La guerre que livre le droit anglais à la civilisation

Nos constitutionnalistes font-ils partie du dispositif de domination colonial ?

Pour une lutte constitutionnelle intégrale

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Chronique de Gilles Verrier

Le petit livre de Frédéric Bastien [1] (1) est écrit dans une langue accessible et claire. Il a de bonnes pages sur la suite interminable des petites trahisons du PQ, qu'il illustre par des exemples bien choisis. Il fait ensuite la chronique des options considérées par Jean-François Lisée pour établir sa stratégie dans la foulée des élections d'octobre 2018. Bastien raconte avoir travaillé bénévolement pendant deux ans pour alimenter le chef en propositions. De concert avec quelques « experts », il pressera vainement Lisée de donner du tonus à son offre électorale par l'addition de revendications constitutionnelles. De mon point de vue, le livre ré-affirme une vérité et rappelle une évidence. La vérité : une grande ambition, comme celle de donner un statut d'égalité politique à la nation fondatrice du Canada, que ce soit par l'indépendance ou une autre formule qui en respecte le principe, ne peut être menée au succès par une organisation libérale, sans doctrine et sans persévérance. L'évidence : des revendications constitutionnelles ciblées, d'une portée limitée, valent mieux qu'un programme dépourvu de toute ambition nationale. On pourrait croire que cela va de soi... Mais au sein du « grand parti souverainiste » rien n'est simple.


L'auteur propose donc des modifications constitutionnelles qu'il prend la peine de formuler minutieusement en termes juridiques (pp. 160-162). On reste cependant sur notre faim quand on constate que les demandes constitutionnelles, malgré les assurances contraires de l'auteur, donnent toutes les apparences de s'arrêter aux portes du régime. Qu'elles soient formulées pour accommoder le Québec sans trop modifier le fonctionnement du Canada ne serait d'ailleurs rien de neuf. L'auteur reste d'ailleurs évasif sur les moyens de bâtir un vrai rapport de force, il évoque des « messages forts » capables  « d'influencer les juges », etc. On se gardera de trop y croire. La relance de la souveraineté est condamnée par sa timidité si elle continue de se contenter de demandes d'amendements à la pièce, sans perspective globale sur notre emprisonnement constitutionnel.



Au terme de la lecture, j'ai ressenti un vague sentiment de déjà vu. Certes, les personnages et les événements sont nouveaux. Pour sortir de la dernière actualité, ils n'en continuent pas moins de mettre en scène, dans l'arène d'une retenue politique trop prévisible, les mêmes recettes d'une opposition « contrôlée » au régime. Dans un coin, on voit défiler un chef mené par les sondages, des exécutifs de comté sans ambition, un conformisme moulé sur les exigences de la rectitude politique, comme la parité homme-femme et le refus de parler d'immigration (p.177). Je cite : « le paradigme du multiculturalisme canadien fait des ravages au sein même du parti...» (p.178). Dans l'autre coin, des revendications constitutionnelles bien ficelées, réclamées avec plus de détermination. Or, dans le portrait généralement peu reluisant que brosse lui-même Frédéric Bastien, la « refondation » qu'il appelle de ses voeux apparaît déjà elle-même trop corsetée.


Pour en venir au coeur de mon propos, qui n'est pas le livre de Bastien, il me faut revenir sur un des passages où, parlant de son livre précédent Bastien écrit : « La bataille de Londres [son livre], ...rappelle qu'avec une simple demande d'archives lors de la parution de mon livre on a mis Ottawa et les fédéralistes sur la défensive pendant plusieurs semaines.» (p.144) Cette affaire de magouille fédérale au sommet, documentée grâce à ses recherches de huit ans, a l'insigne mérite de contredire l'idée malheureusement trop répandue que les injustices du passé ne méritent pas d'être combattues. Le cas de La Bataille de Londres nous rappelle aussi, hélas, qu'un dossier à charge, rigoureusement constitué sur le Canada britannique, n'a jamais été réalisé après plus de cinquante ans d'existence du Parti québécois, sans compter ses années passées au pouvoir. Faut croire que c'était sans importance ! Mais à quoi s'affairaient donc nos constitutionnalistes toutes ces années ? On peut imaginer que plusieurs n'auront rempli que les mandats (formulés par des technocrates ? comme Claude Morin ?) pour lesquels ils étaient payés. Et la boucle est bouclée.


