.
Illustration Francis Léveillée
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