«NoirEs sous surveillance»: rendre le racisme d’État visible

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La racialisation des rapports sociaux va bon train

Le multiculturalisme coulerait dans l’ADN du Canada comme la sève dans les érables. Cette courtepointe multicolore serait toutefois moins lisse qu’il n’y paraît. Avec NoirEs sous surveillance. Esclavage, répression, violence d’État au Canada, l’essayiste Robyn Maynard ébranle les mythes du « plusse beau pays » du monde. Le Devoir l’a rencontrée dans son ancienne ville.


« Le Canada, pour la plupart de ses citoyens comme pour de nombreux étrangers, est un modèle de tolérance et de diversité, une référence mondiale en matière de droits de la personne. Cette réputation des plus enviable, le Canada la doit notamment au fait qu’il a accueilli les esclaves noirs fuyant les États-Unis par le chemin de fer clandestin », écrit Robyn Maynard dans l’introduction de Policing Black Lives. Tout du long de son riche ouvrage, l’auteure déconstruit méticuleusement l’idée voualnt que la race n’existerait pas au nord de Windsor. Pour y parvenir, elle a dû remonter dans l’histoire de la colonie afin d’exposer une vérité difficile à avaler : il y a bel et bien eu de l’esclavage en Nouvelle-France et sous l’Empire britannique. Et il a même perduré pendant plus de deux siècles.


« Il y a un consensus populaire qui dit que [le racisme] n’est pas un enjeu canadien », explique l’auteure, anciennement intervenante de rue pour les jeunes de Notre-Dame-de-Grâce et auprès des travailleuses du sexe et militante de longue date contre la brutalité policière.


Erreur, avance-t-elle dans ce livre d’abord paru chez Fernwood Publishing en 2017, et disponible chez nous dans une traduction de Catherine Ego chez Mémoire d’encrier. « Ici, à Montréal, mais aussi au Canada en général, il y a un manque par rapport à la connaissance de notre histoire. Quand on parle des populations noires, on pense souvent qu’elles [sont issues de] l’immigration. Mais cette présence remonte à la Nouvelle-France, aux débuts de la Nouvelle-Écosse. Ça remonte à bien avant la Confédération », dit celle qui réside depuis peu à Toronto.


Cette amnésie collective a beaucoup à voir avec la situation géographique du pays et sa proximité avec le grand joueur de l’esclavage, les États-Unis. Le Canada se plaît à « regarder ce qui se passe aux États-Unis pour se comparer favorablement. Mais cette comparaison a un penchant dangereux : elle fait disparaître les réalités d’ici. Par exemple, l’esclavage est entré dans nos manuels scolaires 30 ans après son abolition aux États-Unis, mais on ne parlait alors que des États-Unis, on [n’indiquait] pas qu’ici aussi, ça s’était passé. Alors, il y avait déjà cette tendance à effacer les choses. »


Si l’économie de la Nouvelle-France n’était pas basée sur le travail des esclaves au même titre que les colonies de l’Union et des Antilles, il était commun pour les colons d’ici de posséder des humains, d’ascendance africaine ou autochtone, pour les travaux domestiques.


Des êtres jetables


Les relents de cette période esclavagiste ont laissé des marques profondes sur la façon dont l’État canadien traite les personnes noires et autochtones. À travers l’examen des statistiques de populations carcérales — les Noirs, qui représentent 3 % de la population canadienne, forment 9 % des détenus —, de la lutte contre les drogues, de la sexualisation des femmes noires, de l’expulsion de personnes sans papiers ou encore de la prise en charge des enfants noirs par l’État, le livre de Robyn Maynard laisse entrevoir une perversion des perceptions montrant les personnes noires comme « dangereuses, criminelles, moins humaines ». Bref, comme des personnes « jetables ».


« Il y a un cas dont je parle dans le livre qui est parlant, mentionne Robyn Maynard. En 2016, une enfant noire de première année du primaire a été menottée dans son école de Mississauga parce qu’elle aurait eu un comportement violent. On ne peut pas comprendre comment la situation a pu se rendre là sans passer par le processus de construction du danger que les enfants noirs peuvent représenter, un processus qui a été enclenché pour justifier la ségrégation scolaire. »


Une tâche difficile


Mère d’un garçon de trois ans, Mme Maynard s’est astreinte à la tâche colossale de recenser des cas d’injustices et de violences, portée par son désir de transmission. « C’est sûr que c’était difficile de lire tout ça. Et surtout, c’était choquant d’apprendre des choses et de se dire qu’elles ne sont pas connues. Mais pour nous, cette violence fait partie de l’expérience des communautés noires. Alors c’est ça que je voulais faire comprendre plus largement dans la société. Une bonne partie de ces violences ne sont pas comprises en dehors de nos communautés. Ce besoin de livrer la réalité que les gens vivent, c’est ça qui m’a groundée. »


Mais ce que le livre porte aussi, c’est une longue tradition de résistance. Presque à tous les chapitres, Maynard expose le refus des communautés à accepter les piètres traitements que l’État leur réserve. Manifestations, démarches juridiques, désobéissance civile… Les Noirs ont fait preuve d’imagination pour défendre leur intégrité. « Il y a tellement une riche et longue histoire de différentes formes de résistance. C’est les professeurs noirs du temps de la ségrégation qui s’assuraient que les enfants noirs aient accès à l’éducation, même si le gouvernement s’y opposait. Ce sont les regroupements de familles dans les quartiers défavorisés qui font de même. Il y a une réelle entraide. »


> La suite sur Le Devoir.



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