L'existence du Parti québécois, malgré son option souverainisme, n'a pas été l'occasion d'un renouvellement de la pensée constitutionnelle du Canada-français-Québec. Ceci même si les deux questions référendaires conduisaient à rien d'autre qu'à des négociations de cet ordre. Ceci, même si René Lévesque et Claude Morin avaient l'obligation d'être préparés lors des négociations de 1981, ils ne l'étaient pas. Tout ce temps, le Parti québécois aura continué de coller à une approche constitutionnelle dégriffée, tournée vers les revendications ponctuelles, limitées aux champs de compétences et au partage de l'assiette fiscale. Sans être inutile, c'était et c'est toujours très insuffisant pour servir de fondement à une cause d'envergure. Une cause qui ne sortira jamais de la velléité et des insuccès sans que l'on se mette au devoir de fonder dans son bon droit notre existence nationale. Il faudrait donc écrire non seulement la bataille de Londres, mais toutes les batailles depuis la conquête (et le génocide acadien) dans les termes d'un réquisitoire à charge, non comme des livres d'histoire, mais dans des termes juridiques, dans les termes d'un plaidoyer qui ne déroge pas cependant de la rigueur historique. Si on veut plaider notre cause constitutionnelle, il faut le faire intégralement, soit dévaster de fond en comble la légitimité historique et juridique du Canada. Tous les matériaux sont là, mais ils n'ont jamais été réunis pour constituer cette arme absolue. Nous avons un devoir de vérité envers nous-mêmes que le néo-nationalisme québécois n'a jamais voulu assumer. Au contraire, il s'est affairé à dénationaliser notre combat. C'est pourquoi il s'est condamné à une perpétuelle errance entre la social-démocratie, le progressisme, le provincialisme et autres facéties de détournement. Cela peut sembler sévère mais faute de reprendre le fil du récit national sous forme d'un réquisitoire constitutionnel implacable, sans monter au créneau pour en dénouer la conclusion, il y a peu de chances que le Québec francophone, comme on aime le dire pour ne pas sortir le Canadien-français du placard, survive encore longtemps.


Sur quelle base du droit faut-il plaider notre cause ?


D'abord, pour précision, je ne suis ni avocat ni constitutionnaliste, mais à l'heure où les citoyens pourraient être convoqués pour écrire leur constitution, il n'est pas inutile que le citoyen se mêle de droit. Des personnes mieux qualifiés pourraient naturellement contester ou corriger ce que j'avance, je leur donnerai raison, mais l'importance de la question mérite que d'autres que des juristes et des politiciens s'y intéressent.


La tradition constitutionnelle du Canada est basée sur le Common Law. Mais fallait-il que la défense de nos droits ne s'abreuve qu'à cette source ? En quelque part, le droit anglo-saxon fait partie du dispositif de domination. C'était peut-être un réflexe d'insécurité de la part de nos élites (politiques, juridiques...) de penser que pour être bien combattu, le droit anglais devait être combattu dans ses propres termes ? En accord avec Me Christian Néron, qui en a convaincu plusieurs, l'argument ne me paraît pas valable. Les instruments du droit ne sont pas neutres, ils ont une importance considérable sur la perspective et les résultats. L'indépendantisme le moindrement sérieux aurait toujours voulu qu'on se prépare à plaider notre cause auprès d'instances internationales. La constitution canadienne n'interdit pas, à ma connaissance, que l'on en réfère à d'autres sources du droit, toute contestation intégrale de la constitution devrait être universelle et, par coséquent, faire éclater les limites internes du droit anglais.


Claude Morin et l'école constitutionnelle traditionnelle


Cette école est celle de pratiquement tous nos constitutionnalistes. 


