Gaz de schiste

Normandeau se dit «ouverte» à revoir les droits d'exploration

Le Québec serait privé de revenus de cinq milliards de dollars

Le Québec et la question environnementale

Tous les textes sur le dossier du gaz de schiste
Alexandre Shields - Même si le Bureau d'audiences publiques sur l'environnement a clairement souligné que les «faibles montants» exigés par Québec pour les droits d'exploration gazière ont privé l'État de revenus de cinq milliards de dollars, il est encore trop tôt, selon la vice-première ministre Nathalie Normandeau, pour décider si ceux-ci seront augmentés. L'idée de les attribuer aux enchères pourrait faire partie de l'éventuelle loi sur les hydrocarbures, mais celle-ci ne sera pas présentée avant au moins deux ans.
En entrevue au Devoir hier, la ministre responsable des Ressources naturelles s'est dite «ouverte» à l'idée de revoir le régime actuel, mais a refusé de prendre un engagement formel en ce sens. «Nous allons étudier les implications juridiques avant de passer d'un système du "premier arrivé, premier servi" à un système par appel d'offres. On ne peut pas faire ça dans l'improvisation, parce que les détenteurs de permis ont des droits sur le plan juridique. On ne peut donc pas faire ça du jour au lendemain.»
Mme Normandeau a toutefois reconnu que «les permis ont une valeur importante». Mais, a-t-elle ajouté, «il faut regarder comment on peut créer davantage de richesse et de bénéfices sans faire de compromis sur le plan de l'environnement et de l'acceptabilité sociale, mais aussi en s'assurant que l'industrie soit toujours au rendez-vous».
Les permis d'exploration entièrement cédés au secteur privé ont effectivement une grande valeur, selon ce que fait valoir le Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE) dans son rapport sur l'industrie du gaz de schiste rendu public mardi. «En se référant au prix moyen de 500 $/hectare de l'Alberta, le Québec aurait pu percevoir environ 5 milliards de dollars pour les dix millions d'hectares sous permis. Ces revenus auraient été conservés par l'État qu'il y ait eu ou non développement de gisements gaziers», soulignent-ils. Actuellement, les rentes d'exploration rapportent au Québec un million de dollars par année, selon le BAPE.
Pour en tirer des milliards à verser au trésor public, il aurait fallu procéder par une attribution aux enchères, comme cela se fait en Colombie-Britannique, en Alberta et en Saskatchewan. Dans ces juridictions, «le marché détermine la valeur de chaque parcelle selon les bénéfices attendus de son exploitation», notent les commissaires du BAPE.
Au Québec, l'industrie est d'ailleurs bien consciente que les permis d'exploration situés dans les basses terres du Saint-Laurent valent parfois beaucoup plus que les 10 ¢/hectare qu'elles doivent débourser chaque année. Selon un rapport produit par la firme spécialisée en énergie Macquarie, la valeur des permis détenus par l'entreprise australienne Molopo aurait connu une hausse importante au cours des derniers mois. Cette société détient une très longue bande de permis qui s'étend de Venise-en-Québec à Rimouski, pour un total de plus de 8600 km2.
Molopo paie environ 90 000 $ par année pour conserver ses droits d'exploration. Or le rapport de Macquarie démontre que ses permis pourraient valoir 575 $/hectare, très loin des 10 ¢ versés à l'État (50 ¢ dans le cas de certains permis détenus depuis plus de cinq ans). Au total, la multinationale de l'énergie fossile pourrait toucher près de 500 millions si elle vendait ses permis. Et la législation actuelle permet à une entreprise de céder ses permis à un tiers, ce qui ouvre la porte à une certaine spéculation.
À la suite de la publication du BAPE, certaines entreprises — Junex, Gastem et Questerre — ont toutefois vu leurs actions chuter de plus de 20 % hier à la Bourse de Toronto. Il n'a cependant pas été possible d'obtenir de réaction de la part des entreprises gazières présentes au Québec, malgré les nombreux appels faits par Le Devoir. Même silence radio du côté de l'Association pétrolière et gazière du Québec.
Difficile, donc, de savoir si le rapport a déplu ou non aux gazières. Mais la donne a bien changé au fil des mois. Encore au début de l'été dernier, à peu près personne au Québec ne connaissait leur existence, le gouvernement Charest ne comptait pas recourir au BAPE pour enquêter sur l'industrie et la ministre Normandeau souhaitait déposer un projet de loi sur les hydrocarbures à l'automne 2010.
Hier, elle a plutôt indiqué que le dépôt de ce projet de loi serait fait une fois l'évaluation environnementale stratégique terminée, soit dans environ deux ans. «Le projet de loi est toujours à notre agenda, mais il sera décalé dans le temps compte tenu qu'il y aura une évaluation environnementale. Ce serait incohérent de notre part d'annoncer que le projet de loi sera déposé en juin, alors que l'évaluation débutera à peine.» Mme Normandeau en a profité pour défendre l'action du gouvernement dans ce dossier, tout en répétant que son intention était de faire du Québec «la terre de référence d'un développement gazier qui reposera sur les plus hauts standards en matière de protection de l'environnement et en matière d'adhésion des citoyens».
Improvisation
Les partis d'opposition ne l'entendent pas ainsi et ils ont tous affirmé hier que le gouvernement libéral a fait preuve d'improvisation depuis que ce dossier a fait surface, il y a de cela moins d'un an. «Le rapport vient confirmer nos inquiétudes qu'il y a un risque pour l'eau potable, un risque pour l'eau souterraine, un risque de migration du méthane, un risque pour la pollution de l'air et une augmentation des gaz à effet de serre. Avec autant de risques, pourquoi le gouvernement libéral a-t-il trompé la population et agi aveuglément depuis un an, sinon pour satisfaire l'intérêt de quelques portefeuilles?», a souligné la porte-parole péquiste en matière de développement durable, d'environnement, de parcs et d'eau, Martine Ouellet.
Québec solidaire a pour sa part réclamé un élargissement du débat sur l'ensemble de la politique énergétique du Québec. «L'évaluation environnementale stratégique ne posera pas la question fondamentale: avons-nous réellement besoin d'une énergie fossile comme le gaz de schiste pour devenir maîtres chez nous? Pour nous, la seule indépendance énergétique viable à long terme est celle qui nous libérera des énergies fossiles. Des alternatives comme la biométhanisation doivent être privilégiées», estime Françoise David.


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->