Sans être lui-même avocat ni constitutionnalise, Claude Morin a été le principal conseiller constitutionnel des premiers ministres du Québec pendant vingt ans, commençant sa carrière avec Jean Lesage en 1963, pour finir chef constitutionnel de René Lévesque. Il aura sans doute été un homme influent, peut-être le plus influent, pour façonner et fixer une tradition constitutionnelle dans le régime et compatible avec lui. Il est possiblement celui qui a le plus contribué à assurer la poursuite d'une tradition constitutionnelle prisonnière du droit anglo-saxon. Son approche constitutionnelle a toujours été restrictive, limitée, une approche qui ne mettait jamais en cause la légitimité du régime et le ménageait. C'est une approche qui s'interdit d'interroger le passé, de le convoquer à la barre, de le faire témoigner. Pour Valérie Bugault, « La common law anglaise est un système juridique dont les règles sont principalement édictées par les tribunaux au fur et à mesure des décisions individuelles ». C'est donc un système de droit qui fait sa glace en patinant, un système dans lequel les injustices d'hier peuvent facilement devenir la loi d'aujourd'hui, la « nouvelle » justice !



Ce que dit Valérie Bugauld [2]


Docteur en droit, ancienne avocate fiscaliste, analyste de géopolitique juridique et économique, Mme Bugauld dénonce vertement le droit anglais dans un sens qui dépasse largement la question proprement canadienne, mais ce qu'elle a à nous dire ouvre les portes d'un arsenal inexploré. La portée de son travail n'est pas le Canada en particulier, mais elle ouvre les yeux sur l'importance générale de ne pas se soumettre au common law. Elle qualifiera cette exigence comme un devoir envers la poursuite de la civilisation :


« ...ces décisions, ne concernaient, à l’origine, que les seigneurs c’est-à-dire la caste dominante. Si l’on parle du droit anglais, il faut aussi parler du système de « l’Equity » selon lequel le « prince », c’est-à-dire au début le Roi puis le Chancelier, se sont accordés le droit de juger en fonction de préceptes moraux les cas qui n’étaient pas abordés par la « common law ». Les principes de « l’Equity » ainsi conçu ne méconnaissent pas la « common law », ils s’y adaptent. »


Tout cet arsenal juridique anglo-saxon a pris une ampleur considérable en même temps que se développait le commerce maritime, lequel commerce a toujours été contrôlé par les banquiers commerçants qui ont leur quartier général à la City de Londres.


« Ce qui est resté constant est que le système juridique anglais est essentiellement conçu par et pour la caste dominante : les tenanciers du système économique, essentiellement les banquiers ont, à partir de la période des Grandes Découvertes, succédé aux seigneurs qui régnaient par les armes. »


« Alors que le droit anglais est un droit édicté par et pour les tenanciers du commerce international, le droit continental traditionnel est un droit de régulation fait pour organiser la « vie de la Cité ». Ce droit continental, actuellement en voie d’extinction, répondait à des règles strictes conçues autour de la personne humaine comprise comme une partie d’un tout formé par la collectivité. » 


Le droit anglais fait d'une injustice passée un droit nouveau, qu'il veut rendre incontestable. Comme le dit Bugauld, le droit continental est au service de la collectivité et non au service d'une classe de puissants. Si nous examinons comment la cour suprême a été formée au Canada, nous voyons comment une injustice, un geste illégitime, est transformé pour devenir le « plus haut tribunal du pays », dont, apparemment, il est impossible de contrer la légitimité même si ce tribunal s'est approprié subrepticement la fonction d'un tribunal constitutionnel


« La supériorité du droit continental sur le droit anglo-saxon provient non seulement de son expérience historique mais aussi et surtout de sa vocation : il est globalement, contrairement au droit anglo-saxon, mis au service de la collectivité et non à celui de quelques élites auto-proclamées, qui ont usurpé leur pouvoir par des moyens déloyaux en organisant leur anonymat. »


Ce que dit Néron 


Dans ses nombreuses chroniques, sur la conquête [3] et la Confédération [4], et la Cour suprême [5] Me Christian Néron, constitutionnaliste et historien du droit, ne manque pas d'opposer régulièrement deux écoles de droit. Il souligne sans relâche que le maintien de nos revendications dans la logique du droit anglo-saxon a réduit considérablement nos arguments constitutionnels.


Il faut défendre la cause nationale avec les meilleurs moyens juridiques, tels que le droit naturel classique et le droit international coutumier, sans avoir besoin d'écarter le common law en principe. C'est avec une telle proposition que nous pourrions arrimer de manière irréfutable la revendication d'égalité politique avec les causes et les injustices historiques qui en sont à la base.


Que serait un vrai plaidoyer constitutionnel (quelques jalons)


(Ce que Lévesque et Morin ont manqué de dire en pleine face à Trudeau lors des négociations constitutionnelles de 1981)


1 - Le génocide acadien


2 - La conquête 


Un acte de piraterie.


3 - La Confédération 


La Confédération (AANB) a été votée par une majorité de députés canadiens français qui étaient d'abord opposés au projet. On réussira graduellement à convaincre avec le débat parlementaire sur la Confédération, en 1865. Le revirement s'est fait grâce à la promesse d'un gouvernement fédéral décentralisé, ce qui faisait miroiter une ère nouvelle d'égalité entre « les descendants des vainqueurs et les descendants des vaincus », selon les termes de George Brown, figure politique la plus engagée derrière le projet d'union.


Le vote libre et majoritaire des députés canadiens-français sur la nouvelle constitution contredit ceux qui multiplient leurs appels à une constituante au sein du Québec en affirmant faussement que les parlementaires du Canada Est (Bas Canada) n'ont jamais eu l'occasion de se prononcer sur une constitution. Me Christian Néron, constitutionnalise et historien des institutions, revient dans un article détaillé sur les circonstances de l'adhésion des Canadiens-français à la nouvelle constitution. Il nous apprend aussi que les promesses alléchantes ont été faites de mauvaise foi et réitérées dans le seul but de duper les Canadiens-français pour obtenir leur vote, considéré alors comme une condition essentielle à la réalisation du projet. Or, des promesses faites dans des circonstances aussi officielles ne peuvent être prises à la légère, ignorées par le droit, ou oubliées par les générations futures. Les mauvaises intentions qu'elles cachaient ne peuvent annuler l'obligation de les respecter aujourd'hui. Le Canada anglais doit en prendre acte. 


4 - La Cour suprême


Les décennies qui suivirent la Confédération sont marquées par plusieurs gestes unilatéraux qui concourent à l'édification hâtive d'un gouvernement fédéral centralisé, contrairement à l'esprit des débats de 1865. La création de la cour suprême, en 1875, une  « Cour constitutionnelle » crée par un simple vote du parlement, sans l'intervention des provinces-colonies qui venaient de donner naissance au Canada, est probablement le geste le plus osé, le plus arbitraire et le plus méprisant envers le Québec. Il contrevient à tout l'esprit des négociations de 1865. La légitimité de cette cour se trouve donc minée dès sa création. Dommage que cela n'a pas été rappelé à Pierre-Elliot Trudeau, 116 ans plus tard, alors que se tenait de nouvelles négociations constitutionnelles à Ottawa avec au Québec un gouvernement souverainiste qui venait d'être élu avec une majorité historique ! Par conséquent, il faut se préparer à défendre notre cause auprès d'instances internationales, la cour suprême n'ayant pas les qualités pour se prononcer sur tout ce qui concerne les deux nations, comme le livre La bataille de Londres, pour prendre cet exemple, l'a encore montré. 


5 - La répression des métis


6 - La répression de l'enseignement du français


7 - La division des Canadiens-français par les politiques de bilinguisme 


8 - Le coup de force de 1982


Au terme de cette réflexion, je suis convaincu que le Canada britannique, ne se relèverait pas d'une offensive constitutionnelle intégrale, qui refuserait la camisole de force du common law. Il faudrait largement puiser dans d'autres sources du droit moderne, soit le droit continental traditionnel auquel réfère Mme Bugault, que Me Néron appelle, lui, le droit naturel classique qui devient le droit international coutumier.


Notre combat est un peu comme celui d'Alexandre Soltjenytsine qui a eu l'audace de ré-écrire l'histoire d'un trait, et non de réclamer des corrections à la pièce. Il a eu l'audace de partir des résultats des injustices sur les victimes. Alexandre Soljenytsine a fragilisé l'URSS, il a fragilisé le régime en rétablissant la vérité. Nous avons le devoir de rétablir la vérité dans le cadre d'un réquisitoire constitutionnel. Nous étions une majorité, nous sommes devenus une minorité dont le pouvoir est en perpétuelle régression. La question est simple, qui et comment a été organisé notre effacement graduel de cette terre ?


 




Références




  1. ^ BASTIEN, Frédéric, Après le naufrage Refonder le Parti québécois, Boréal, 2019, 223 pages

  2. ^ Valérie Bugault en entrevue - droit anglais à partir de 11:30 https://youtu.be/HKXTbTzzi9M

  3. ^ La Conquête https://vigile.quebec/articles/une-horde-de-60-000-pirates-a-l-assaut-du-canada

  4. ^ La Confédération https://vigile.quebec/articles/la-confederation-selon-george-brown-et-le-viol-de-1982

  5. ^ 5 - La cour suprême https://vigile.quebec/articles/cette-cour-supreme-qui-ne-devait-jamais-le-devenir



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Gilles Verrier140 articles

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Entrepreneur à la retraite, intellectuel à force de curiosité et autodidacte. Je tiens de mon père un intérêt précoce pour les affaires publiques. Partenaire de Vigile avec Bernard Frappier pour initier à contre-courant la relance d'un souverainisme ambitieux, peu après le référendum de 1995. On peut communiquer avec moi et commenter mon blogue : http://gilles-verrier.blogspot.ca





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7 commentaires

  • Éric F. Bouchard Répondre

    14 juin 2019

    Par son dernier commentaire, Gilles Verrier touche une fois de plus en plein dans le mille. Mais personne ne réagit. Remettre en question le néonationalisme –la québécitude– semble tout bêtement inconcevable pour les Vigiliens. Pourtant, les lois statutaires qui fondent la québécitude sont claires et nettes : l’État du Québec sert un peuple formé de francophones et d’anglophones. De ces deux communautés, l’anglophone reste la plus prestigieuse et la plus puissante. Depuis 50 ans, Québec n’y aura rien changé. Bien au contraire en fait, puisque cette position se sera consolidée à un point tel qu’aujourd’hui elle paraît naturelle à une majorité de francophones largement acculturés. Que des « nationalistes » puissent encore, face à ce constat, vouloir renforcer le Québec, relève soit d’une mystification, soit d’une affabulation.


  • Gilles Verrier Répondre

    9 juin 2019

    Je réponds ici à quelques commentaires. 



    L'expression pourra surprendre mais l'État du Québec n'est pas notre ami. Il s'emploie à aménager le rapport de force entre les deux nations du Québec, à arbitrer leur cohabitation dans la continuité historique. L'État du Québec nous conduit à la minorisation démographique qui, selon des études sérieuses, pourrait se produire aussi tôt qu'en 2035.  Selon les tendances actuelles, nous sommes condamnés à rejoindre les Canadiens-français des autres provinces et les Acadiens avec à peine quelques décennies de retard. Le plan du deuxième Canada, le Canada britannique, est en voie de réalisation.



    Dans plusieurs de mes textes précédents, qu'on peut trouver dans Vigile, j'ai analysé l'imposture du Parti québécois, un parti qui après avoir suscité beaucoup d'espoirs a perdu presque tous ses appuis. Je ne reviendrai pas ici sur une stratégie perdante, scellée sans retour dès le congrès du PQ de 1974. Je vais plutôt démontrer par d'autres exemples en quoi l'État du Québec n'est pas notre ami.  La "québécitude", qu'on peut aussi appeler le néo-nationalisme québécois issu de la révolution tranquille, a consisté à faire silence sur la survivance de rapports coloniaux inégalitaires au sein de la société québécoise. C'est donc un concept fondamental à saisir pour la reprise en main de notre destinée.



    De manière générale, l'imposition d'une démocratie libérale, qui n'est déjà plus la démocratie, a été un catalyseur de cette tendance. Par la démocratie libérale, il faut comprendre que les élections ne sont plus destinées à changer, voir même à influer de façon notable sur le cours de l'histoire. Si la démocratie libérale encourage certes les électeurs à se choisir des représentants, le pouvoir de ces derniers est encadré dans une gouvernance qui ne parvient pas à mettre en application des changements même mineurs réclamés par la population. Le pouvoir des élus est réduit le plus souvent à une intendance, marquée par la continuité entre des gouvernements qui se passent la main.


    C'est l'expansion des valeurs libérales, de concert avec l'abandon de toute référence à la dimension coloniale de notre combat national, qui ont permis à un Bernard Landry d'affirmer au nom du PQ, que les Québécois doivent se définir comme tous les habitants du Québec. Par cette formule, le néo-nationalisme rejette le caractère bi-national et inégalitaire du Québec. 



    Pour conséquence, la fin de toute évocation des survivances du colonialisme a offert un prétexte à la gauche radicale et à la gauche social-démocrate pour ranger dans un camp d' "identitaires" tous ceux qui ne se ralliaient pas à un nouveau nationalisme étatique, tâchant de les isoler et de les priver de crédibilité. 



    En matière de dénationalisation, par son indifférence face à une inégalité nationale inscrite dans une loi organique, la loi 99 (2000), la SSJB est passée à la défense de la nation de "tous les Québécois" de Bernard Landry et des autres. Le combat "national" s'est dilué dans un combat entre deux États qui partagent les mêmes valeurs : libéralisme, multiculturalisme, immigrationnisme, définition de la nation à partir de l'appartenance à l'État.



    Il appert que la loi 99 (2000) est considérée par plusieurs comme le socle d'une future constitution. Mais son préambule contient un énoncé foncièrement inégalitaire qui restreint l'interprétation qu'on peut faire du corps de la loi. Il ne faut donc pas se laisser duper par son titre : Loi sur les prérogatives de l'État et du peuple québécois, piège dans lequel est tombé la SSJB, Maxime Laporte en tête, faisant passer le combat de la vénérable institution dans le camp de la rivalité de deux États, Québec Vs Canada. Comme les autres, la SSJB est passée de la défense de la patrie historique, raison de sa fondation, à la défense des "prérogatives d'un État" inégalitaire envers ses deux nations, État qui nie par ailleurs leur existence. 



    Il est important pour tous les patriotes de réaliser que la Loi 99 enchâsse des privilèges coloniaux en faisant de la "communauté anglophone" une communauté d'exception, qui est la seule à se voir attribuer des "droits consacrés." J'estime que les intérêts de la nation passent par l'abrogation de la loi 99 ou, à tout le moins, par la ré-écriture de ses considérants dans un esprit de stricte égalité des nations et des individus, avec toutes les conséquences économiques et distributives que cela implique. 



    Entre temps, la loi 99 fait obstacle au Mouvement Québec français et aux volontés francophones en général, à tous ceux qui osent encore remettre en cause le sur-financement des institutions anglophones en santé et en éducation. Car, en quoi consistent donc les "droits consacrés" des anglophones sinon leur permettre de profiter éternellement d'un système d'éducation, d'enseignement supérieur et de santé largement sur-financé par rapport à leur taille démographique, si on se fie aux pratiques mises en place par les autres provinces canadiennes eu égard au financement de leur minorité de langue officielle. A Québec, l'avenir du français ne pourra être assuré que par le renversement des tendances lourdes qui conduisent à une minorisation de la nation historique canadienne-française, que d'autres appellent "Québécois francophones", mais quelle différence ? Notre avenir se trouve dans la fin d'une injustice qui n'a jamais cessé. L'égalité des nations, l'équité des dépenses de l'État pour chacune des nations, est la clé de notre survie nationale aujourd'hui, et la condition d'une plus grande indépendance un jour. Avec la loi 99, l'État bi-national du Québec a renoncé à l'égalité des nations pour ré-affirmer les privilèges anglo-saxons issus de la conquête. L'État du Québec est non seulement pas notre ami, mais il n'est pas l'ami de l'égalité non plus. En refusant d'affirmer l'égalité des nations, l'État du Québec s'est révélé non seulement l'arbitre des deux nations, mais un arbitre déterminé à maintenir le sens dans lequel évolue l'histoire.

     


  • Me Christian Néron Répondre

    3 juin 2019

    Il est évident que ««  le droit anglo-saxon fait patie du dispositif de domination  »». Ça été la cas à partir de 1763 ; ça l'a été en 1867 ; ça l'a été davantage à partir de 1875 avec la création de la Cour Suprême par une simple loi du Parlement fédéral ; ça l'a été  lors du « Renvoi judiciaire sur le rapatriement » en 1981, et ce l'est plus que jamais avec la Charte des droits et libertés qui a fait de la Cour suprême une autorité législative universelle que personne ne peut contester.


    Nous vivons maintenant sous l'autorité d'une Cour suprême anglo-saxonne qui nous impose sa propre conception de la loi, du droit et de la justice. On s'y enfonce un peu plus chaque jour.  C'est une conception protestante du monde qui nous est ainsi imposée.


    Ce n'est pas seulement une autre constitution qui nous a été imposée en 1982, mais une conception des rapports sociaux exclusive au protestantisme anglo-saxon.


    Ce protestantisme anglo-saxon a eu pour effet jusqu'ici :


    1.  de déprécier le droit au profit de la morale ;


    2.  de déprécier la raison au profit de la volonté ;


    3.  de déprécier le sens de la liberté au profit du caprice et de la licence ;


    4.  de sacraliser le positisme juridique ;


    5.  de faire de la sanction l'essence du fait juridique ;


    6.  d'envoyer aux rebuts tous les acquis du droit naturel classique.



  • Marc Labelle Répondre

    2 juin 2019

    Le combat constitutionnel constitue une dimension primordiale de la lutte d’émancipation nationale. 


    Gilles Verrier met en lumière les jalons condensés d’un plaidoyer constitutionnel fondé sur le droit naturel classique, qui nous sort de l’enclos mental et politique de l’oppresseur.  Ce plaidoyer s’inspire de la démarche historique très précieuse de Me Néron.  Stratégie globale qui me paraît hautement opératoire.


    Il faudra aussi poursuivre le combat sur la scène internationale puisque la Cour suprême du Canada avait en quelques jours rejeté avec désinvolture les huit ans de travail que représente l’essai fouillé — et passionnant — de Frédéric Bastien sur ce que je persiste, pour ma part, à appeler « l’importation » de la Constitution canadienne.


    Cependant, une mise en garde s’impose.  Il ne suffit pas de recourir à l’argument de la nation ethnique « canadienne » originelle pour libérer le peuple français d’ici, que les aléas de l’histoire ont concentré sur le Québec, devenu notre territoire national naturel.  C’est incontournable : notre reconnaissance statutaire tant ici qu’ailleurs dans le monde passe par le recours à l’instrument collectif qu’est l’État québécois.  Autrement, c’est se livrer à une lutte abstraite stérile, qui ressemble à une discussion théologique sur le sexe des anges relégués dans les limbes de l’histoire sainte.  L’État du Québec est notre acteur collectif.  Sans lui, le concept de reprise du combat constitutionnel fondé sur le droit naturel classique ou le droit international coutumier est inopérant.

     


  • Jean-Claude Pomerleau Répondre

    2 juin 2019

    M. Bouchard,


    Vous dites :


    « M. Pomerleau, ce que M. Verrier nous invite à faire est de se redonner une base de droit solide pour défendre nos intérêts nationaux.»


    M. Verrier reproche, avec raison, au mouvement souverainiste de ne pas avoir produit une lecture critique du cadre constitutionnel canadien. Or, c'est exactement ce que je fais dans ce dernier vidéo du 10 mai, La négation de la nation. Donc j'adhère tout à fait à son argumentaire puisque j'en rajoute sur la démonstration.


    Ce que je démontre dans cette capsule vidéo, à partir des statuts constitutionnels, c'est que le suprémacisme anglo-saxon a produit au moins deux constitutions (1840-1982) qui nient notre existence de nation française en Amérique et qui ont donc des caractères statutaires indéniables carrément racistes. Et que la Charte des droits de Trudeau, devenue un instrument juridico-moral pour nous accuser de racisme pour le seul fait de ne pas se soumettre à la doctrine d'État du multiculturalisme, est un instrument juridique fondé sur la négation de notre existence de nation et qui a donc un caractère raciste.


    Cela dit, après avoir nommé le réel, ce que nous invite à faire M. Verrier. Quelle réponse devons nous apporter ? Cette réponse ne peut être que statutaire. Et le concept de « québécitude » n'est d'aucune utilité à cet égard, au contraire.


    La réponse statutaire ne peux venir que de l'État du Québec. dont les assises portent la nation (vidéo, 10 mai) et lui assure une prise sur son destin. Or...


    Cet État est d'abord territoriale. Et sur ce territoire existe comme réalité politique, les premières nations et une minorité anglaise. À moins de renoncer à une partie de notre territoire ( facteur de puissance) et de s’affaiblir avec incidence négative sur notre propre existence, il faut en prendre acte. C'est exactement ce que fait la Loi 99 (2000) ; dénoncée par certains parce que, confondue avec le concept de « québécitude ». Alors que cette loi est la pierre angulaire de l'édification de notre État, lequel porte notre nation.


    Pour répondre à l'offensive anglo-saxonne contre notre nation nous devons édifier notre État, sans égard à l'État fédéral. Ce que s'est refusé à faire un gouvernement souverainiste, préférant la quête d'un pays fantasmé, d'où sa perte de pertinence historique.


    Et comme le souligne M. Verrier dans son commentaire, il faut revenir au statutaire : « Pour un combat constitutionnel intégral ».




     


  • Éric F. Bouchard Répondre

    1 juin 2019

    M. Pomerleau, ce que M. Verrier nous invite à faire est de se redonner une base de droit solide pour défendre nos intérêts nationaux. Nous faire comprendre que nous ne devrions plus jamais dépendre de l’interprétation du droit du conquérant, mais reprendre notre combat à partir de notre propre interprétation, ou plus exactement à partir de celle qui nous fut transmise par nos prédécesseurs.


    Or la québécitude, qui renie le pacte des deux nations de 1867, est précisément une intériorisation pleine et entière du cadre juridique anglo-saxon (eh oui, sous couvert de souverainisme). C’est une négation de soi et un auto-enfermement qui nous empêche de confronter formellement le Canada anglais pour la minorisation multi séculaire qu’il nous fait subir, et a fortiori, qui nous empêche d’en demander réparation en exigeant des aménagements constitutionnels, politiques ou légaux qui pourraient renverser le processus. La « nation » québécoise est l’ultime outil forgé par l’ordre canadian (libéral, progressiste et désormais post-national) pour nous faire disparaître.


    Pourquoi? Parce qu’en faisant corps avec la «communauté québécoise d’expression anglaise», nous nous sommes condamnés à la division et à l’impuissance.


  • Jean-Claude Pomerleau Répondre

    31 mai 2019

    Comme complément d'informations à cet excellent texte de Gilles Verrier. 


    ...


    Sur l'argumentaire juridique qui révèle l'intention (raciste) derrière l'évolution constitutionnelle du Canada :


    La négation de la nation, Eugénie Brouillet, Septentrion


    Comment l'interprétation du droit a évacué les garantis des Anglais pour en arriver à nous faire accepter le « pacte » :


    L'invention d'un mythe. Le pacte entre deux peuples fondateurs, Stéphane Paquin, VLB Éditeur


    Sur l'origine du droit anglais qui découle d'une puissance maritime :


    Terre et mer, Carl Schmitt, Édition Pierre Guillaume de Roux



    À lire !



    JCPomerleau